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Auteur de la chaîne Techniques Spatiales.

Nov 22, 2021, 130 tweets

Saturn V, ce lanceur légendaire qui a envoyé Apollo et Skylab sur orbite. 🤩
Un taux de succès observé de 100%, certes mais est-ce que chaque lancement s'est chaque fois bien passé ?
Eh bien pas du tout, en fait il y a eu des incidents lors de CHACUN des vols !
Thread : 👇

Je ne vais me focaliser que sur quelques incidents, il y en avait en général plusieurs par vol.

Allez c'est parti on commence par la AS-501 qui a amené la mission Apollo 4 sur orbite. Un vol inaugural mouvementé comme vous allez le voir.

Déjà le lanceur se traine. Dès le décollage, il avance moins vite que prévu, l'Isp des moteurs F-1 avait été surestimé de 0,4% ce qui fait que les moteurs extérieurs sont coupés car le S-1C est à court de LOX. Panne sèche.

Lors de ce décollage, les instruments en haut de la fusée sont secoués bien plus fort que prévu. Des morceaux du bouclier thermique entre les F-1 sont arrachés et font monter la température de façon anormale dans le bas de la structure.

Les moteurs J-2 des 2è et 3è étages poussent moins fort que prévus, donc la durée de combustion dépasse de plus de 15s ce qui était planifier, pour compenser. La pressurisation des réservoirs du S-II est défaillante mais suffisante.

La S-IVB a eu plein de petits problèmes de pressurisation lui aussi, dont notamment un réservoir d'hélium qui fuit en continu. Deux des moteurs d'amorce APS abimés sont abimés et poussent nettement moins que prévu.

Mais honnêtement, pour un premier vol c'est une grande réussite et la capsule est récupérée après un vol quasi nominal. Tous les vols suivants devraient mieux se passer donc non ?
Hehe, nous allons voir ça...

La prochaine mission fut celle d'Apollo 6, et elle était ambitieuse avec 2 allumages du S-IVB prévus pour partir vers la Lune, et un allumage du module de service d'Apollo pour faire demi-tour en plein milieu et revenir sur Terre.

Rien ne s'est passé comme prévu.

Comme attendu (mais redouté), de l'effet pogo est apparu sur le S-IC avec son moteur central qui faisait le yoyo de haut en bas, générant des vibrations intenses sur tout le lanceur et la capsule.
Seule 1 caméra embarquée sur 4 est éjectée et l'étage a fuit après séparation.

L'allumage et le début du vol du S-II se passe à merveille. Puis après 3min, le moteur 2 commence à perdre beaucoup de poussée puis s'éteint. Une canalisation d'hydrogène utilisée pour l'allumage s'est mise à fuir. Un incendie s'est déclenché et a cramé le moteur.

On se moque souvent du système KORD de la N-1 qui faisait n'importe quoi ?
Et bien le contrôleur d'arrivée de LOX du moteur 2 a voulu couper l'arrivée d'oxygène au moteur défaillant. Normal.
Mais les types avaient inversé les câbles en usine et ont en fait coupé le moteur n°3.

Le machin a maintenant 2 moteurs sur 5 éteints, et tant qu'à faire 2 moteurs l'un à côté de l'autre. Deux moteurs opposés, ça aurait été trop simple. De plus, le programme de vol ne sait gérer que la panne d'un seul moteur.
Donc l'étage a avancé en crabe jusqu'à la séparation.

De façon surprenante, l'étage arrive à peu près là où il voulait, un peu en vrac mais avec une trajectoire remaniée c'est passé. A la fin de sa poussée, l'étage poussait 50° au-dessus de l'horizontale ! Il a fallu faire une rapide manœuvre pour le remettre à l'horizontal et...

... le S-IVB s'est allumé de façon nominale, alors qu'il terminait sa manœuvre de remise à plat. L'orbite finale fut elliptique de 173x360 km contre 190x190 km prévus.
Pas grave, ils tentent la manœuvre de TLI pour aller sur la Lune et lancent le signal de ré-allumage du S-IVB.

Et là, le même problème que sur le moteur n°2 du S-II apparait: l'arrivée d'hydrogène du système d'allumage s'est rompue, donc à défaut d'un incendie il y a juste un "pffft" au moment de l'allumage. Le moteur crache de l'oxygène liquide et de l'hydrogène liquide par la tuyère.

Alors plan B, le moteur AJ-10 du module de service d'Apollo (futurs OMS de la navette spatiale) va allumer son moteur pour aller sur une orbite elliptique jusqu'à 22.000km puis va plonger dans l'atmosphère comme le fit Apollo 4 lors du 1er vol. C'est mieux que rien.

