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Sep 28, 2018 51 tweets 9 min read Read on X
Lotfi S. : "je ne m'attendais pas à être en prison. Pour moi, je n'étais pas fautif. Par contre, j'assume avoir proposé mes services à ces gens-là [l'état islamique] et construit un pont de confiance avec eux."
Sinon, Lotfi S. continue à citer le dossier d'instruction de mémoire : "sur la cote 413/29, il est indiqué qu'il y a eu 282 appels et 6199 messages via l'application."
Depuis la Syrie, Lotfi S. écrit à sa fiancée : "j'attends que tu viennes pour vivre un peu avant de mourir."
"On était surveillés par l'état islamique", explique-t-il aujourd'hui.
Lotfi S. : "j'étais dans un imbroglio, une tyrannie de complexité. Je cherchais simplement à sauver ma tête."
Il explique aussi parler en langage codé avec ses proches.
Mais la présidente poursuit la lecture des mails envoyés par Lotfi S. : "tu ne peux pas imaginer la douceur du djihad, le bonheur de vivre avec l'impatience de mourir en martyr pour Allah"
Silence sur la salle d'audience. La présidente vient d'inviter Lotfi S. a "réfléchir deux minutes" : "un a tribunal qui ne comprend pas, c'est un tribunal qui va peut-être avoir peur de la personne en face de lui."
La présidente s'interroge sur les conditions du retour de Lotfi S. et ses fils. Dans quels conditions a-t-il été libéré des geôles de l'état islamique? Comment ont-ils obtenu des laisser-passer?
Lotfi S. : "sincèrement, ils m'ont libéré pour me buter. Ils voulaient m'emmener au camp où ont lieu les exécutions. J'ai dit que je devais aller chercher ma femme en Turquie."
La présidente cite un rapport d'évaluation de Lotfi S. en détention qui parle d'un "risque prosélyte élevé, en particulier auprès des jeunes. Il est un danger pour le public 18-25 ans."
Lotfi S. est très sévère sur les programmes mis en place pour les détenus terroristes : "Les programmes s'appelaient déradicalisation, puis violences. Mais sincèrement, ils sont en train de patauger. Et puis, ils parlent par des chemins détournés ..."
Fin des débats. Place à la première plaidoirie, celle de l'avocate de l'association AFVT qui s'est constituée partie civile.
La recevabilité en tant que partie civile de l'association AFVT a été contestée par la défense mais aussi le parquet, principalement au motif qu' "il n'y a pas de victimes".
En tant que partie civile, l'AFVT réclame "900 euros" aux prévenus, soit "le coût, pour l'AFVT, d'une journée en détention pour aller leur tendre la main", conclut Me Josserand-Schmitt après avoir détaillé les actions menées par l'association, notamment en prison.
Place au réquisitoire de la procureure qui indique d'emblée : "je me demande si nous n'avons pas été dupés".
La procureure revient d'abord sur le départ en Syrie d'Anass Belloum, meilleur ami de Karim S., mort au combat en 2013.
Procureure : "vous avez dans le box une famille qui a soigneusement préparé son départ. Ils n’étaient pas des ingénus. Ils ont intégré un groupe terroriste et mis leur connaissances à disposition."
#Réquisitoire
Dans son réquisitoire, la procureure parle d"un "départ sans retour" de la famille S. et rappelle : les 30 000 euros retirés quelques jours avant par le père, les achats de sacs de couchages, lampes torches, boussole etc.
Avant son départ, rappelle la procureure dans son réquisitoire, Lotfi S. effectue des recherches internet sur "la météo en Syrie", mais aussi : "peut-on snifer les communications Skype entre la Syrie et la France?"
Procureure : "combien parmi les dossiers que vous avez jugés, y a-t-il de revenants qui sont arrivés sur le territoire national avec leur supports informatiques et téléphoniques? Très peu !"
#Réquisitoire
Procureure : "les membres de l’état islamique devaient être extrêmement fiers de lui [Lotfi S.]"
#Réquisitoire
Procureure : "ils jouent à des jeux vidéos, écrivent à leurs proches ... Quelle douce vie pour des "subalternes de l'état islamique". C'est loin du quotidien décrit par d'autres revenants."
#Réquisitoire
Procureure : "ceux qui commettent des adultères se retrouvent la tête tranchée et Lotfi S., suspecté d’être un espion, est libéré avec son passeport et ses moyens de communication.
Qu’a donc promis Lotfi S. à l’état islamique en contrepartie de cette vie sauve?"
#Réquisitoire
La procureure requiert 10 ans d'emprisonnement (assorti d'une peine de sûreté des 2/3), soit la peine maximale contre Lotfi et Karim S., père et fils jugés depuis hier.
Elle requiert également cette même peine maximale à l'encontre d'Anass Belloum, jeune homme jugé par défaut et supposé mort au combat en 2013.
