Anthony Pecqueux Profile picture
Sociologie / Pragmatisme / Poésie / Orchidées...: de quoi remplir tout un mondeS @RevueTraces @UnionSolidaires

Mar 25, 2020, 99 tweets

#UrsulaLeGuin #1jour1essai
Donc, ce livre, et ça tombe bien, on a le temps, alors prenons-le (d'autant qu'en ce moment je lis TRÈS letentement). Je vous propose de revenir chaque jour sur un des essais d'UKLG. Déjà quelques commentaires généraux!

L’édition est soignée (merci @editionleclat), jusque dans la notice en 4ème de couverture: UKLG n’est pas fille d’un anthropologue (comme il est dit généralement, Alfred Kroeber) mais d’une grande romancière: Theodora Kroeber! 😊

Je n’ai aucun avis sur le choix des textes qui semble fidèle à l'édition originale de 1989 (peut-être @neolitterature ?) ni sur la traduction réalisée par Hélène Collon (peut-être @matou_sky?), si ce n’est que la langue sonne très bien à mes oreilles👌🎼...

... même si, j'avoue, au début "Le fourre-tout de la fiction, une hypothèse" m'avait semblé étrange tant j'étais devenu familier de la "fiction panier" (mais on y reviendra au jour de cet essai!). A tout à l'heure pour le premier😉

terrestres.org/2018/10/14/la-…

J'ai oublié la préface, signée par l'écrivaine Patricia Farazzi, un peu étrange sur le féminisme, mais avec deux belles formules à la fin quand elle décrit UKLG comme "anthropologue des mondes qui s'inventent au cours de ton exploration"...

... et à savoir "un monde où cheminer à reculons, où discerner plutôt que voir, où tâtonner plutôt que se précipiter, où murmurer plutôt que claironner". Allez, ça va être le moment d'y entrer vraiment dans ce monde

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J1 Commençons par "Faire des mondes", conférence à Stanford datant de 1981, d'où est extrait le titre du livre: "Danser au bord du monde", version légèrement modifiée d’un vers d’une chanson à danser recueillie par son père anthropologue...

...auprès des "Indiens" (elle ne dirait plus comme ça évidemment aujourd'hui) de Californie: "Danser sur le rebord du monde"

Pour elle cette activité ("Faire des mondes") concerne tant l’imaginaire fantastique ("faire du neuf") que politique ("refaire le monde à neuf"), "religieux" ou de survie (à savoir fabriquer notre bon vieux monde, le rendre habitable)

Dans cet art de faire des mondes, il s’agit "d’opérer une sélection habile parmi des fragments de cosmos exceptionnellement utiles et distrayants, et à les agencer de façon à créer une illusion de cohérence et de permanence dans l’incontrôlable torrent des événements"

Parmi les fragments de cosmos dont elle s’est servie, il y a le vers autochtone cité tout à l'heure, mais aussi "une idée en Chine" et "un Dieu en Inde". "La danse du renouveau, celle qui a créé le monde, a toujours été dansée ici, au bord, à la limite, sur la côte embrumée"

Inutile de dire qu'UKLG a lu William James (cité par exemple dans "Ceux qui partent d'Omelas", merci @lebelial); elle a inspiré beaucoup de monde, ici on pense aux "activités fabricatrices de mondes" d’Anna L. Tsing dans Le Champignon de la fin du monde

belial.fr/download/2115.…

Et la couverture est une très jolie photo de Patricia Farazzi, brumeuse à souhaits. Autre découverte hier: UKLG a un compte twitter (poke @ursulakleguin)

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J2 On remonte un tout petit peu dans le temps (les essais sont dans l’ordre chronologique), pour la conférence qui a immédiatement précédé : « Quelques réflexions sur la narration » (1980)

Elle ne se contente pas de porter sur la narration (comme procédé ou technique) mais concerne plus largement le rêve, l’imagination et le langage, en compagnie d’Édith Kirev (et qui fait donc de beaux rêves la nuit) et de son mari

On navigue entre une ode au futur (placé sous les auspices ambivalents de Georges Steiner): "pour affirmer la capacité d'évoquer des choses qui n'existent pas et qui n'existeront peut-être jamais)" ...

