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Nov 2, 2022, 18 tweets

Le rapport obtenu par @CamillePolloni et rendu public par Médiapart soulève bien des questions. La première est de savoir comment dans une démocratie, concernant un droit fondamental qui n'est autre que l'égalité (ici devant la police), peut être soustrait du débat public par...

... les ministres de l'Intérieur et de la Justice. Les freins ordinaires et routiniers à la transparence de l'Etat sont impressionnants. L'Etat de droit sans la transparence n'a, faut-il le rappeler, pas de signification. Il est certain que les rapporteurs ont eu une tache très..

délicate: celle de naviguer entre le tabou gardé par les responsables politiques et des hauts fonctionnaires et le nombre de preuves accumulés sur la réalité du phénomène de la discrimination policière. Ils proposent d'ouvrir les yeux de l'Etat sur ses propres pratiques...

Pas facile, et louable. Cela conduit parfois au grand écart. Comme ici lorsque le rapport prétend que la France a une politique policière visant à gagner la confiance, ce qui est (hélas, 3 x hélas), un contresens. Cela n'a jamais été un objectif opérationnel.

Le rapport donne des exemples de la maigreur des ressources allouées à cet "objectif primordial": il existe 288 agents appelés "délégués à la cohésion" (souvent retraités) pour une population en zone police de 35.000.000 d'habitants, soit 0,0008 agents pour 100 habitants...

Autre illustration de l'objectif primordial: 94.000 jeunes de 7-17 ans ont été accueilli en centres de loisirs jeunes de la police nationale (CLJ). Calculette: sachant que les 6-17 ans sont 9,6 millions, cela fait 1 jeune pour 100 dans la tranche d'âge.

Les dispositifs destinés à mesurer la discrimination à l'intérieur de la police ne fonctionnent pas: ils n'enregistrent .... rien, ou presque. Le dispositif police a enregistré pour une année entière, une trentaine de faits (entre 32 et 37). Pour 150.000 agents !

#igpn , chargée des enquêtes sur les mauvais comportements policiers, en a réalisée un nombre spectaculaire suite à des signalements portant sur des discriminations: 13 entre 2017 et 2020. C'est à dire 4 par an, pour 150 000 policers. Whaooo. Pour la gendarmerie c'est 10 /100.000

Le rapport conclut courageusement à une sous-estimation du phénomène, notamment sur la base de l'enquête sur les victimes dite CVS, et ajoute que le pourcentage "n'est pas négligeable".

Le Défenseur des Droits n'obtient aucune sanction disciplinaire sur les quelques cas (36 en 7 ans) pour lesquels il en recommande une.

Un des points les plus intéressants du rapport porte sur le fait que les magistrats du parquet n'exercent pas ou très peu ("ils s'efforcent")de vérification (ce qui est pourtant leur rôle) sur les contrôles pratiqués par la police. Les rapports qui leur sont rendus sont imprécis.

Et un autre sur la faiblesse de l'encadrement de première ligne: les jeunes agents sans expérience, à la formation en matière d'égalité très insuffisante, sont laissés seuls et utilisent mal les contrôles d'identité. La hiérarchie ne joue pas son rôle.

Ce rapport important, par souci sans doute de ne pas provoquer les responsables les plus conservateurs, tend dans ses conclusions, et au contraire du contenu du texte détaillé, à minorer la discrimination par les forces de polices françaises. C'est évidemment dommage car toute...

... réponse nécessite un diagnostic précis. Ayant mal pris en compte les travaux universitaires qui se sont multipliés depuis 10 ans, qui montrent des pratiques discriminatoires ethniquement par la police, dans toutes les villes de France du Nord au Sud, pour toutes les années...

les rapporteurs ont ainsi négligé les informations qui démontrent le caractère systémique de la discrimination policière. Ils se contentent de retenir la théorie de la "pomme pourrie", des actes individuels. Elle est insuffisante. Les agents sont l'arbre qui cachent la forêt...

c'est à dire responsables politiques (où est le leadership?), hauts dirigeants policiers, encadrement local, ms aussi les procureurs -un pt oublié dans les conclusions, mais bien abordé dans le texte- qui ne font pas le travail nécessaire pour corriger les problèmes endémiques.

Dans un chapitre de "La nation inachevée", j'ai présenté les résultats de 10 ans de recherche en France qui montrent le caractère endémique de la discrimination, et également en quoi cette mauvaise police corrode la citoyenneté des jeunes et leur attachement à la République

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