La mission se termine bien malgré tout. On remarquera dans les vidéos post-vol qu'après 2min10 de vol, un bout de la structure extérieure du S-IVB s'est arrachée, probablement fragilisée par le pogo qui tapait à +/-0.6g à 5Hz(la fusée était conçue pour encaisser 3 fois moins).

Je passe sur les dizaines de trucs légèrement hors-specs qui se sont passés pendant ce vol, il y en a beaucoup trop.
Ils ont modifié cette fichue canalisation d'allumage du J-2, amélioré des centaines de sous-systèmes et là il ne faut plus se rater: AS-503 embarque des humains !

Malgré la quasi-perte de la mission lors d'AS-502 et l'échec de son S-IVB, il a été décidé pour des raisons politiques que AS-503 irait faire le tour de la Lune avec 3 humains à son bord (Apollo 8).
C'est une prise de risque énorme, même pour l'époque.

Regardez comme une forme légèrement différente d'un tuyau peut tout changer: la fameuse canalisation qui a lâché sur 2 moteurs au cours d'AS-502 a été redessinée pour AS-503. Ces quelques cm de tuyau en plus doivent résoudre le problème.

Pour diminuer l'effet pogo, qui est un mouvement du moteur central de haut en bas qui fait varier la pression dans les canalisations qui va l'auto-amplifier, des amortisseurs sont insérés dans les canalisations de LOX. Ce sont des sphères d'hélium qui font tampon.

Le décollage se passe à la perfection. Le lanceur s'éloigne immédiatement de la tour, comme prévu. Les accéléromètres indiquent que les ailerons en bas du S-1C s'agitent pas mal pendant le vol cependant. Ils battent un peu des ailes.

Les moteurs ne consomment pas leurs ergols tout à fait comme prévu. Dans le plan de vol, les 4 moteurs extérieurs (éteints nominalement après le central) devaient être coupés par manque de LOX. Mais là c'est par manque de RP-1 qu'ils sont coupés, 2.5s plus tard que prévu.

De nouveau, des bouts de bouclier thermique arrière ont été arrachés.
Aussi, AS-503 était le dernier vol où 4 caméras étaient embarquées pour filmer l'intérieur des réservoirs. 3 des 4 caméras ne se sont pas détachées. La 4è aura sa pellicule abimée par l'eau de mer.

Le S-II a certains connecteurs mal attachés et perd sa puissance électrique principale pendant plusieurs secondes autour de Max-Q. La redondante prend le relai sans mal.
Les modifications du moteur J-2 se montrent suffisantes, la canalisation d'hydrogène tient bon !

Par contre le moteur central se met à vibrer très fort à près de 20Hz, et rentre en résonnance avec la structure qui le tient. Ce n'est pas du pogo puisque pas relié aux canalisations, mais à des vibrations acoustiques générées par la pompe à LOX. Les astronautes le ressentent.

Les vibrations atteignent 82% de la limite structurelle, le risque étant une destruction de la structure en croix du S-II.
Le moteur n'a pas à être coupé, et les amortisseurs font que le CM (et les astronautes) n'en souffrent pas trop. Mais c'était pas loin du gros pépin.

La mission du S-IVB, elle, fut un succès total et l'étage supérieur s'est comporté comme un charme, à la fois pour son allumage initiale de mise sur orbite, et pour son ré-allumage pour envoyer les astronautes vers la Lune.
Il sera ensuite envoyé vers une orbite autour du soleil.

Prochaine mission: AS-504 qui va amener Apollo 9 sur orbite basse terrestre. Pour la Saturn V, pour la première fois l'étage S-IVB va être allumé 3 fois pour simuler une mission lunaire complète.
Le décollage se fait sans aucun problème.

Par contre dès la 30è seconde, la poussée des 5 moteurs diminue de plus de 1%, et va en se dégradant. En fin de poussée, le S-1C a une poussée réduite de 2,3%. La raison est une mauvaise caractérisation des moteurs F-1 nouvelle génération de ce vol (mériterait un thread aussi ça)

Impact direct de cette perte de performance: au moment de la séparation d'étage du S-1C, le lanceur avant 30 m/s trop lent et 4km trop bas ! Max-Q apparait 4s trop tard, et toute la trajectoire est à récupérer, le S-II va devoir sur-performer pour compenser ça.

Mais évidemment, il va y avoir au contraire une double mauvaise surprise: dès le début de sa poussée, le S-II affiche lui aussi un déficit de poussée ! 🤦‍♂️
En fin de poussée, les moteurs mangent 37 kg/s d'ergols en moins que prévu et poussent 14 tonnes trop peu. 14 tonnes...