... Et une autre ode au subjonctif (qu’Étienne Souriau aurait aimée, car proche du mode qu'il appelle "virtuel"): "L'indicatif pointe son index décharné sur l'expérience primaire, sur les Choses; mais c'est le subjonctif qui les relie grâce aux chaînons de l'analogie..."

La définition du langage proposée p. 64 mais je voudrais finir avec sa façon finale de caractériser la narration, comme "un face-à-face avec le milieu, l'action de poser un certain nombre d'options et d'alternatives, d'étendre le présent en le reliant au passé invérifiable...

"... et à l'avenir imprévisible". Évidemment, ce face-à-face n'a rien de guerrier (même en temps de COVID!): l'épistémologie d'UKLG est basée sur le mélange, le tissage, l'entremêlement, etc.

Oubli du verbe * La définition du langage proposée est très intéressante. 😉

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J3 "Discours de la main gauche pour une remise de diplômes" (1983), magnifique petit texte de 4 pages, souvent bouleversant et qui aborde de manière concise plusieurs thèmes centraux chez elle

Parmi ces thèmes, il y a déjà cette invocation du besoin de "mots de faiblesse" (quelle expression! 🌻), après tant de "mots de pouvoir"! Mais aussi, centralement, ce constat que "la réussite se fait toujours au détriment de quelqu'un" (p. 143)

C'est le thème de la nouvelle "Ceux qui partent d'Omelas" et c'est un des acquis de sa lecture de William James, par exemple dans le chapitre "Les moralistes et la vie morale" de La volonté de croire, à savoir la part tragique de l'ordre pratique: ...

classiques.uqac.ca/classiques/jam…

tout choix / préférence laisse de côté quelqu'un ou quelque chose, laisse un reste, et l'enjeu est de faire le moins possible de "sacrifices" et de toujours tenir compte du "vaincu" (p. 206, éd. Empêcheurs de penser en rond)

Revenons à UKLG, qui prévient ces jeunes diplômé-es: "Parce que vous êtes des êtres humains, vous connaîtrez l’échec (…) Vous vous retrouverez dans les ténèbres, seules et apeurées". Elle leur annonce notre condition d'êtres vulnérables

Dès lors, la vraie "capacitation" (empowerment, qu'Isabelle Stengers propose de traduire par "habilitation") est de se rendre capable de "vivre dans ce lieu que notre culture de la réussite et de la rationalisation nie et qualifie de terre d’exil, inhabitable, étrangère"

Elle finit cette conférence de manière très poétique, en en appelant au "côté nocturne de notre pays" (p. 144), qui n'est pas automatiquement suivi par le diurne. Ce dernier ne peut advenir "qu’en l’habitant, en vivant jusqu’au bout de la nuit dans notre propre contrée"

((Je me rends compte que tout cela ne doit pas être bien clair; une idée lecture pour clarifier les choses, outre la nouvelle d'UKLG "Ceux qui partent d'Omelas", Isabelle Stengers, "Que vas-tu faire de moi?" dans Etienne Souriau, une ontologie de l'instauration (Vrin)))

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J4 Encore dans le condensé aujourd'hui avec "La science fiction et l'avenir" (1985), 2 pages d'une lumineuse réflexion sur le temps en général (poke @GardellaEdouard), en voici la 1ère

Elle s'appuie sur "les peuples des Andes de langue quechua" et déploie leur conception du temps, à l'opposé de la nôtre: 1/ le passé déjà, "est ce qu’on connaît déjà, il est donc devant, sous notre nez"

2/ L'avenir a contrario "est derrière – derrière votre dos, par-dessus votre épaule, car l’avenir est ce qu’on ne peut pas voir, à moins de se retourner le temps d’un coup d’œil, en quelque sorte". De ce point de vue une expression comme "aller de l’avant"...