Place aux plaidoiries de la défense. Me Xavier Nogueras, avocat du fils, Karim S. se lève en premier : "vous proposez la peine maximale, j’avoue que je n’arrive pas à comprendre."
Me Nogueras : "je ressens toujours avec la même violence les quantum de peine qui sont proposés. Il y a un goût d’automatisme."
#Défense
Me Nogueras : "un groupe rebelle qui attaque les troupes de Bachar Al-Assad, est-ce qu'on doit appeler ça un attentat? Moi je mets en garde sur la position de la France. Qui sommes nous pour dire que les troupes de Bachar Al-Assad sont des victimes du terrorisme?"
Me Nogueras : "est-ce que si demain je rejoins l’Arabie saoudite, je vais être considéré comme un terroriste parce que ce pays applique la charia ?"
#Défense
Petit décryptage : avant de rejoindre les troupes de l'état islamique, la famille S. a d'abord rejoint Ahrar Al Sham, groupe qui, plaide Me Nogueras, n'est pas inscrit sur la liste des organisations terroristes de l'Onu et ne prône pas le djihad global.
Me Nogueras : "je voudrais aussi parler de Stéphane Mantoux. Un jour à la galerie Saint-Eloi [galerie antiterroriste] on a décidé de faire venir Stéphane Mantoux dans tous les expertises des dossiers terroristes."
#Défense
"Aujourd'hui, on essaie de vous faire passer Ahrar Al Sham pour un groupe terroriste pour servir des intérêts de politique pénale", plaide Me Nogueras en brandissant un tweet du chef d'Ahrar Al Sham qui condamne les attentats du 13 novembre.
Me Nogueras : "Karim il voit des vidéos d'enfants déchiquetés par des bombes, avec la bave aux lèvres et il pense avec son bide. Il y va, il va combattre. Mais il s'en fout du djihad global. Lui, il répond à une obligation religieuse."
Me Nogueras :"je crois que Karim S., il est prêt à la peine que vous allez prononcer. Je prends des risques en disant ça. Ce qui l'importait, c'est de passer aux aveux."
#Défense
Me Nogueras : "oui, en lisant ce dossier, je voyais un Karim S. dangereux. Mais pas aujourd'hui. Je l'ai écouté et je le trouve attendrissant, même si les faits sont violents."
#Défense
Me Nogueras : "les rapports de psychologues, des intervenants sociaux disent que Karim S. a rejoint notre communauté. Laisser lui aujourd'hui une porte ouverte."
#Plaidoirie
Place à la plaidoirie de Me Martin Pradel pour la défense du père, Lotfi S. : "je me présente devant vous pour défendre un homme qui, manifestement, peine à se faire comprendre."
Me Pradel : "des parents qui voient partir leur enfant sans avoir rien vu venir, il y en a plein. Mais Lotfi S. il a la chance de voir ce qui se passe : il voit l'intérêt de ses fils pour un départ."
Me Pradel : "Lotfi S. est plus lucide, à certains égards, que beaucoup d’autres parents. Certains ont pensé qu’il suffisait d’appeler la police. Mais vous, à la 16e chambre, vous savez combien il était inutile en 2013 d’alerter le procureur de la République."
Me Pradel : "le calcul que fait Lotfi S. c’est “il ne sert à rien de les en empêcher, ils partiront”. Et ça, c’est l’expérience de beaucoup de parents. C'est l'expérience des autorités françaises."
Me Pradel : "Lotfi S. quand il intègre l'état islamique, il a ces compétences indéniables dans le domaine des télécoms. Donc il a une valeur. Et quand il commet une erreur, avant de le décapiter, l'état islamique préfère le contraindre à travailler."
Me Pradel : "Lotfi S., comme on ne le comprend pas ... et bien il fait peur. On va le traiter comme la pire des menaces. Et c'est pas normal que ça se passe comme ça, que la justice inverse les présomptions."
Me Pradel : "la peur qu’inspire Lotfi S. je pense qu’elle est irrationnelle. Cet homme, il n'a tué personne."
Me Pradel : "vous n'avez pas de raison objectif d'avoir peur de lui. Il est lucide aujourd'hui. Il sait bien que son avenir est oblitéré. Il envisage de quitter le pays parce que les qualités qu'il a, il ne pourra plus les mettre en oeuvre."
Pour ses derniers mots, Karim S. souhaite ajouter : "aujourd'hui, j'ai 23 ans. J'ai encore le temps de construire un avenir solide. Une longue peine ne sera pas la meilleure manière de m'y aider. Je ne présente aucune menace."
A son tour, Lotfi S. souhaite quant à lui citer Descartes. Il explique aussi avoir réalisé une base de donnée mathématique avec les cotes de son dossier.
Lotfi S. explique que, selon l'algorithme qu'il a réalisé en détention sur la base de son dossier, la peine à laquelle il serait condamnée "était en-dessous de 10 ans". Et il ajouter : "et en plus, on a ajouté une constante qui est la sûreté de 2/3".