Au total le déficit de vitesse du lanceur atteint 81 m/s à la fin de poussée du S-II. C'est significatif et heureusement que ça n'est pas une vraie mission lunaire puisque le S-IVB aurait été poussé en limite de ses capacités pour rattraper ça.
Regardez l'écart des courbes :

Ce S-II a aussi subit les oscillations du vol précédent autour de 20Hz en fin de poussée, mais cette fois-ci en mode violent: +/- 12g vingt fois par seconde ont secoué la structure de l'étage. Pour le prochain vol, ils voudront couper le moteur avant que ça se produise.

De plus, l'étage S-IVB a été surchargé en ergols, ce qui a alourdi l'ensemble et participé au manque de vitesse final. Le S-IVB a aussi une jauge qui indique une trop forte pression hydraulique depuis 3h avant le décollage sans qu'on sache trop si c'est une fausse alarme ou pas.

L'étage S-IVB s'allume et fonctionne à merveille pendant 10s de plus que prévu pour récupérer la perte de performance des 2 premiers étages. La trajectoire finale n'est pas parfaite mais suffisante et les modules d'Apollo sont largués. Mais la mission du S-IVB n'est pas terminée.

Peu avant le 2è allumage, un moteur d'appoint APS commence à perdre sa pression. Puis l'allumage est photographié par l'équipage situé pas très loin, et se passe à merveille. Le S-IVB part sur une orbite elliptique et attend son 3è et dernier allumage.

Là ils ont été joueurs: après 80min d'attente, ils ont voulu tenter d'allumer le moteur "à chaud", c'est à dire sans refroidir les tuyaux avec du LOX et du LH2 puisque ça pourrait arriver avec un équipage un jour.
"Chaud" = -252°C pour le LH2 et -156°C pour le LOX quand même. 🥶

Dès l'allumage du J-2 c'est parti en cacahuète, le générateur de gaz a été endommagé et des instabilités de combustion sont apparues dans la chambre de combustion principale. Tout l'étage s'est mis à vibrer et à casser des équipements. La poussée s'effondre :

L'étage a quand même continué à fonctionner. Après 50s, l'hydraulique tombe en panne. La pressurisation aussi. Des vannes s'ouvrent et le S-IVB commence à se purger alors qu'il fonctionne ! Le contrôle d'attitude bug.
4 min plus tard il se coupe comme planifié, dans un sale état.

Au final ce vol montre une fois de plus la résilience de ce lanceur, qui est assez chaotique en ne faisant jamais vraiment ce qu'on attend de lui, mais en se montrant aussi capable de faire le job en mode dégradé malgré tout.
Plein de corrections, puis c'est parti pour AS-505.

Plus question de faire des tests bizarres avec le S-IVB pour cette mission, puisque AS-505 emmène l'équipage d'Apollo 10 vers la Lune.
Décollage. Les nouveaux moteurs F-1 oscillent à 80Hz à l'allumage, mais rien de trop méchant. Par contre dès le début on remarque que...

le moteur F-1 n°1 pousse nettement moins que prévu. Parfois ça remonte à une valeur normale, parfois il pousse 10 tonnes trop peu, et on ne saura jamais vraiment pourquoi. La fusée compense en modifiant son angle d'attaque et en fonctionnant plus longtemps que prévu.

Lors de la séparation d'étage, tout le LOX sous pression du moteur F-1 n°5 (le central) se met à fuir dans la baie moteur. Ca n'aura pas de conséquence. Pas de pogo sur le S-1C, puis pas de pogo sur le S-II. L'hydraulique du moteur J-2 central semble fuir, la pression tombe vite.

La aussi pour une raison jamais élucidée, la pression du moteur ira se stabilisée à une valeur acceptable. Bon.
Le moteur central est coupé tôt dans le vol pour éviter les vibrations des 2 derniers vols. C'était la seule façon de les éviter et ça marche. Puis allumage S-IVB.

Dès l'allumage, les astronautes notent des oscillations à 20Hz du même genre que celles des vols précédents. A ça viennent s'ajouter quelques secondes plus tard des vibrations haute fréquence, là aussi (désagréablement) remarquées par les astronautes. Le J-2 est capricieux.

Premier arrêt du S-IVB, l'orbite basse est quasi-parfaite. Rallumage, après mise à feu des moteurs de tassement APS. Et là, une des bouteilles d'hélium (les boules visibles autour du moteur) de mise sous pression des APS se met à fuir rapidement à cause d'un joint défaillant.

Avec un moteur APS un peu grippé, l'allumage se fait quand même bien et l'équipage part ainsi vers la Lune. Pendant la poussée finale, un switch coaxial défaille et le signal radio du S-IVB sera très mauvais jusqu'à la fin de la poussée (et du vol nominal).

Je ne pourrais pas conclure ce vol sans évoquer ce qui s'est passé 10h avant le décollage: le système de purge du fluide de refroidissement des électroniques s'est ouvert, et celui de la pile nucléaire (RTG) s'est retrouvé à sec. Pas vraiment nominal...

