En juin 1966, la France est le premier pays au monde à classer les psychédéliques dans le tableau des stupéfiants. Cette décision a pour effet indirect de mettre un terme aux recherches scientifiques menées à l’époque sur la substance. Mais comment en est-on arrivés là ? Un 🧵
Un mois et demie plus tôt, une série de 3 articles parus dans @lemondefr avait provoqué une « panique morale » : la journaliste et médecin Claudine Escoffier-Lambiotte y faisait découvrir aux français·es une « drogue » encore inconnue dans le pays, le LSD
Contrairement aux USA, où le LSD était alors un médicament connu de la population, en France les échecs des essais thérapeutiques (voir mon article journals.openedition.org/hms/2168) font que la presse ne s’est pas intéressée jusque là à ce psychotrope.
Mais alors que les tabloïds américains commencent à se déchaîner sur les prétendus dangers du LSD (et à vendre ainsi beaucoup de journaux), Escoffier-Lambiotte sent qu’il y aurait là un sujet de choix.
Adoptant donc le ton de ces articles à sensation, elle décrit le psychédélique sous les termes les plus anxiogènes : sa consommation serait notamment « la forme la plus avilissante et la plus mensongère de la servitude humaine ». Rien que ça !
Ce qui est décrit comme une « épidémie de toxicomanie » (le LSD n’est pourtant pas addictif) serait en passe d’arriver en France. La « vague de folie collective » risquerait ainsi de « contaminer » et de causer la « désintégration psychique » des jeunes français·es.
Ce qui inquiète beaucoup la journaliste, ce sont les manifestations d’une partie de la jeunesse des USA, opposée à la guerre du Vietnam, réclamant des droits égaux pour les noir·es, les femmes, les personnes LGBT… c’est donc la morale qui est en jeu, bien plus que la santé.
Basant son discours sur de fausses affirmations d’un médecin français, qui n’hésite pas à noircir le tableau pour enfoncer le clou, sans s’appuyer sur des données scientifiques, elle en appelle à une prise de décision politique pour protéger la jeunesse française.
Cette série va faire l’effet d’une bombe. Tous les médias français se ruent sur le sujet, et le traitent dans la même orientation : chercher d’autres sources pour nuancer voire critiquer le point de vue d’Escoffier-Lambiotte prendrait beaucoup trop de temps!
Il faut donc publier vite pour profiter de l’intérêt du public, qui se lassera dès qu’un autre sujet polémique prendra le relais. Les titres sont plus anxiogènes les uns que les autres. Désormais, le LSD est considéré comme une drogue extrêmement dangereuse, qui rendrait fou.
La réaction politique ne se fait donc pas attendre. Si la recherche scientifique reste théoriquement autorisée, en pratique plus personne ne veut les financer. La panique morale met un terme à plus de 20 ans d’expérimentations passionnantes et prometteuses.
La France est donc particulièrement marquée par la panique morale soudaine sur le LSD, ce qui explique en partie les réticences plus fortes dans notre pays à l’égard de la reprise des études. Retrouvez mon nouvel article sur le sujet ici erudit.org/fr/revues/cygn…
Et toujours l’ensemble de mes threads sur l’histoire des psychotropes à retrouver sur mon site internet! 🙏🌈
dubuszoe.wordpress.com/blog/
#histmed
N’hésitez pas à partager ce fil s’il vous a plu, ça demande beaucoup de travail et de temps à faire, en plus de la thèse et du travail salarié 🙏
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