Mathilde Larrere Profile picture
Historienne des révolutions du 19e sc et de la citoyenneté (Enseignante chercheuse UPEM) / Arrêt sur image/ Politis/ histoire émancipatrice/ militante féministe

Feb 6, 2022, 34 tweets

6 février 1934
Nuit d’émeute antiparlementaire organisée principalement par l'extrême droite à Paris

1)L’émeute, préparée par les ligues d’extrême droite visait moins un coup d’état fasciste que le renversement du gouvernement d’Union de la gauche (majorité parlementaire parti Radical +SFIO (parti socialiste) élue en 1932 et qui soutenait un gouvernement radical.

2)Pour commencer je vous propose ces actualités Pathé, qui montrent surtout le déploiement des forces de l’ordre mais qui rendent aussi un peu compte de la nuit d’émeute fresques.ina.fr/jalons/fiche-m…

3)L’émeute s’inscrit dans un contexte de profond antiparlementarisme, de crise économique (depuis 1929) et de politique d’austérité menée par les radicaux.

Ainsi que dans un contexte international de prise de pouvoir du fascisme (en Italie comme en Allemagne).

4)L’antiparlementarisme, latent depuis les débuts de la IIIe République, était particulièrement alimenté par les associations d’anciens combattants de la grande guerre
Voir le livre d’Antoine Prost

5)Qui plus est, l’antiparlementarisme avait été réactivé par des scandales politico-financiers
L’un deux, l’affaire du crédit municipal de Bayonne mouillait un escroc proche de la gauche (enfin des radicaux) : Stavisky

6)La droite et l’extrême droite s’en emparent d’autant plus goulument que les autres affaires politico-financière visaient plutôt leur camp

7)La mort suspecte de Stavisky le 8 janv (voir la une du Canard) met le feu aux poudres.
L’Action française (ligue d'extrême droite) lance une attaque en règle contre la majorité radical-SFIO
Et comme Stavisky est juif, d’origine étrangère vous imaginez l'antisémitisme…

8)Les manifestations antiparlementaires, violentes, organisées par l’Action française principalement, aux cris d’ « A bas les voleurs ! A bas les assassins ! » se succèdent tout le mois de janvier.

9)Elles poussent à la démission le gouvernement Chautemps (22 janvier).
Un nouveau gouvernement radical est formé derrière Daladier. Ce qui ne calme en rien les esprits

10) Il faut comprendre que ces manifestations d’extrême droite à Paris étaient plutôt tolérées par le préfet de Police Chiappe, proche de ces milieux.

Il interdisait en revanche les manifestations du PCF

11) Or le 3 février, Chiappe est muté au Maroc.
La gauche se réjouit (voir unes ci dessous)

Mais fureur de l’extrême droite !

12) en réaction l'extreme droite appelle à manifester le 6 fevrier
Ce qui complique les choses est que L’ARAC, Association Communiste d’Anciens combattants appelle aussi à manifester mais sur des mots d’ordre qui lui sont propres : l'« arrestation immédiate de Chiappe ! »

13) Chaque ligue, chaque association d’anciens combattants a pour le 6 février son point de ralliement, son trajet.
Les différentes orgas devaient converger sur la place de la Concorde et faire une démonstration de force.

14)Comme vu dans le film plus haut, Paris se prépare à l'émeute et de fait, dans la fin d’après midi, la situation est déjà tendue sur la place : projectiles, affrontements avec les forces de l’ordre

15)Vers 20 h, les cortèges d’anciens combattants arrivent sur la place.

Leur défilé ramène un temps le calme sur la place

16)Mais à peine sont-ils partis que l’émeute reprend de plus belle !

Les forces de l’ordre tirent à plusieurs reprises.

17)Pendant ce temps, les Croix de feu du colonel La Roque font le choix de refuser l’épreuve de force (ils étaient sur l'autre rive)
Après avoir défilé à part, rive gauche, ils se dispersent sur ordre du colonel. Certains rejoignent cpdt individuellement l’émeute

18)Le plan était d’imposer à l’Assemblée un gouvernement provisoire de députés de droite qui attendaient à l’Hôtel de Ville
Et de fait, alors que l'émeute gronde, les députés et conseillers municipaux se dirigent, ceints de leurs écharpes tricolores, à l’Assemblée

19)Une délégation est reçue.
Pendant ce temps dans l’hémicycle la droite essaie aussi d’exploiter l’événement.
La droite crie "Démission ! Gouvernement d’assassins"
Les rares communistes "Vive les soviets!"
La situation plus que confuse dégénère en bagarre entre députés !!

20)La séance se clôt pourtant sur un vote de confiance qui donne une nouvelle majorité à Daladier !

21)Pb, le gouvernement ne trouve pas d’appui dans l’appareil d’Etat. (Flippant qd on y pense)
Le procureur général freine les mesures de répression.
Les commissaires envoyés arrêter les leaders des ligues ne font pas preuve de zèle… et les qq personnes arrêtées sont relâchées.

22)Au matin du 7 on relève 14 morts et 657 blessés, 2 d'entre eux décèderont plusieurs mois plus tard des suites de leurs blessures.

23)Dans ce contexte, certains ministres veulent démissionner, et le parti radical lâche Daladier

Les présidents des deux assemblées poussent le président du conseil pourtant soutenu la veille à démissionner.

24)Seul Blum l’assure du soutien de la SFIO, la CGT lui fera parvenir aussi son soutien mais trop tard car…Daladier se sentant lâché de partout et n’arrivant pas à s’imposer à la justice/police capitule… et démissionne

25) Les radicaux, rompant les accords de 1934, acceptent de former avec la droite (sans la SFIO) un gouvernement d’Union nationale…

A noter que Pétain était dans le nouveau gouvernement ainsi formé

26)Les ligues auront donc été le bras armé de la droite parlementaire qui a pu prendre le pouvoir en pleine mandature et sans majorité à la chambre !

Ce, grâce au « retournement » du parti radical qui a voté pour la droite alors qu’il avait été élu dans une majorité de gauche !

27)D’ailleurs la droite au pouvoir, les ligues se calment étonnamment…

28)Mais le choc du 6 février, interprété comme un coup d'état fasciste (ce qu'il n'est pas) suscite immédiatement des réactions à gauche.
D’abord de la part du PCF qui organise une manifestation le 9.
Laquelle est réprimée.

29)En réaction à cette répression c’est toute la gauche (socialiste et communiste, partis et syndicats) qui appelle à se mobiliser le 12 février : grève et manifestation.

30)D’abord en ordre dispersé. la gauche était alors très divisée entre communistes et socialistes
Deux cortèges distincts s’élancent.

Le mot d’ordre est « antifascisme »

31)La suite on la connaît, les deux cortèges socialiste et communiste (SFIO et CGT d'un côté, PCF et CGTU de l'autre) fusionnent spontanément place de la Nation au cri d’Unité !
(et vu l'ampleur des divisions entre les deux, c'était pas rien!)

32)Une des premières pierres du front populaire était posée…
même s’il fallut un an pour concrétiser l’union

(image de juillet 1935)

un peu de biblio pour finir

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