La 6è mission de la Saturn-V restera dans l'histoire comme celle du premier alunissage. Mais pour être honnête, pour le lanceur cette mission n'avait rien de très différent par rapport à d'habitude.
Par rapport à Apollo 10, plusieurs équipements de la fusée ont été simplifiés.

Pour ce vol ils ont dégagé un bon paquet d'appareils de mesure et de télémétrie, ainsi que de l'électronique de contrôle thermique dans les étages S-1C et S-II, par contre ils ont revu en profondeur le S-IVB avec un J-2 amélioré (différent de ceux du S-II), des instruments, etc.

Le S-1C ne semble plus trop poser de problème ces derniers vols, et celui-ci continue cette bonne tendance: tout se passe de façon nominale, ou presque. Un cache du S-II ne se ferme pas au décollage, et le capot d'un bras de maintien ne se referme pas, l'endommageant salement.

Comme lors des 3 derniers vols, le moteur F-1 central se met à décharger du LOX sitôt la séparation d'étage effectuée. Le S-1C est pile sur sa trajectoire. Lors de l'allumage du S-II, la pression d'hélium de démarrage d'un moteur est trop basse, et une autre bonbonne fuit fort.

Les moteurs 1 et 2 font un peu de yoyo, et se retrouve tantôt en sur-régime tantôt en sous-régime. Globalement, l'étage est moins performant que prévu et la trajectoire dévie un peu. En fin de propulsion, le S-II a perdu 30 m/s par rapport à quand il a commencé à pousser.

La S-IVB s'allume sans problème, récupère la vitesse perdue par le S-II puis se met sur la bonne orbite de parking.
Par contre durant cette orbite, le contrôle thermique fonctionne mal et l'oxygène gazeux commence à se liquéfier dans le réservoir: la pression interne s'effondre.

Par contre, moins cool, les vibrations à 20Hz toujours présentes pendant la mise sur orbite rendant la fin de l'ascension assez désagréable. De nouveaux mauvaises connexions électriques rendent les transmissions difficiles. Mais peu d'incidents ont lieu pour cette mission. Bravo.

Nous voilà déjà au 7è vol de la Saturn V pour la mission Apollo 12. Par rapport au vol précédent, la structure inter-étage entre les deux 1ers étages a été modifiée, et l'instrument du S-II et du S-IVB a été améliorée.
Mais les problèmes ont commencé avant la mise à feu.

Deux jours avant le tir, un réservoir d'hydrogène du module de service fuit, et sera remplacé par celui d'Apollo 13. 17h avant le tir, une pause de 6h a lieu pour vidanger et re-remplir les réservoirs de ce même module.
Mais le retard est rattrapé et ils tirent à l'heure.

Le démarrage des moteurs F-1 ne se passe pas comme prévu. Au lieu d'un allumage séquentiel dit "1-2-2" (le moteur central puis 2 moteurs puis 2 autres), il y a eu un allumage 1-2-1-1. Le moteur n°4 a eu du retard à l'allumage pour une raison inconnue, sans grande conséquence.

Le reste de la phase propulsée se passe plutôt bien pour les moteurs, même s'ils sont un poil moins performant que prévu et qu'il termine sa poussée avec une vitesse 10m/s trop faible par rapport à l'attendu.
Aussi, après 36,5s la fusée se prend la foudre au milieu des nuages.

Aucun système du lanceur n'a vraiment été affecté le S-1C n'a rien senti, le S-II 2 petits signaux mineurs et le S-IVB a eu ses émissions radios affectés une fraction de seconde. C'est tout.
Les piles à combustible du module de service ont été brièvement déconnectées.

Pour rappel ça ne sont pas les ordinateurs d'Apollo qui pilotent la Saturn V, c'est la case à équipement située sur le S-IVB. Donc même si les astronautes ont flippé parce que leurs ordinateurs indiquaient n'importe quoi, le lanceur, lui, n'a rien ressenti et a continué sa route.

Puis le S-II s'est parfaitement allumé. Mais ses vieux démons sont revenus: alors même que dorénavant ils coupent le moteur central plus tôt pour éviter les vibrations, les 5 moteurs se mettent à osciller à 20Hz vers la fin du vol, et plus fort que jamais auparavant !

Pour la première fois, les contraintes mécaniques dépassaient celles pour lesquelles le lanceur a été conçu. L'issue aurait pu être dramatique si les poutres qui tiennent le moteur central s'étaient cassées.
L'hydraulique semble en avoir souffert et a soudainement chauffé.