Le tribunal est parti délibérer. Il va rendre sa décision ce soir.
Le tribunal relaxe Anass Belloum, supposé mort sur zone, mais qui n'a combattu que pour le groupe Ahrar Al Sham, non considéré comme une organisation terroriste.
Le tribunal condamne Karim S. à 8 ans de prison (assorti d'une peine de sûreté de la moitié).
Le tribunal "a tenu compte de votre jeunesse, de l'ascendant de votre père et du fait que vous avez évolué."
Le père, Lotfi S., lui, est condamné à la peine maximale, soit dix ans d'emprisonnement (assorti d'une peine de sûreté des 2/3).
Le tribunal précise : "vous avez emmené vos enfants, vous êtes mis au service de l'état islamique et avez eu des des responsabilités importantes."
Le père et le fils sont également condamnés à verser 600 euros de dommages et intérêts à l'association AFVT, constituée partie civile.

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Mar 27
Bonjour à tous,
De retour salle Diderot au palais de justice de Paris. Procès dit du #VioleurdeTinder
Dernier jour des débats aujourd'hui avant les plaidoiries et réquisitoire prévus demain.
Ce matin, la dernière partie civile s'exprime à la barre. Nous l'appellerons "Rania".
"Rania" raconte à son tour la prise de contact sur Tinder, le rendez-vous pour une séance photo. "J’avais apporté des vêtements dans un sac, on a commencé à discuter. Il m’a proposé un shot d’alcool, puis il m’a parlé des fêtes qu’il faisait, de la drogue … ça m’a paru étrange"
"Je me sentais totalement euphorique", se souvient Rania. Puis, alors que je regardais les photos qu'on venait de faire, il s'assied à côté de moi et m'embrasse. Je l'ai repoussé et lui ai dit :"je ne veux pas ça, tu ne m'attires pas". Mais il revient vers moi et dit "essaie".
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Mar 22
Bonjour à tous,
Salle Diderot, palais de justice.
De retour au procès dit du #VioleurdeTinder : Salim Berrada comparaît devant la cour criminelle départementale pour les viols et agressions sexuelles de 17 femmes lors de séances photo à son domicile.
Celle que nous appellerons Charline est la neuvième victime dont les faits dénoncés sont examinés par la cour. Elle a aujourd'hui 26 ans et est comédienne, explique-t-elle.
"Je vous laisse la parole", déclare le président à "Charline"
Long silence de la jeune femme.
"Quand j’ai découvert le travail de monsieur Salim Berrada, j’étais mineure à l’époque. Mais j’étais déjà modèle. Je faisais principalement du portrait."
Read 53 tweets
Mar 19
Retour au procès dit du #VioleurdeTinder devant la cour criminelle départementale de Paris.
Salim Berrada, ancien photographe de mode, comparaît depuis hier pour les viols et agressions sexuelles de 17 jeunes femmes qu'il avait contactées pour de séances photo.
Cet après-midi les premières parties civiles témoignent à la barre. Louise (le prénom a été modifié) a tout d'abord raconté l'agression sexuelle qu'elle dit avoir subie de l'accusé. "Soudainement, il s'est jeté sur moi, il m'a embrassée avec la langue. Je ne voulais pas"
A la barre en ce moment, Caroline, maquilleuse qui a travaillé avec l'accusé.
"Avec l’affaire Salim Berrada, il y a eu un avant et un après : les gens ont commencé à parler"
"C’est un peu le #MeToo de la photographie ?" relève le président.
- C’était avant MeToo, mais oui.
Read 21 tweets
Mar 18
Bonjour à tous,
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Dans la (petite) salle Diderot s'ouvre aujourd'hui le procès de Salim Berrada, ancien photographe de mode de 38 ans. Surnommé le #VioleurdeTinder , il comparaît pour les viols et agressions sexuelles de 17 femmes.
L'accusé, petites lunettes rondes, coupe afro, collier de barbe, est installé dans le box vitré.
Il avait été remis en liberté après un peu plus de deux ans de détention provisoire ... avant d'être réincarcéré à la suite de nouvelles plaintes pour viol.
Sur les bancs de bois de la salle d'audience criminelle départementale, plusieurs parties civiles. Ce femmes qui ne se connaissaient pas dénoncent toutes un scénario très similaire sur ces rendez-vous pour une séance photo qui ont tourné au viol.
Read 27 tweets
Feb 28
Bonjour à tous,

Aujourd'hui, nous sommes au tribunal judiciaire, quartier des Batignolles. Une salle du 4e étage pour le procès de l'influenceur d'extrême-droite Papacito devant la 17e chambre correctionnelle.
Le Youtubeur toulousain encourt sept ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour provocation publique, propos homophobes et incitation à commettre une atteinte à l'intégrité physique d'une personne.
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Bobigny sous la neige.
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Procès de trois policiers pour l'affaire #Theo Luhaka
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