... ressemble à un "bluff fondé sur une crainte mâle d’être inactifs, réceptifs, ouverts, tranquilles, immobiles", à part Homer bien sûr

Arrive la leçon d'humilité: "Nos horloges intranquilles nous font croire que nous fabriquons le temps, que nous le maîtrisons (…) Mais en réalité, l’avenir advient, ou est déjà là, qu’on se rue à sa rencontre dans des avions supersoniques à tête nucléaire ou qu’on reste assis...

... au sommet d’un pic à regarder paître les lamas. Le matin arrivera, qu’on mette ou non le réveil à sonner" 🌼🙏

#UrsulaLeGuin #1jour1essai #FlemmeDuDimanche J5 "Femme / nature sauvage" (1986) "Les femmes parlent. (…) celles qu’on a assimilées à la nature, qui écoute, par opposition à l’Homme, qui parle – ces personnes-là parlent désormais"

"Elles parlent pour défendre leur cause et celles des autres, pour les bêtes, les arbres, les rivières, les roches. Et ce qu’elles disent, c’est : toutes ces choses et nous sommes sacrées...

... Écoutez bien : elles ne disent pas : ‘La Nature est sacrée’. Parce qu’elles se méfient du mot Nature"
Et c'est tout pour aujourd'hui #PasBesoinDeCommenter

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J6 "Perspectives pour les femmes en littérature" est une conférence prononcée au cours du colloque "Les femmes en l'an 2000" qui s'est tenu en 1986 à Portland: en littérature, la place des femmes s'améliore, "Oui, mais."

En 1986, certes, les femmes écrivent mais ne sont pas considérées, ne marquent pas l’histoire de la littérature : "on étudie sempiternellement Nathaniel Hawthorne pendant qu’Harriet Beecher Stowe reste une note de bas de page dans l’histoire"

UKLG plaide de son côté pour écrire des textes qui reflètent "ce que vous êtes au plus profond de vous-même, de votre corps et de votre âme (au lieu de se conformer aux conventions et attentes masculines, sur le fond et la forme)"

"Les professeurs de littérature continuent à balayer nos textes sous le tapis, mais à force, ledit tapis est à un mètre du sol et nos livres débordent. Ils vont les dévorer tout crus, ces profs...

... Le ménage est une affaire de femmes, n’est-ce pas ? Eh bien il est temps de secouer le tapis"

Elle finit en appelant à un "bain de solidarité artistique, intellectuelle et féministe", quand le mot "sororité" n’existait sans doute pas encore, espérant que "nos filles, nos petites-filles ne seront donc pas obligées de tout reprendre à zéro comme nous" No comment...

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J7 "Où trouvez-vous vos idées ?" (1987), question qu'on lui pose souvent, repose sur deux mythes : les autrices et auteurs auraient un "truc"; et l’origine d'un récit / d'une histoire se situerait dans une "idée" (dans le for intérieur)

Pour elle, pas de "secret" mais la nécessité de "cultiver une aptitude, obstinément, continûment". Pour ce qui est des idées, on ne les "trouve" pas, ce sont plutôt des expériences "compostées". Elle reprend ce terme à Gary Snyder; cela me fait beaucoup penser aux "germes"...

... d’Henry James, qu’il puise par exemple dans une conversation, et à partir desquels il va déployer une nouvelle (in La création littéraire, "Préface aux Dépouilles de Poynton")

UKLG décrit ensuite son processus d'écriture comme la combinaison de 5 agencements : le langage (les sons des mots); la grammaire et la syntaxe ; les images (« ce que les mots nous font voir ») ; les idées et les sentiments = bref, on ne fait pas de littérature qu'avec des idées!

Et on la fait aussi avec un public, la littérature étant un "art du spectacle" également. Pour elle, il faut préparer la rédaction en pensant à ses lecteurs, rédiger sans eux, puis relire en faisant "un acte de foi" : "partir du principe qu’ils existeront ces inconnus" lecteurs

Car il faut se demander "si je leur donne quelque chose, si je les tente, invite et incite à entrer dans l’œuvre pour y travailler avec moi". "Si je les appâte" dirait @ddebaise, afin d’intensifier leur expérience, leur sens de l’importance (L’appât des possibles, @PressesReel)

#UrsulaLeGuin #1jour1essai #SpécialCOVID19 #jourdapres J8 L'essai du jour d'Ursula Le Guin est "Une vision non euclidienne de la Californie comme lieu froid d’être-au-monde" (1982) - tout un programme (obscur!) ce titre!