Le moteur J-2 du S-IVB s'est ensuite parfaitement allumé puis éteint pour la mise sur orbite. Mais avant la 2è poussée vers la Lune, un problème assez sérieux est apparu: il existe un brûleur (une chaudière) sur le S-IVB qui sert à chauffer du gaz pour pressuriser les réservoirs.

Il a été allumé et a bien fonctionné avant d'allumer les moteur. Mais sa vanne d'arrivée de LOX refuse de se fermer en même temps que celle d'hydrogène pour l'éteindre. La combustion à l'intérieur devient Ox-rich: le moteur commence à cramer son propre métal.

Ca crame notamment la vanne d'arrivée d'hydrogène qui se perce, le LH2 revient donc aussi dans la chaudière, relançant une belle flambée !
Tout ça sort par une tuyère d'évacuation et ça accélère (de façon asymétrique) tout le train lunaire.

Au bout d'un moment, la pression d'oxygène commence à baisser, puis finalement une commande arrive à fermer la vanne de LOX pour une raison inconnue.
Par contre jusqu'à la fin de l'hydrogène arrivera dans la chambre par la vanne percée.

Puis le système de pressurisation de secours, de l'hélium froid, passe par la chambre pour aller dans les réservoirs. Chose marrante, cet hélium va former un bouchon d'hydrogène solide qui va venir boucher la tuyère de cette chaudière et éviter ainsi la fuite continue d'ergols.

2è poussée, puis c'est enfin fini pour ce lancement mouvementé.
La prochaine fois qu'on vous parlera du lancement d'Apollo 12 et de ses problèmes, vous leur répondrez que l'éclair et le "SCE to AUX" fut bien anecdotique comparé au reste dont on n'entend pourtant jamais parler. 😉

La préparation du 8è vol de Saturn V ne se fait pas sans problèmes. Une vanne de purge du réservoir de LOX du S-1C reste bloquée en position ouverte 2h avant le tir, ce qui le vide partiellement. Heureusement ce problème est réglé rapidement par l'envoi d'azote sous pression.

En forçant des cycles d'ouverture/fermeture de la vanne, au bout d'un moment elle s'est refermée. Ils n'y ont plus touchée ensuite. L'étage S-II avait pour la première fois de la mousse isolante appliquée en spray pour son isolation, comme plus tard la navette.

Comme lors du vol précédent, le démarrage s'est fait en 1-2-1-1 parce que le moteur n°4 a été lent à l'allumage. Ce moteur n°4 avait été remplacé peu avant le vol et n'avait jamais été testé avec les autres, ce qui explique en partie sa mauvaise synchronisation.

Le moteur F-1 n°2 n'est pas passé loin d'un gros problème: la pression du lubrifiant (du RP-1) d'un de ses 3 roulements à bille a augmenté et été proche de la limite supportable. Des tests au sol ont montré que si celle limite était dépassée, le roulement explosait. 😬

La séparation d'étage S-1C et S-II s'est faite sans problème, à la bonne altitude et à la bonne vitesse. L'allumage des moteurs se fait sans problème, mais le moteur central commence à vibrer (comme d'hab) bien plus tôt que prévu (pas comme d'hab). Et de plus en plus fort.

Sauf que cette fois-ci ça n'est pas juste des oscillations acoustiques, c'est du pogo: le moteur oscille avec ses canalisations qui font osciller sa poussée et amplifie le phénomène. La croix de soutien du J-2 vibre à plus de 30g quinze fois par seconde.

Les accéléromètres attachés dessus saturent, le lanceur n'a jamais été conçu pour ça. La pression en entrée du moteur oscille beaucoup, et c'est une baisse trop importante de pression qui coupe le moteur avec 2min d'avance pour éviter de la cavitation.

La trajectoire du lanceur se trouve pas mal impactée, et les 4 moteurs extérieurs se retrouvent à fonctionner 35s de plus que prévu. Mais même ça ne suffit pas, l'étage est éteint parce qu'il n'y a plus de LOX à bord et la fusée va trop lentement. Le S-IVB va devoir bosser dur.

Le S-IVB va fonctionner 10s de plus pour rattraper l'accélération perdue par le S-II. La TLI se passe bien, le S-IVB est mis ensuite sur une trajectoire d'impact avec la Lune. Mais pour une raison inconnue, il va perdre 3m/s en 1 min ce qui le fera s'écarter de sa cible.

Par chance, ce bug rapproche l'étage du sismomètre d'Apollo 12 et le signal de l'impact sera 4x plus important que prévu. Ils s'en sortent bien pour une fois. Fin de la mission de la Saturn-V, mais celle d'Apollo 13 ne fait que commencer.
Je suis sur que tout va bien se passer...

