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Il est venu le temps des ca-thread-rââââââleuh ! 🎶
Non, je ne dis pas ça à la légère, parce qu'aujourd'hui, on s'attaque à un monument de l'histoire du JV. La musique sur la première PlayStation, ça vous dit quelque chose ?
L'autre jour, j'ai discuté avec le compositeur Philippe Vachey de son travail sur l’emblématique Little Big Adventure. Comme le Kickstarter du projet de Suite Symphonique ferme dans quelques jours, j'ai eu envie de vous faire un petit thread sur le sujet en guise de soutien !
Pour ceux qui ne connaissent pas, LBA1 est un jeu d'aventure sorti sous MS-DOS en 1994, puis porté sur PlayStation en 1997, juste avant l'arrivée de LBA2. L'occasion rêvée de parler d'un sujet qu'on a effleuré de très loin jusqu'à présent : le support CD.
Vous n'êtes pas sans ignorer que faire de la musique de jeu, dans les années 90 rimait avec complexité et intelligence technique. A cette période, si le support cartouche est encore présent, le CD arrive avec son lot de joies et de peines pour les développeurs et les musiciens !
En effet, comme nous allons le voir, si la possibilité de lire des jeux sur ce support a révolutionné la création (notamment en termes de quantité de données stockées), elle n'en a pas moins été le berceau de nombreux soucis et situations... cocasses.
Et à ce sujet, LBA est un très bon exemple, puisqu'il existe en disquette et CD ! Pour information, la version CD est sortie avant la version D7, parue bien plus tard. A l'époque, beaucoup de PC (comme le 386DX) capables de faire tourner le jeux n'avaient pas de lecteur CD...
Sur disquette, le terrain avait déjà été exploré par une partie de l'équipe avec Alone in the Dark : ce 1er jeu tenait sur 4 «floppy» et contenait des samples alors joués par le processeur pour compenser l'absence de carte son. (ci-dessous, une sauvegarde de travail en 5 1/4)
Il existe donc une version en 8 disquettes de LBA qui contient uniquement des musiques en format MIDI. La raison est bien connue maintenant : l'espace de stockage de ce format (1,44MB) ne permet pas de stocker assez de sons de bonne qualité, sans parler du reste du jeu...
Le portage de LBA sur PlayStation se base sur la version PC CD-ROM, qui intègre les musiques en qualité CD dans le jeu, c'est à dire en suivant le standard Red Book/CDDA en vigueur pour les disques compacts de musique.
Les compositions de Philippe Vachey sont donc exportées directement depuis son matériel pour être implémentées dans le jeu, un grand luxe pour l'époque. Ci-dessous, la bête d'origine, toujours opérationnelle et faisant tourner le séquenceur pro24 et une version MIDI des musiques.
Mais revenons-en à nos Lapichons. Pourquoi est-ce que j'insiste tant sur cette composante "musique enregistrée" pour notre jeu ? Et bien tout simplement parce que, au-delà des questions d'espace disque, la lecture de la musique enregistrée pose quelques problèmes.
Pour mieux comprendre, voyons un peu comment marche un disque standard. L'information est gravée en binaire sur la platine. Celle-ci tourne à grande vitesse et est lue par une lentille optique qui envoie un rayon laser sur les sillons allant en spirale du centre vers le bord.
La « spirale » se sépare en plusieurs parties, qu'on appelle des pistes/tracks, et qui isolent généralement les morceaux les uns des autres. Et bien pour les jeux vidéo, c'est peu ou prou le même fonctionnement qui est repris, avec quelques "petites" subtilités.
Prenons la version CD-ROM : une partie des données (piste 1) sont copiées et installées sur l'ordinateur. Il s'agit du code du jeu et d'un certain nombre d'assets qui seront gérés par la machine. Chose importante : les musiques sont gravées sur les pistes suivantes (2 à 27) !
De cette façon, l'ordinateur déroule le jeu de son côté, tandis que les pistes audio (mais également certaines vidéos) sont lues en parallèle sur le CD. C'est pratique ! Mais est-ce pareil sur PSX ? Pas vraiment...
On retrouve dans la version PlayStation de LBA les musiques, piste par piste. Vous pouvez d'ailleurs faire l'expérience : si vous mettez le jeu dans un lecteur CD standard, vous pourrez écouter les musiques, sauf celles sur la piste 1, évidement.