Il s'agit d'aborder la question de l’utopie de biais, à partir d’un questionnement sur le passé ou plutôt sur l’oubli. Que faire des différentes couches de culture qui ont habité un milieu – et qui en ont souvent été chassées par celles qui ont suivi ?

On a plus assisté à différentes politiques pour "organiser l’oubli" qu’à autre chose, notamment à travers les "Noms de lieux": "Appeler ce pays le ‘Nouveau Monde’, c’est digne de César – une sorte de naissance par césarienne". Punchline pour le "découvreur" de la Brittanie👊

Comme le porc-épic des Indiens Cree qui "recule mais regarde devant lui", UKLG propose de "placer un obstacle sur la voie. Faire marche arrière. Se détourner, se retourner", poke @cmoreldarleux & @RevueTerrestres
terrestres.org/2020/02/06/pla…

Du coup, si "L’utopie a toujours été euclidienne, européenne et masculine (…) en cessant enfin d’avoir foi en ce radieux château de sable, nous rendons nos yeux capables d’accommoder lorsque la lumière est moins vive, et d’y percevoir une utopie d’un autre type"

La proposition d'UKLG est d'aller explorer du côté de l’obscurité, de la marge, du froid: "Le mot que je cherche est peut-être yin (…) l’utopie est, depuis Platon, LA grande équipée à moto de type yang"

"A quoi ressemblerait une utopie yin ? Elle serait sombre, humide, obscure, faible, élastique, participative, circulaire, cyclique, paisible, nourricière, rétrogradante, contractée et froide", et on pense aux diverses variétés d’anarchisme pacifique qui peuplent ses romans

Cette vision de l'utopie dessine "une société soucieuse avant tout de préserver sa propre existence, une société observant un niveau de vie modeste et protégeant les ressources naturelles, ...

... une société qui connaisse un taux de natalité et une activité politique fondés sur le consentement, qui se soit bien adaptée à son environnement et qui ait appris à vivre sans s’anéantir ni anéantir ses voisins". Faudra y songer sérieusement dans quelques mois, non?

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J9 Aujourd'hui, un monument: "Discours de remise de diplômes à Bryn Mawr" (1986).
Dans un college de jeunes filles dans lequel elle revient après y avoir elle-même étudié, UKLG décrète y avoir appris "la langue du pouvoir – du pouvoir social –, ...

... ce que j’appellerai ici la langue paternelle": on comprend que ce qu'elle a à en dire n'est pas très élogieux! Ou encore "la parole publique": "quelque chose arrive, quelqu’un – généralement quelqu’un d’autre – fait quelque chose" au bénéfice de l’orateur et son ego

"Le problème de la langue paternelle n’est pas de raisonner, mais de mettre à distance, de créer un intervalle, un espace entre le sujet (le soi) et l’objet (l’autre)"
« Homme blanc parler dichotomie. Son langage exprime les valeurs du monde clivé (…)

... La langue paternelle parle d’en haut. Elle ne va que dans un sens. Elle n’attend pas de réponse, ni n’en entend"
A quoi va s'opposer fort logiquement la langue maternelle, "primitive"

"la langue vulgaire, commune, communément parlée, familière, inférieure, ordinaire, plébéienne, à l’image des travaux qu’accomplissent les gens ordinaires, des vies que vivent les gens ordinaires"
🤩🤩

La langue maternelle "relie. Elle va dans les deux sens, dans de multiple sens, c’est un échange, un nœud d’échanges, un réseau. Son pouvoir à elle n’est pas dans la division, mais dans le lien, non dans la distanciation, mais dans l’union"

"Toujours à la limite du silence, et jamais bien loin de la chanson" (ritournelle?), c'est aussi la langue des histoires. Elle implique toute une autre pédagogie notamment, qui nécessite "les désenseignantes, les désinstructrices, les déconquérantes, les déguerrières"

Elle peut finir ce discours par une nouvelle ode à la sororité et à l’expérience personnelle qui se partage: "Une expérience d’occasion, ça tombe en panne à cent mètres de chez le garagiste...

