Loïc Guermeur 🌊⚓️🔱🌐🏉 Profile picture
Histoire navale⚓️mili. Monde maritime, Defense. Navigateur, Cap-Hornier x2. ex-Marine Nationale. Capitaine au port du Havre, officier de vigie.

Jan 18, 2022, 30 tweets

Photo de l’USS #Missouri échoué dans la baie de Chesapeake, le 17 janvier 1950. Il fallu attendre deux semaines et la marée idéale pour tirer de là le célèbre cuirassé américain.
Comment est-ce arrivé?
C'est ce que je vous explique ici
#Thread

L’USS Missouri, 57 000 tonnes, lancé en janvier 1944, est célèbre pour avoir accueilli la cérémonie de capitulation du Japon le 2 septembre 1945 en baie de Tokyo, marquant la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il fut retiré du service le 31 mars 1992

Ce jour là, Le Missouri est commandé par le commandant Brown depuis un mois. Si celui-ci a une grande expérience, il n’a jamais commandé un navire de cette taille. Avant ce 17 jan, il n’est sorti qu’un jour en mer, le 23 décembre. Il n'a donc pas pu se familiariser avec le navire

Quatre jours avant le départ, l’US Navy demande à Brown s’il est d’accord pour effectuer des tests acoustiques lors de son départ. Il s’agit d’un procédé nouveau qui consiste à passer au dessus de câbles pour enregistrer la signature acoustique propre à chaque navire.

Le passage est marqué sur les cartes de navigation par 5 bouées oranges et blanches juste avant le « coude », un virage prononcé sur la droite vers un chenal plus étroit puis l’océan. Le passage est situé en haut du chenal, proche des remontées de fonds, de sable et vase.

Sauf que la Navy a retiré 3 bouées, et que les cartes ne sont pas modifiées
Le 17, le Mo doit partir pour un grand exercice à Cuba. Le passage acoustique est brièvement évoqué lors du briefing le 14, et bien qu’informé par le navigateur, Brown reste dans l'idée qu'il y a 5 bouées

Je vais maintenant rentrer dans les détails des 45minutes entrainant l’échouage. Sont impliqués: le commandant Brown, Peckham commandant en second, Millet (officier opérations) les lieutenants Morris (navigateur) et Arnold. Le format twitter impose de rester succinct.

17 janvier. 07h25. Le Missouri appareille à pleine charge, avec un tirant d’eau de 11m. Le commandant a la manoeuvre depuis le pont 8 pour une meilleure visibilité, en lien avec la passerelle de navigation par opérateur répétant les ordres. Il est avec Peckham, le CDT en second.

Après avoir débarqué le pilote, Brown navigue au 053°, vers les bouées acoustiques. Beaucoup de courant, peu de vent, grande marées. Vitesse 8 noeuds. Tout se passe bien, Brown décide de descendre en chambre des cartes et sans prévenir, donne la manœuvre à Peckham. Il est 08h05.

Brown arrive 4 ponts plus bas en salle des cartes, interrompant du coup le suivi de la navigation, il averti Peckham au sujet des essais acoustiques. Celui ci n’était pas au courant. Il reste 10min avant le virage et les bouées.

Brown retourne au 8e pont, et reprend la manoeuvre en sermonnant l'équipe passerelle pas au courant des essais acoustiques.
08h10 Peckham se rend en salle des cartes et se rend compte que le Missouri se rapproche dangereusement des hauts fonds

Brown, en discussion avec Morris et Miller choisit d’accélérer à 15noeuds, vitesse très élevée. C’est à ce moment qu’Arnold detecte une bouée orange et blanche à 900m. Mais l’info passe mal, Brown pense qu’il s’agit de la bouée acoustique tribord alors que c'est la bouée bâbord

08h12
Brown ordonne de passer au nord de la bouée, se rapprochant dangereusement des remontées de fonds. Apercevant d'autres bouées droit devant, Brown estime qu’il doit s’agir des bouées marquant la fin des essais acoustiques alors qu’il s’agit de bouées de zone de pêche…

C’est à ce moment que Morris, le navigateur, puis Pechkham, commandant en second, suggèrent de corriger la route et venir sur la droite.
08h15 alors que le Missouri franchit le relèvement de garde Peckham recommande à Brown de" venir par la droite immédiatement"