Le 9è vol de la Saturn V s'avèrera être le plus proche de ce qu'on pourrait appeler un vol sans histoire. La mission Apollo associée fut aussi un succès malgré quelques péripéties d'ailleurs.
Bon, même s'il ne s'est pas passé grand chose d'anormal pendant ce vol, allons-y :

Des ajustements ont lieu pendant le compte à rebours. Déjà il fait plus froid que prévu et le RP-1 ne prend pas assez de place, donc ils doivent remplir un peu plus les réservoirs. Du RP-1 va d'ailleurs se répandre sur le pas de tir au décollage avec une vanne restée ouverte.

Une batterie a surchauffé et a du être changée sur le pas de tir. Un "hold" de 40min a lieu à 8min du décollage pour cause météo, l'azimut de tir est modifié de 3,5° en conséquence (roll program modifié). L'horloge de bord retarde de 0,3s mais tant pis, ils décollent comme ça.

Le décollage est nominal. Pour la 1è fois, le réservoir de LOX a un système venturi pour la pressurisation et remplace la vieille vanne d'oxygène gazeux. Ce système fonctionne à merveille.
Des photos magnifiques du décollage sous et au-dessus des nuages (par avion) sont prises.

Allumage du S-II: à cause du "hold" de 40min, l'hydrogène s'est un peu trop réchauffé et les pompes n'aiment pas ça ce qui génère quelques turbulences dans le générateur de gaz. Vu le dernier vol mouvementé, un système anti-pogo a été installé et fonctionne comme un charme.

Par contre vers la fin du vol du S-II, le système de pressurisation du réservoir de LOX défaille à cause d'une vanne partiellement ouverte. Si cette vanne avait été seulement 10% moins bien ouverte, la mission était perdue car les 5 moteurs auraient été éteints. Ils ont eu chaud.

Le S-IVB fait une mission quasi nominale (quelques déviations mineures, pas le temps on est sur Twitter) et termine sa course à moins de 300km de sa cible sur la Lune -> Succès.
Ce vol presque sans histoire précède les suivants qui ont eu nettement plus d'histoires.

Première mission de type J, c'est à dire avec un rover et d'autres joyeusetés à son bord, Apollo 15 dut utiliser une version améliorée de la Saturn V pour embarquer tout ça en plus.
Il faudrait un thread pour tout expliquer donc en bref: bienvenue à la Saturn V block 2.

Avant le vol, le moteur n°1 (un du bord) a été changé suite à l'essai complet de l'étage suite à un défaut. Ca aura des conséquences sur la séquence de démarrage des 5 moteurs qui se fera en 1-1-2-1 (une première) au lieu de 1-2-2. Sans conséquence heureusement.

Lors du démarrage des moteurs, le système d'extinction d'incendie s'est déclenché par erreur dans la chambre 4A, libérant ainsi des centaines de kg de poudre sèche. Apparemment ça a été une galère de plusieurs jours pour une équipe nombreuse pour tout nettoyer. 😅

Il y a eu une fuite lors du chargement d'oxygène, des faux messages d'erreur lors de celui d'hydrogène. Puis dès l'allumage, le moteur F-1 n°3 fait des siennes: il consomme 65% d'azote en plus que le pire moteur auparavant. L'azote sert à pressuriser les joints de la pompe.

Lors de la séparation d'étages S-1C/S-II, les 5 moteurs F-1 ont une poussée résiduelle plus forte que prévu. Heureusement que les 4 rétro-fusées ont bien fonctionné sinon même avec 3 rétros l'étage aurait pu remonter taper le S-II. Pour le prochain vol, il y aura donc 8 rétros.

Il faut savoir que jusqu'à ce vol, il y avait 8 rétro-fusées et que c'est la première fois qu'ils en utilisaient seulement 4. Ils se sont faits une belle frayeur, ce fut le seul vol avec 4 rétros. Ensuite, le S-II fait pour la 1è fois en 10 vols une mission parfaite. Bravo à lui.

On ne peut pas en dire autant du S-IVB. D'abord de belles vibrations à 15Hz jusqu'à la mise sur orbite. Puis la vanne d'hydrogène du générateur de gaz fuit, de l'hydrogène liquide coule partout dans le moteur qui devient trop froid. Mais la 2è poussée vers la Lune se passe bien.

La trajectoire n'est pas parfaite puisqu'en orbite basse, de l'oxygène s'était mis à fuir pas une vanne de purge dégazant pas moins de 250kg d'oxydant. De même après la TLI, un dégazage d'hélium a donné une impulsion de 2000 kg.s, l'impact sur la Lune de l'étage a été imprécis.

Pas mal de modifications du lanceur entre AS-510 et AS-511 (Apollo 16). Outre le retour à 8 rétro-fusées, on notera un changement de matériau pour les conduites de LOX, l'ajout de redondance dans les instruments et des canalisations redondantes + capteurs dans les J-2.