... J’espère que vous vous emparerez de votre âme à vous, que vous la fabriquerez vous-même; que vous vivrez pour vous-mêmes, un chagrin après l’autre, une joie après l’autre"

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J10 - nouveau monument, "Le fourre-tout de la fiction, une hypothèse" (1986), essai sur l'écriture fondé sur une hypothèse. L'invention de la chasse (par ennui sur le campement) est ce qui a fait émerger les histoires, à base de héros virils, puissants

"Pas facile de captiver l’auditoire en racontant comment j’ai arraché de haute lutte un grain de folle avoine à sa balle (…) Non, décidément, rien de tel que de décrire mon grand coup de lance dans le titanesque flanc velu de la bête"

terrestres.org/2018/10/14/la-…

Ursula LeGuin s'adonne alors à une opposition terme à terme de deux hypothèses, celle du gourdin contre celle du réceptacle, du récipient: "tous nous savons tout ce qu’il y a à savoir sur tous les gourdins, javelots et cimeterres, tout ce qui assomme, transperce et frappe, ...

... toutes ces choses longues et dures ; en revanche, nous ne savons rien des choses qui servent à en contenir d’autres, le contenant de la chose contenue"

"Si c’est humain que de ranger une chose qu’on désire dans une besace, un panier, (…) puis de le rapporter au foyer, si c’est humain que de ressortir plus tard la chose rangée pour la manger, la partager ou l’entreposer (…)...

... – si c’est humain que de faire tout cela alors je suis, après tout, humaine. Pleinement, librement et joyeusement humaine, pour la première fois"

Elle continue en proposant la besace comme "forme naturelle, correcte, adéquate" du roman, ce qui fait descendre le "Héros" de son "estrade, piédestal, pinacle": "en lieu et place des héros, [les romans] contiennent des gens"

Elle finit en défendant à partir de là une version réaliste de la science fiction: elle est aussi « comme toute fiction sérieuse, une manière de décrire ce qui a véritablement lieu, ce que les gens font et ressentent véritablement, ...

... comment les gens sont en relation avec tout ce qui se trouve là, avec eux, dans le grand fourre-tout, ventre de l’univers, matrice des choses futures et tombeau des choses qui furent, cette histoire sans fin" (quelle superbe traduction, très poétique 🙏 @Collon_H 🤩🤩)

#UrsulaLeGuin #1jour1essai J11 Avant d'évoquer demain un dernier essai (suspens, il y aura un teasing tout à l'heure), je voulais présenter rapidement tous ceux dont je ne parlerai pas

Il y a des contes, comme "La princesse" qui raconte son propre avortement, ou "Second rapport de l’étranger naufragé, adressé au Kadhan de Derb", très belle réflexion féministe sur le rapport au corps et au pouvoir (et les mots – vides – du pouvoir, à nouveau)

Il y a aussi des expériences de pensée comme dans "Faire face": que se passera-t-il après le désastre nucléaire, comme thématique récurrente de la SF? "On n’a rien à craindre du moment qu’on a mis de côté suffisamment de fruits secs" - on confine pépouze avec des fruits secs! 😉

Des odes au pluralisme, en toute circonstance, comme dans "A qui le tour ?", réquisitoire contre la censure, qui déclare "vital de garantir l’abondance, le foisonnement, la diversité"

Des odes à la lenteur et aux "gens qui savent que le chemin compte autant que le but" comme "Compartiment 9, voiture 1430", ou comme le long poème "Nom de lieux", traversée de plusieurs états en voiture par canicule, où les jeux avec les noms de lieux rendent le voyage onirique

Une ode à l’oralité en littérature comme en toute chose avec "Texte, silence, représentation" (elle a dû aimer l’avènement du rap et du slam - et sait y faire en punchlines!!)

