Dr.Pierre.Al.Chaize (mais pas toubib, évidemment) Profile picture
Docteur Bagarre, historien des arts martiaux et de la littérature technique, archiviste pour l'état dématerialisé, mec de droite qui dit des trucs de gauche.

Sep 17, 2020, 20 tweets

Comment frappe-t'on avec une épée en 1400 ?

Les textes d'une tradition italienne de la fin du XIVe et du XVe siècle nous donnent quelques pistes pour essayer de comprendre comment est compris/expliqué le mouvement d'attaque d'un adversaire.

1ere ligne "Per lanzare de spada e trare tayo e pu[n]ta", ou " pour lancer l'épée, ou donner un coup de taille ou un estoc ". Le texte résume ainsi, à travers les trois termes, trois types d'attaques très générales.

L'illustration est conçue en ce sens d'ailleurs : ce ne sont pas trois personnes, mais trois manières d'attaquer, du même adversaire, à travers trois prises de l'arme et trois postures différentes.

Ce qui m'amène à rappeler que l'illustration technique médiévale et primo moderne ne représente PAS un combat, une réalité instantanée. Elle s'évertue à accompagner un texte, à illustrer un enseignent et/ou une théorie du mouvement en opposition.

On trouve la même représentation dans une copie de 1425, avec le texte latin "Ensis sive ferus iaculet[ur] scindere sive pr[a]eparet alter adhuc cupiat me cuspide solu[m] h[a]ec cautela docet ne n[un]c ridendo pavesca[m] ". Je laisse de meilleurs latinistes que moi traduire.

Mais on a encore les trois prises, trois personnages, trois formes d'attaques.

Si on continue à creuser sur les autres ouvrages associés, qui ne sont pas des copies mais des versions vernaculaires plus anciennes, on a la même illustration. Toujours les trois comiques.

Le texte qui l'accompagne, en prose, est clair : "Uno gli da trare di punta laltro di taglio laltro vole lanzare la sua spada." Ce qui se lit " Un qui veut donner un estoc, l'autre donner un coup de taille, l'autre encore veut lancer son épée.

Idem sur la copie conservée à New York, qui est trop semblable pour que je vous détaille encore une fois.

On retrouve ce trio ailleurs dans ces mêmes sources des XIVe et XVe siècle, sous diverses formes.

Par exemple, dans le chapitre dédié aux gardes/postures, où l'une d'entre elles est décrite justement par sa capacité à permettre de lancer l'épée.

Le texte, limpide : "De lanzar mia spada questa e mia condicione" ou "lancer l'épée, telle est ma condition".
La version rimée est identique :
...
"Per alanzare e son ben aparichiato
De un grande passar faro merchato"

Par contre, les deux autres formes d'attaques ne sont pas liées à des postures.
A la place, il existe dans ces mêmes livres un petit chapitre dédié aux attaques, avec les trajectoires de coupe/frappe.

Allez, tour rapide, sans original parce que trop long :
" Nous sommes les estocs cruels et mortels. Notre
chemin passe par le milieu du corps, du pubis au front. Il y a 5 estocs, 2 par dessus, 2 par dessous, un au milieu, depuis la porte de fer ou postures longues et courtes."

La version rimée

""Nous sommes les estocs, grandes blessures et échangeons contre tous les coups. + venimeux que le serpent, + que toute attaque, nous tuons.
Nous pointons les coups et disons qu'ils ne coupent pas tant que nous cousons"

"Nous sommes les coups fendants et nous fendons des dents aux genoux. Nous allons d'une garde à l'autre,
vers les gardes qui vont vers le sol. Nous brisons les
gardes avec ingéniosité et nous traçons un chemin sanglant quand nous frappons. Nous blessons et retournons en garde."

" Nous sommes les coups de dessous, du genou au milieu du front, sur le chemin des coups fendants. Comme nous montons, nous descendons par le même chemin. Ou restons en garde longue."

" On nous appelle coups médians car nous sommes donnés entre les coups de dessus et les coups de dessous. Nous utilisons le vrai tranchant sur le coup droit, le faux tranchant sur le revers. Notre chemin est entre le genou et la tête."

Qu'est ce qu'on peut en tirer comme conclusion ? C'est que dans le cadre de codification des arts martiaux avec armes à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, le lancer d'épée est envisagé à la même fréquence que les coups de taille et coups d'estocs.

Mais ces deux derniers (estocs et tailles) sont codifiés, situés en rapport avec le corps du combattant (et de son adversaire).

Donc, comme d'habitude, #cestcompliqué

Voila, abonnement, tout ça...

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