Thread by @Ovidieofficiel

THREAD pour ceux qui souhaiteraient avoir mon avis à propos de l’évaporation soudaine d’Ophélie Bau. En tant qu’actrice qui s’est retrouvée il y a 18 ans dans une scène non simulée à Cannes, je vais vous raconter mon histoire #MektoubMyLoveIntermezzo ⤵️

Je vous lis depuis 24h, c’est quand même marrant que vous n’émettiez pas l’hypothèse que si Ophélie Bau s’est tirée de Cannes c’est justement pour fuir tout ce délire médiatique et toutes ces attaques violentes autour du film. Parce que je vais vous dire : c’est horrible.

Rappel des faits pour les plus jeunes : en 2001 je me suis retrouvée à Cannes pour la présentation du Pornographe de Bertrand Bonello, sélectionné à la semaine de la critique. Le film comportait une longue scène explicite.

B.Bonello avait été bienveillant sur le tournage. Je n’avais été forcée à rien. J’aimais le résultat à l’écran, très beau film, Jean-Pierre Léaud magistral. Je n’ai pas éprouvé le besoin a posteriori d’inventer qu’on aurait utilisé des prothèses où je ne sais quelle connerie.

Quand je suis arrivée à Cannes, il y avait un côté flatteur, le film était bien accueilli, c’était produit par Haut et Court, j’ai eu ma gueule en couv’ du Film français, une grande fête à la gloire du film était organisée, ça s’annonçait exaltant. Ça a été mon dernier Cannes.

À chaque Cannes son mini scandale, son film avec du sexe explicite, ses éternels débats « c’est porno » Vs « c’est du grand art ». Son petit mépris au passage pour l’industrie du porno, ce lumpen proletariat du cinéma.

Le film dont je vous parle n’a pas autant fait scandale qu’Irréversible ou #MektoubMyLoveIntermezzo. N’empêche qu’il a fait pousser des hurlements parce qu’il y avait du cul. Et ce cul c’était le mien. Donc les hurlements me concernaient directement.

Déjà de base quand t’es une jeune actrice à Cannes, d’où que tu viennes et quoi que tu aies fait avant, t’es de la chair à canon. Alors quand en plus tu te retrouves dans « LE » film sulfureux de l’année... ben tu morfles. Et là parfois ça a tiré à balles réelles.

Tous ces gens qui te slutshament, qui déversent leur fiel, qui commentent ton jeu (c’est le lot de toutes les actrices) mais aussi qui commentent ton corps, ta façon de sucer, qui se rincent l’œil et te méprisent en même temps. Salope. Sous-actrice.

Mais le plus dur ce sont les gens de cette formidable famille du cinéma qui te font bien sentir que si cette scène de fellation est déjà un grand moment à l’écran, toi en revanche tu n’es rien. Ils se repaissent tous de cette scène « si poétique » mais te haïssent.

Les autres femmes (tant les actrices que les productrices etc) t’en veulent d’avoir franchi une frontière. On est en 2001 rappelez-vous : à cette époque à Cannes on est censé sucer en silence et dans la honte. Pas en public.

Je vous passe le jour où une productrice canadienne qui bossait avec Cronenberg m’a balancé en public « C’est bien, grâce à ce film tu vas peut-être enfin faire autre chose que juste te faire baiser ».

Alors, pour en revenir à Ophélie Bau : on ne sait RIEN, on sait juste qu’elle s’est barrée lors de la projection et qu’elle n’est plus revenue. Déjà tout le monde suppute qu’elle serait traumatisée par le tournage. Tout le monde guette la moindre info sordide.

J’ai lu toutes les hypothèses (toutes rejetant la responsabilité sur Kechiche) mais aucune n’évoque le souhait de fuir cet ignoble Cannes, ses faux scandales, son hypocrisie, sa violence médiatique.

Dans son entretien pour Vanity Fair effectué juste avant la projo elle évoque à deux reprises son besoin de se protéger et de se tenir à distance. En fin de compte elle disait déjà qu’elle n’allait pas rester.

Le sort réservé aux actrices qui jouent des scènes de sexe explicite est souvent cruel. Je pense que recentrer le débat là-dessus aurait plus d’intérêt que guetter le moindre ragot...

(Juste une précision : quand je parle des actrices et productrices, je ne parle évidemment pas de celles du film, je parle de l’ambiance à Cannes et des réactions des autres professionnelles sur place)

Le lien vers l’entretien pour Vanity Fair où elle compare Cannes à une « arène de corrida » vanityfair.fr/culture/cannes…