Des odes à l’empowerment qui habilite, qui donne un "pouvoir de" et non un "pouvoir sur" dans "Qui est responsable ?", 1987 - c'est la conception de l'empowerment qu'on retrouve chez Isabelle Stengers

Enfin "Theodora", bel hommage à sa maman à l'occasion de la réédition d'un recueil de contes avec des femmes quand, "même en anthropologie, leurs faits et gestes étaient (...) relégués au second rang": "Il n’y a pas de squaws dans The Inland Whale, rien que des êtres humains"

#UrsulaLeGuin #1jour1essai #SpécialConfinement #TravaillerAvecDesEnfants J12 Dernier jour, dernier essai: "La fille de la pêcheuse" (1988) est une conférence donnée à plusieurs reprises et augmentée des réactions et objections des auditrices

@ursulakleguin part de la question "Si je vous dis : ‘une femme qui écrit’ que voyez-vous ?", et en explore les multiples réponses possibles. Comme la proposition d’une participante: "Elle est assise à la table de la cuisine et les enfants braillent"

Vite s'impose un constat: la pauvreté de notre imaginaire de la femme écrivaine. Pour un précédent essai ("Perspectives pour les femmes en littérature"), j’ai vainement cherché un gif d’une femme derrière une machine à écrire…

La question de l'espace est centrale: "On peut se demander pourquoi monsieur Harriet Beecher Stowe, lui, a une pièce à lui pour écrire, alors que l’auteure du romain américain le plus retentissant du XIXè siècle, moralement parlant, doit se contenter de la table de la cuisine"

S'ensuit une longue discussion critique de l’argument "des enfants ou des livres" ("il faut choisir"), en compagnie de plusieurs autrices. Margaret Oliphant pour qui "il était souhaitable de préserver le lien difficile, indéfinissable, hasardeux entre l’œuvre d’art et...

... l’ensemble affectif / manuel / organisationnel de besognes et de savoir-faire qu’on appelle ‘tâches ménagères’"
fr.wikipedia.org/wiki/Margaret_…

Ou en compagnie de la poétesse Alicia Ostriker: "Dire que les femmes doivent écrire des livres au lieu d’avoir des enfants n’est qu’une variation sur ce thème !" (vice versa😜)

Ou en compagnie de la peintre Käthe Kollwitz qui "travaille comme les vaches paissent" quand ses deux enfants sont absents, meilleure définition possible pour UKLG "du travail accompli de manière ‘professionnelle’"
beaux-arts.ca/magazine/votre…

Et évidemment en compagnie de Virginia Woolf qui se représente l’écrivaine comme une pêcheuse: "Sans réfléchir, sans raisonner, sans bâtir d’intrigue, elle laissait son imagination explorer les profondeurs de sa conscience" ("Les métiers féminins", @marc_jahjah: musement or not?)

Espiègle, UKLG adjoint à la pêcheuse une fille de 5 ans, à quelques mètres, qui se raconte des histoires avec des personnages de brindilles et de vase...

"Oui, les bébés mangent les livres" (comme ce roman non écrit du fait de la grossesse), "Mais ils les recrachent par boulettes qu’on peut lisser et recoller pour reconstituer le tout", et cela ne dure qu’un temps

Elle prend l’exemple de sa maman Theodora (qui ne s'est mise à écrire qu'à la soixantaine...), et le sien propre, sans romantiser quoi que ce soit, mais pour penser l'autrice dans son milieu - et celui d'UKLG est donc passé par la maternité

"La seule chose qu’il faut à l’écrivaine, ce n’est ni une paire de couilles, ni un espace vide d’enfants ni, d’ailleurs, à ce qu’on peut constater, une chambre à soi (…) La seule chose qu’il lui faut, c’est un crayon et du papier"

... et aussi de saisir qu'elle n'est "Pas entièrement libre. On ne l’est jamais. Partiellement libre"
Fin du thread; allez lire le livre dès que les bonnes librairies rouvrent!
🙏 @ursulakleguin @editionleclat @Collon_H 🤩🤩

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