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C'est révolutionnaire et c'est important de comprendre pourquoi. Ca peut paraitre évident à ceux qui sont familiers de la macroéconomie, mais il se trouve que tout le monde ne l'est pas (!). Alors petit #thread explicatif, en espérant que ça donne des idées aux partis français...
Déjà, définitions et terminologie:
Un État, ça a besoin d'argent pour faire des trucs, et pour trouver de l'argent, il lève l'impôt. Et quand il dépense plus qu'il ne récolte, par exemple quand il investit ou fait un plan de relance (ce que fait la GB en ce moment), il s'endette.
Mais il s'endette auprès de qui ? Deux possibilités. Il peut demander aux marchés financiers : des acteurs privés vont accepter d'acheter une obligation étatique si le taux de remboursement est suffisamment intéressant. C'est ce qu'on appelle le marché primaire.
Ces acteurs vont ensuite s'échanger ces obligations sur les marchés financiers (marchés obligataires) : des acteurs non-étatiques qui se (re)vendent des obligations entre eux, c'est ce qu'on appelle le marché secondaire.
Quand un État veut emprunter sur le marché primaire, il doit se conformer à une logique de marché : s'entendre avec les acheteurs potentiels sur un taux auquel ils consentiront à prêter de l'argent. C'est comme quand on fait un emprunt à la banque, on négocie son taux.
Mais dans ce genre d'histoire, c'est celui qui prête l'argent (le créancier) qui a le dessus, et il ne prêtera jamais à un emprunteur en qui il n'a pas confiance à moins d'imposer un taux élevé pour assurer ses arrières
Qu'est-ce qui fait que les marchés financiers ont confiance (ou non) en un État ? Contrairement à vous et moi, un État ne peut pas mourir, et il n'a qu'à augmenter les impôts ou virer des fonctionnaires pour trouver de l'argent. Donc c'est, pour les marchés financiers, un
investissement souvent considéré comme très sur que de prêter de l'argent à un État. Et plus ils ont confiance en la stabilité économique d'un pays, et plus ils vont lui prêter à taux bas. D'où ce que l'Allemagne emprunte a des taux préférentiels face à l'Italie ou la Grèce.
Mais les mécanismes rigolos du marché ne répondent pas à de la simple mathématique comptable, comme le croient les économistes les plus stupides (donc les plus influents). Les acteurs qui interviennent sur les marchés financiers ne sont pas des entités abstraites, ce sont
des propriétaires d'actifs, autrement dit des capitalistes, ou des entreprises gestionnaires d'actifs, qui n'obéissent qu'à la raison capitaliste et cherchent l'accroissement de leur profit (et accessoirement, les patrons et actionnaires de ces entreprises sont des capitalistes)
Le marché, c'est donc un endroit traversé par la lutte des classes. Plus qu'une lutte pour amasser beaucoup d'argent, c'est une lutte pour le pouvoir. Le pouvoir économique, et mieux, le pouvoir de décider politiquement du mode d'organisation économique.
"Mais @singletau tu es un conspirationniste marxiste, les marchés ne sont que l'intermédiaire du crédit !"
Oui, les économistes qui voient tout en équation croient ça, mais en pratique ? À chaque fois qu'on gouvernement de gauche, c'est à dire un gouvernement qui ne va pas
se donner pour objectif la satisfaction des marchés mais celle des citoyens non-actionnaires (c'est à dire ceux qui travaillent), à chaque fois qu'un gouvernement envisage de restreindre le pouvoir du Capital et des actionnaires au profit de celui des instances démocratiques,
il se passe quelque chose de simple : le marché (c'est à dire, les gens qui y participent) se défend, il fait exploser le taux auquel peut emprunter l'État. Le message, c'est "si tu comptes me mettre des bâtons dans les roues, n'espère pas que je te prête l'argent pour le faire."
Résumé intermédiaire : le financement du budget de l'État sur le marché primaire, ça consiste à emprunter de l'argent à des acteurs privés, ce que l'État ne peut faire qu'à condition de flatter ces dits acteurs. Il est soumis à leur chantage, en quelque sorte.
Bon, on peut emprunter ailleurs alors ? En théorie (et j'insiste là dessus, c'est de la théorie), il existe quelqu'un d'autre capable de faire crédit : c'est la Banque Centrale. La Banque Centrale, c'est la banque des banques, elle organise la circulation de la monnaie et
l'accès au crédit. Elle a notamment le pouvoir de créer de la monnaie, et c'est un pouvoir immense, c'est pourquoi par principe de séparation des pouvoirs (#Montesquieu), c'est une institution indépendante du gouvernement. Ce qui ne l'empêche pas d'être conciliante, bien entendu.
Donc en théorie, un État qui a besoin de se financer peut aller voir sa Banque Centrale et demander un prêt, à un taux généralement pas dégueu puisqu'elle ne cherche pas le profit mais seulement l'équilibre. Et hop, le gouvernement peut faire des choses.
SAUF QUE ! J'ai dit que c'était théorique. En principe, que se passe-t-il ? En 1992, la France et plein d'autres pays de l'UE ont signé un truc qui s'appelle le traité de Maastricht, qui dit entre autres qu'ils vont s'engager à utiliser la même monnaie, l'Euro.