Le compte à rebours se passe sans encombre après que pas mal de bouts du S-II et du S-IVB aient du êtres changés une fois le lanceur déjà assemblé. Puis pendant le remplissage quelques vannes récalcitrantes et des capteurs qui erratiques, mais rien de bloquant.

Au décollage, un des accéléromètres indique à tort que le lanceur se déplace de 1m/s sur le côté. Le lanceur réagit mollement, et heureusement. Pour les prochains vols, les accéléromètres ne seront plus utilisés pendant les 10 premières secondes du vol.

La manœuvre d'éloignement de la tour a été plus importante et plus longue que prévu, ce qui aura un impact sur la trajectoire. La poussée des moteurs F-1 est globalement nominale sinon, et la fusée est sur la bonne trajectoire pour allumer son S-II.

Pour la 1ère fois en 11 vols, la communication n'est pas perdue pendant la séparation d'étage S-1C/S-II. Par contre contrairement à AS-510, elle sera de nouveau perdue lors de la structure inter-étage autour des S-II qui a lieu 30s après l'allumages des 5 moteurs J-2.
📸 Apollo 4

Lors de l'allumage du S-II, le moteur n°4 consomme beaucoup plus d'hélium (de pressurisation) que prévu à cause d'une vanne trop lente. On voit que la pression diminue de 73 psi/s avant de se stabiliser. Si la pression avait continué à baisser, la mission était perdue: Abort.

Les analyses post-vol ont remarqué que si la baisse avait duré 30s de plus ça aurait suffit à annuler la mission. Ils changeront de vanne pour les vols suivants. Le S-IVB s'allume ensuite gentiment et termine la mise sur une orbite correcte (quoiqu'un peu trop rapide).

Deux trucs pas marrants se sont ensuite passés sur le S-IVB: déjà un des 2 moteurs d'appoints a été sur-pressurisé suite à une fuite d'hélium, puis a continué à fuir pendant tout le reste de la mission rendant l'étage peu contrôlable. L'impact sur la Lune sera très peu précis.

Autre point plus gênant: dès le début du vol, la pression en azote pour refroidir la case à équipement (le "cerveau" de la fusée) s'est mise à chuter. Après 5h de vol, plus rien n'était refroidi et ça a commencé à sérieusement chauffer. Ils ont eu du bol avec ce vol.

Le 12è et avant-dernier vol de la Saturn V va envoyer Apollo 17 vers la Lune. Cette Saturn V a des moteurs F-1 améliorés, une toute nouvelle électronique pour les J-2 ainsi que des systèmes de purge repensés. Et plein de modifs dans la case à équipement que je ne détaille pas.

Avant le décollage, l'allumeur du moteur F-1 n°2 tombe en panne et sera remplacé. A 3min du tir, le séquenceur responsable des évènement pré-vol tombe en panne et ne pressurise pas le réservoir de LOX du S-IVB. A H-30s, il y a un "hold" pour réparer ça qui va durer... 2h40 !

Le tir initialement prévu au crépuscule peu après le coucher de soleil va se décaler dans la nuit. Finalement ils n'arrivent pas à réparer le séquenceur, et forcent la pressurisation du réservoir de LOX du S-IVB. Tout le reste de la séquence sera nominal, ils décollent à 0h33.

A l'allumage, les moteurs F-1 font un peu n'importe quoi: au lieu d'allumer 1 moteur, puis 2 puis 2 (1-2-2), ils s'allument en 2-1-1-1. Bon, sans conséquence sur la structure heureusement.
Ils concluent que l'allumage des F-1 n'est pas finement réglable, tant pis.

Pour une raison inconnue et déjà observée lors du static fire (oui, les moteurs étaient tous testés avant le tir) le moteur n°2 vibre à 11Hz de façon assez violente mais en dessous des limites structurelles. Et pas de pogo puisque ça n'est pas le moteur central.

Dès le décollage, une petite fuite probable dans le générateur de gaz du moteur n°1 fait chauffer le bâti moteur et dépasser les températures attendues. Heureusement la fuite reste contenue et semble s'être bouchée d'elle même après 1 minute de vol.

Pour une raison pas très claire, l'étage S-II est assez peu performant. Tout semble bien fonctionner, mais l'impulsion spécifique (facteur de qualité) des moteurs est le plus faible jamais enregistré pour un vol de S-II. Cette perte de performance sera compensée pas le S-IVB.

Pour arriver à la même heure que prévue sur la Lune avant le hold de 2h40, le rallumage du S-IVB pour partir vers la Lune est avancé de 2h40. Les 2 allumages du S-IVB vont secouer les astronautes car le J-2 a décidé de vibrer à 18Hz comme il le fait parfois.

