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May 17, 2024, 22 tweets

Printemps 1946, vers Abda, en Hongrie, des paysans exhument les cadavres d'une fosse commune pour trouver de l'or sur les corps. Parmi les morts, un homme est découvert avec un carnet dans la poche de son manteau émietté. Il s'appelle Miklós Radnóti. ⬇️

Le petit carnet est mis au sec, réfrechi. Bientôt, on le lit. Dix poèmes y figurent qui racontent la marche qui destina le poète sous la terre où il gisait.

Radnóti est né en 1909. Son frère jumeau mort-né et sa mère décédée des suites de l'accouchement, à 28 ans, le poursuivent toute sa vie. Il écrit, après avoir atteint le dernier âge de sa mère, le poème "vingt-huit ans".

Très tôt militant antifasciste, très tôt amoureux de Fanny Gyamarti, il écrit des poèmes remarqués par les cercles littéraires hongrois. La censure l'empêche de publier ce qu'il désire, sa judéité l'interdit d'être professeur.

Il vivote par la France, écrit, notamment, sur la guerre d'Espagne, sur Lorca, puis sur l'occupation, les temps noirs. Ces mêmes temps noirs qui le rattraperont définitivement à compter du plan d'exécution massif des Juifs de Hongrie, dit aussi double plan Eichmann-Höss.

Sans droits civiques depuis 40, appelé deux fois aux travaux forcés, il a pu rejoindre Budapest. En mai 44, il est rappelé à Bor, en actuelle Serbie, pour travailler dans les mines de cuivre. Il a quelques habits et un carnet.

Dix jours avant sa déportation, il écrit :

Radnóti arrive au camp d'Heidenau aux alentours de Bor. Il travaille aux routes. Il écrit, aussi :

L'avancée de l'armée rouge à l'Est de la mine, les partisans serbes qui remontent vers l'Ouest, forcent les autorités à déplacer une partie des prisonniers. 3000 d'entre eux restent sur place, 3000 autres s'en vont vers le Nord, à pied, "escortés" par des enrôlés hongrois.

Les premiers seront libérés par les partisans, les autres, dont Radnóti est, montent vers Belgrade. Cinq jours de marche et des morts, déjà.

Avant le départ, Radnóti écrit dans son carnet :

Le Danube est atteint un peu plus tard, puis Pancsova, vers la frontière hongroise, où des SS rejoignent l'escorte et tirent à vue sur les retardataires et torturent au hasard. Le 6 octobre, les marcheurs escalent à Cservanka, où ils dorment dans une briqueterie.

Le convoi est divisé à nouveau : 1500 hommes repartent le lendemain. Près de 500 restés sur place seront abattus par les SS.

Radnóti pense à sa femme.

Le 8 novembre, après deux mois de marche, Radnóti est sanglant, incapable de marcher un peu plus. Entassés dans un petit village proche de Gyor, on propose aux plus meurtris de continuer le voyage dans des charrettes. Radnóti y monte.

Abda est une petite ville de Hongrie où ce jour, on emmena Radnóti et vingt-et-un autres aux bords d'une rivière où leur fut demandé de creuser une fosse qui serait leur tombe. Alignés, chacun fut assassiné d'une balle dans la nuque avant de reposer.

Une témoin, quelques années plus tard, indiqua avoir vu un homme attendre, décharné, un petit carnet dans la main, en train d'écrire. Il s'agissait de Miklós Radnóti.

Dans ce même carnet fut retrouvé un des poèmes les plus bouleversants qui soient, écrit au début de la marche de la mort.

C'est Fanny Gyamarti qui fit identifier son corps et travailla à la publication de ces derniers poèmes.

Que le nom de Miklós Radnóti soit une bénédiction.

Addenda, il écrit ça :

Parmi les poèmes retrouvés, Radnóti en avait recopié six avant de les confier à un de ses amis, Sándor Szalai, rescapé. Ce dernier le pensait vivant en 45 et rendit, à son tour, les poèmes. L'espoir de revoir Radnóti s'aviva chez ses proches.

Radnóti mourut quelques jours après l'écriture de son ultime poème, qui contait la mort, un mois plus tôt, de Miklós Lorsi, musicien, mort dans ses bras, assassiné d'une balle dans le front.

L'œuvre de Radnóti fut en partie traduite par Jean-Luc Moreau et éditée chez Phébus.

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