Nous l'avons vu, cette piste 1 contient des données, mais également d'autres éléments faits pour être décompressés et chargés en mémoire : particulièrement des bruitages, dialogues et jingles dont on reparlera. Ci-dessous, une image-disque de la piste (crédits @Zetsuboushitta )
Nous arrivons à la 1è difficulté de cette version : vous savez que les jeux sur support CD sont (entre autres) critiqués pour leurs temps de chargement. En effet, sur PSX, tous les assets du jeu ne sont pas chargés d'un coup : lorsqu'on entre dans une nouvelle zone (…)
(...) la console doit aller chercher les nouvelles données correspondantes sur notre fameuse piste 1 pour les mettre en mémoire « vive ». Vous voyez venir le problème ? Si ma lentille est sur la piste 1, mais que la musique de ma nouvelle zone est sur la piste 7, comment faire ?
Si sur PC, il était possible de lire les 2 à la fois (souvenez-vous, les données du jeu sont déjà installées sur le disque dur), cela est très différent sur la PSX, qui n'a pas de mémoire de masse et doit à chaque fois récupérer les données temporaires et les charger sur sa RAM.
Plusieurs choses sont alors possibles : 1) jouer la musique après l'apparition du niveau, le temps que la lentille se déplace sur la bonne piste après le chargement des données. C'est la plus évidente, mais pas la plus agréable en jeu...
2) Une partie des sons est stockée... sur la piste 1, mais pas en format CD Audio. Il peut s'agir de samples compressés ou d'instructions en MIDI. Ici, nous sommes dans le premier cas : chaque musique de niveau sur une autre piste existe en version "jingle" sur la track 1.
De cette façon, ces extraits d'une quinzaine de secondes sont placés dans la mémoire SPU (Sound Processing Unit, la carte son) RAM et pré-chargés avec les informations du jeu. Cela permet de les lancer instantanément et sans silence après l'apparition du niveau !
D'ailleurs, petite anecdote amusante pour mieux saisir l'organisation des données sur le disque : lorsque votre PlayStation a fini de charger les données de jeu dont elle a besoin, la lentille s'arrête et le CD devient inerte (d'où les bruits quand la lecture reprend)...
Si vous vous amusez à ouvrir la console et remplacer le CD par un autre, même purement musical, le jeu se comportera comme si tout était normal. Seule différence, il lira la piste audio à l'emplacement prévu initialement, ce qui permet donc de substituer des musiques.
Voilà, ça ne sert pas à grand chose, mais c'est toujours bon à savoir si vous en avez marre de la radio dans GTA. Anecdote ++ : marche aussi avec les cinématiques, si vous inversez les CD de votre FF7 par exemple. Un bon moyen de spoiler vos amis ! (ne faites pas ça non plus)
Cependant, le changement de piste n'est pas le seul souci auquel les musiciens se heurtaient sur PSX. Voici donc le second problème dont nous allons parler aujourd'hui : la spirale, pas infernale, puisqu'elle a une fin.
viVous l'avez vu sur le schéma du CD, les pistes ont une organisation spatiale sur la platine définie selon la temporalité des morceaux.
Pour formuler ça simplement : chaque piste a un début et une fin. Lorsque la lentille arrive au bout, soit elle passe au morceau suivant, soit elle accompli une autre action si cela lui est demandé. Est-ce un problème pour nos jeux ? Et bien en un sens, oui.
Si ce n'est pas impossible, faire boucler un morceau se révèle particulièrement difficile et nécessite quelques acrobaties techniques, surtout aux débuts de l'ère CD, où ce problème -presque inexistant sur les jeux cartouches- n'était pas encore envisagé.
Dans le cas du LBA original, vous aurez constaté que les morceaux ne bouclent pas : lorsqu'ils arrivent à la fin, ils laissent place au silence, et ne se relancent que sous certaines conditions. Pour le coup, il s'agit plutôt d'un choix esthétique de la part des créateurs.
En effet, leur but n'était pas de poser une ambiance ou un tapis sonore, mais de raconter une histoire en musique, avec des morceaux construits comme sur un album. Occuper l'espace sonore de façon permanente n'était pas leur priorité, ils ont donc délibérément choisi (…)
(...) de laisser une place au silence et aux autres éléments musicalisés du jeu. LBA contient en effet beaucoup de bruitages assez particuliers qui contribuent à donner de la personnalité à l'univers de Twinsun.