La case à équipement a décidé de faire des siennes aussi pendant ce vol puisque pendant le vol du S-II la télémétrie a figé à 2 reprises, et plus tard a fait faire une manœuvre erratique à la tuyère du S-IVB. Enfin, une batterie du S-IVB a surchauffé et a grillé en fin de vol.

Et voici enfin le 13è et dernier vol de Saturn V, qui doit envoyer la station Skylab sur orbite. Pour toucher au minimum la configuration du lanceur est identique à d'habitude, sauf que le S-IVB a été vidé et transformé en station spatiale. Pour la 1è fois, Saturn V a une coiffe.

Afin de ne pas avoir à modifier la case à équipement, elle fut installée au même endroit qu'avant, c'est à dire en haut du S-IVB/Skykab. Ils en profiteront tant qu'à faire pour s'en servir à contrôler la station aussi. Sous la coiffe, un nœud d'amarrage et des instruments.

Bon malgré tout il y a beaucoup de modifications faites au lanceur:
- S-1C, les moteurs s'éteignent par pair (1-2-2) comme à l'allumage pour baisser les contraintes sur les télescopes.
- S-II: bcp de choses, comme l'ajout de 1,2t de ballast dans la structure inter-étage pour...

... augmenter son inertie et limiter le risque de collision en le larguant, modifications de matériaux, ajout d'une redondance pour la séparation de structure inter-étage (vu son poids lesté, on ne veut pas se rater), ajout de systèmes de purges, etc.

- Enfin, les modifications de la case à équipement entre AS-512 et AS-513 feraient plusieurs thread d'explication. En gros, tout le logiciel a été amélioré ou changé, de même que les interfaces électriques, les structures, etc.

L'allumage des moteurs F-1 aurait du se faire par pair, mais pour finir chaque moteur s'est allumé l'un après l'autre sans que les pairs soient vraiment visibles. L'accélération est plus rapide qu'avec Apollo et la pression en entrée moteur est d'autant plus augmentée.

Cette hausse de pression va légèrement augmenter l'Isp des F-1. De plus un peu de vent de dos va accélérer la fusée. Pour finir, la Saturn V avance 18 m/s trop vite au moment de l'extinction du S-1C. C'est pas bon d'aller trop vite, la pression dynamique max fut très élevée.

Les modifications faites au lanceur font qu'il n'a plus les mêmes modes de résonnance structurelle. Et c'est ainsi que ce bon vieil effet pogo va réapparaitre sur le S-1C, secouant tout le lanceur à 6Hz dans le sens haut/bas. Il suffit de pas grand chose pour que ça revienne.

Au bout d'une minute de vol, tout le lanceur vibre d'un coup. Il sera découvert que la protection contre les météorites de Skylab vient de s'arracher sous la pression du vent et a envoyé des shrapnels un peu partout plus bas sur le lanceur.

Plus tard (à 10 min de vol), un panneau solaire déjà endommagé par cet évènement commence à se déployer en plein vol. Il sera arraché, modifiant temporairement la trajectoire du lanceur et compliquant ensuite la vie des astronautes.

Puis vient la séparation d'étage S-1C/S-II puis l'allumage des moteurs du S-II. Tout se fait parfaitement.
Après 30s, la jupe inter-étage doit être larguée. Mais bizarrement, les J-2 commencent à chauffer et la fusée accélère moins vite que prévu.

Les morceaux de bouclier arrachés ont endommagé le cordon explosif de la structure inter-étage, et un quart du cerclage qui fait le tour du S-II n'explose pas. La structure reste attachée avec ses 1,2 tonnes de plomb de ballast. Et les moteurs chauffent méchamment dans ce four.

Si cela avait eu lieu lors d'un vol Apollo, ça aurait été une annulation immédiate de mission. Par "chance", l'arrachage des éléments de Skylab a fait gagner 270kg à l'ensemble, et le S-1C a surperformé. Et heureusement qu'ils avaient pas mal de marge au décollage.

Tout le bâti moteur brûle. Des températures 150°C degrés plus chaudes que prévu sont mesurées tout autour, et les systèmes hydrauliques et électriques sont mis à rude épreuve. De façon incroyable, tout a fonctionné nominalement, même si tout avait à moitié cramé.

Le S-II a poussé plus longtemps pour contrebalancer le lest toujours attaché à ses pieds, et à cause de la chaleur dans la structure les réservoirs de LOX et de LH2 se sont mis à chauffer et à bouillir plus vite que prévu, devant purger en cours de vol ce trop-plein de gaz.

Finalement tout se termine bien pour AS-513 comme pour les 12 vols précédents, malgré ces innombrables péripéties. Ce lanceur aura prouvé une sacrée résilience.
Merci d'avoir lu ce thread jusqu'ici, peut-être ne verrez vous plus ce lanceur légendaire tout à fait de la même façon.

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