Relèvement de garde. Lorsque l’on prépare une navigation, on balise notre carte de relèvements limites qui marquent les dangers. Exemple ici : si on relève au compas le Fort Monroe inférieur à 225°, c’est que l’on est forcément dans des fonds inférieurs à 10m. il faut donc réagir

Malheureusement, l’opérateur chargé de répéter à Brown bafouilla et Brown ne demanda pas de clarification. Au même moment, Morris : «Commandant, nous entrons dans les bancs, il faut vraiment que vous veniez à droite! »

Voyant Brown sans réaction, Morris cria « commandant, venez à droite, à DROITE !! ». Ce à quoi Brown lui demanda de se calmer. Mais pris par le doute, Brown demanda à Peckham de vérifier la position.
08h17, le barreur paniqué reçoit ENFIN l'ordre de virer à droite.
Mais trop tard

A une vitesse de 12noeuds, 57000 tonnes de fer, mazout et munitions s’arrêtèrent quasiment net. Tout l’équipage secoué sentit le Missouri se soulever de 7m sur le banc de sable et vase. L’officier machine eut le réflexe de stopper les machines en urgence.

Coincé presque 800m hors du chenal, le Missouri était à la vue de tous, rapidement moqué. Le surnom "Mighty Mo" (le puissant Missouri) devint "Muddy Mo" (Le Missouri plein de vase). La Marine Soviétique se moqua également de l'incident. Brown reçut même une pâtisserie spéciale.

Le sauvetage mériterait un thread à part. Il fallu décharger toutes les munitions, l’eau, le carburant etc pour alléger le navire, draguer autour du Mo pour enlever de la vase, creuser un petit chenal pour revenir dans les eaux saines, puis manoeuvrer à l’aide de remorqueurs

Le 1er février 1950, à l’aide 23 remorqueurs et engins, le Missouri fut libéré. il passa au bassin pour inspection et réparation de la coque. Brown passa en cours martiale et ne commanda plus jamais un navire.

Analyse : Beaucoup de manquements et d’erreurs ont conduit à l’échouage.
US Navy : Les câbles de mesures acoustiques étaient placés bien trop près des dangers, n’a pas autorisé les corrections de cartes.
Photo des dégâts.

Communications : Aucun briefing n’a été fait sur les essais acoustiques. Si Brown n’a pas prévenu les équipes, Millet, officier ops et Morris, navigateur étaient au courant. Morris savait aussi qu’il n’y avait que deux bouées et aurait du s’assurer que Brown en avait conscience

Brown : Méconnaissance du navire et de la zone de navigation, il aurait du déléguer la navigation ou au moins préparer son quart s’il souhaitait la conserver. N’a pas écouté ses adjoints. Est resté au pont 8, impliquant un allongement de la communication

Central opération : L’opérateur radar avait vu que le navire se dirigeait vers les dangers mais n’a pas averti la passerelle estimant que ce n’était pas son rôle. En théorie vrai à l’époque, mais une initiative aurait pu donner le doute à Brown plus tôt.

En conclusion, il y a beaucoup à détailler encore (sondeur neuf non étalonné etc) mais il s’agit de l’exemple parfait du cas où tout ce qui peut foirer arrive en même temps. Grandes marées, forts courants, opérateur qui bafouille, effet tunnel etc

Les cartes utilisées dans le fil sont des cartes d'aujourd'hui. En 1950, les cartes n'étaient pas aussi précises, il n'y avait pas autant de bouées de chenalage non plus.

Un bon sujet d’étude pour les journées de sécurité nautique @MarineNationale

Je remercie notamment @BattleshipNJ pour ses réponses à mes questions et le lien pour les archives. Notamment cette vidéo. Je ferais un thread sur le déséchouage.

catalog.archives.gov/id/79565

Et @USSMissouri pour l’autorisation de diffuser la photo du Missouri au bassin.

Share this Scrolly Tale with your friends.

A Scrolly Tale is a new way to read Twitter threads with a more visually immersive experience.
Discover more beautiful Scrolly Tales like this.

Keep scrolling