Bien avant que les logiciels comme Wwise ne démocratisent cette pratique, LBA était conçu de façon à randomiser une partie des sons. Pour ne pas lasser le joueur, par exemple avec les mêmes bruits de pas, ceux-ci étaient prédéfinis d'après un ensemble de paramètres variables :
un timbre est choisi selon le contexte (la contrebasse lorsque le héros est en mode discret), mais pas les hauteurs des sons qui sont en « mouvement » constant. De cette façon, les pas s'enchaînent de façon musicale, et ne se ressemblent pas, créant leur propre mélodie.
Bien sûr, il était impossible de faire ce genre de manipulation avec des sons fixes à ce moment-là. Ces sons sont donc intégrés et gérés en temps-réel, d'où leur présence sur la piste 1 du CD.
Les « problèmes » de gestion du son n'ont donc pas été traités comme tels. Les choix esthétiques sont même allés plus loin avec les versions "jingles" raccourcies des morceaux des niveaux durant en moyenne pas plus de 15-20 secondes.
Entendre les musiques entièrement après chaque temps de chargement semblait en effet trop ennuyeux. On peut voir ici une mentalité sonore très différente, par exemple rapport à celle des J-RPG. L'important bien sûr étant que chacun y trouve son compte.
Avant de finir sur la PlayStation, il m'est nécessaire pour étoffer notre expérience sur la gestion du son sur la console, de parler d'un autre jeu fait par la même équipe : Time Commando sorti en 1996 sur PC et PSX.
Time Commando fonctionne d'une façon radicalement différente de LBA, et nous éclaire sur les différents choix que les développeurs étaient amenés à faire. En effet, TimeCo a la particularité d'être très lourd au niveau de l'affichage vidéo.
Dans le concret, cela signifie que le jeu contient, sur PSX, deux pistes audio en format CD (dont l'intro). Le reste du temps, tous les décors du jeu sont en fait streamés de façon continue depuis la vidéo, ce qui rend la lecture de pistes sons sur le CD totalement impossible.
Du coup, toutes les musiques des niveaux du jeu se retrouvent en instructions dans un format dérivé du MIDI dans la version PSX. Les sons utilisés dans un niveau étaient mis en tête des fichiers XCF contenant les infos et étaient chargés dans la RAM audio en début de lecture.
De cette façon, ils ne parasitaient pas et n'étaient pas parasités par le flux vidéo qui occupait la plus grande partie de la RAM par la suite... Bref, on voit ici aussi des choix compliqués où l'audio et la vidéo sont encore opposés.
Mais malgré tout, pour certains, le support PSX était tout de même jugé plus agréable pour créer que le support PC, ne serait-ce que parce que la console avait un processeur sonore, là où chaque ordinateur présentait une configuration particulière.
Sur PC, les différences de rendus/capacités entre des cartes AdLib, SoundBlaster, Gravis... étaient un casse-tête obligeant les développeurs et compositeurs à mettre au point plusieurs versions de la musique pour espérer couvrir toutes les configurations possibles.
… ça va, vous n'avez pas trop mal au crâne ? Moi si, mais c'était particulièrement intéressant de voir la diversité d'écriture des jeux sur PSX. On était encore loin d'une recette généralisée, et chaque studio faisait sa petite cuisine.
Ce thread s'arrête donc ici ! J'espère que vous y avez appris des choses, et je remercie chaleureusement Didier Chanfray, Philippe Vachey, Mickaël Pointier et Olivier Lhermite, de l'équipe de développement d'époque, qui ont fouillé leurs souvenirs et répondu à mes questions.
J'en parlais en introduction, mais LBA fait actuellement l'objet d'une campagne Kickstarter pour créer une Suite Symphonique des musiques du jeu, qui se termine dans quelques jours. Si vous avez envie de la soutenir, voici sa page : kickstarter.com/projects/wayo/…
Je remercie également @Zetsuboushitta qui a pris le temps de vérifier certaines informations techniques pour moi. Il a d'ailleurs beaucoup à dire sur la version PSX Japonaise de LBA, très différente de celle qu'on connaît. Mais je lui laisse le soin d'en parler. ;)
Et sur ces bonnes paroles, je vous rends l'antenne ! Bien sûr, vos partages et commentaires sont comme d'habitude appréciés.
Raccrochons les wagons, pour plus d’infos sur le développement de la version japonaise du jeu :
Pour plus de lisibilité, le thread est désormais accessible en format article ! ^^ cactuceratops.wordpress.com/2020/01/05/le-…
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