De la même façon que les États ne fonctionnent pas tous pareils, les banques centrales (qui, je le rappelle, gèrent la monnaie) peuvent se donner des règles singulières. La Banque Centrale Européenne, qui gère l'Euro, a dans ses statuts qu'elle ne peut pas prêter aux États.
Pourquoi cela ? Longue histoire qui mérite un thread entier, mais en gros c'est parce que le rapport de l'Allemagne à sa monnaie est très important, et qu'il est inconcevable pour eux que la banque centrale finance l'action de l’État, qui devrait plutôt trouver son argent en
étant compétitif. C'est la fameuse rigueur allemande, l'idéologie qu'on appelle "l'ordolibéralisme". Les Allemands en ont fait une condition sine qua non de leur participation à l'Euro, et Mitterrand a accepté (ce qui n'a pas été sa plus petite connerie, si vous voulez mon avis).
La BCE peut agir sur l'économie en achetant des actifs, en prêtant de l'argent, mais jamais aux États. Elle doit toujours s'adresser aux marchés. Et les marchés, c'est qui? Ce n'est pas vous et moi ! Et ce sont des gens qui vivent mieux que nous. C'est à eux qu'on donne l'argent,
et on croise très fort les doigts pour qu'ils en fassent quelque chose d'utile (spoiler : ils gardent l'essentiel pour eux et donnent des miettes à l'économie réelle, puis vont faire les yeux doux en disant qu'ils ont besoin d'encore plus pour sortir de la crise)
Donc voilà! Dans la vie d'un État, on peut se financer soit sur les marchés, soit auprès de sa banque centrale, mais dans la zone Euro on s'est interdit de recourir à la banque centrale. Seule option : les marchés financiers. Ils ont ainsi acquis un pouvoir démesuré sur les États
Si on t'aime bien, on te prête. Si on ne t'aime pas, on ne te prête pas, ou alors à des taux pénalisants.
Qui, si il est attaché un minimum à la démocratie, peut tolérer que les marchés prennent ainsi en otage le crédit et empêche l'État d'agir souverainement ?
L'enjeu du Brexit, c'était aussi, c'était surtout ça. Sortir d'une Union Européenne et de ses règles économiques qui mettent les marchés économiques, c'est à dire les riches propriétaires d'actions, au dessus de la volonté démocratiquement décidée des États.
Aujourd'hui, alors qu'une grande partie des règles économiques de l'UE, qui sont du même esprit que sa politique monétaire, ne s'appliquent plus au Royaume-Uni, il leur est simple "d'innover en faisant comme avant", car ils n'ont jamais cessé d'avoir leur propre monnaie
Pour les autres pays de l'UE, sortir de la prise d’otage à laquelle procèdent les marchés nécessite de se débarrasser de la règle absurde qui nous lie à eux via les statuts de la BCE (ainsi que des autres, très nombreuses, règles commerciales et économiques du même esprit).
Peut-on simplement modifier les règles ? Pragmatiquement, non, cela se décide à l'unanimité, et l'Allemagne et le Pays Bas s'opposent vigoureusement à toute modification. Ils sont les gagnants d'un tel système, qui va dans le sens de leur histoire et de leurs cultures.
On voit d'ailleurs aujourd'hui, avec la crise du Covid19 et les sommets européens qui se réunissent pour essayer de protéger les économies de la crise, que rien n'aboutit car justement l'Allemagne et le Pays Bas refusent de céder.
Si on ne peut pas modifier un système qui nous pénalise, il nous faut en sortir. Et cela n'a pas d'autre nom que la sortie de l'Euro.
Voilà, il fallait parler de macroéconomie, de politique budgétaire, pour voir pourquoi l'Euro est un scandale démocratique.
C'est une idée urgente, mais difficile à expliquer en deux mots.
Et je n'ai traité qu'un seul aspect de la question : l'atteinte à l'Etat et à sa capacité de faire ce qu'il a décidé. Une atteinte qui a été instaurée de main d'homme, qui pourra être enlevée de main d'homme.
Mais il y aurait des milliers de choses supplémentaires à reprocher à l'Euro. C'est une monnaie qui polarise la zone sur laquelle elle circule, et qui provoque la destruction des industries des pays du Syud (France y compris), et favorise l'Allemagne.
Aucun système de solidarité n'existe pour contrebalancer cette polarisation, et une fois de plus, l'Allemagne et les Pays Bas s'opposent fermement à l'installation de quoi que ce soit qui y ressemblent. C'était pourtant un grand projet (échoué) de Macron.
Leur idéologie, c'est qu'il faut se sortir de la crise via l'austérité et la discipline, et non en mendiant chez son voisin ou à la banque centrale. C'est leur droit de penser ainsi. Mais soyons assez matures pour voir que ce n'est pas la façon de penser de la France ou l'Italie.
On pourrait aussi parler du taux de change, qui est forcément partagé par toute la zone euro, alors que les économies et niveaux de vie varient violemment. La monnaie est trop forte pour l'Italie et la France, sans parler de la Grèce, ce qui pénalise nos exportations.
A l'inverse, l'Allemagne est avantagée comparée à si elle avait encore le Deutsche Mark.
Les anglais ont retrouvé le pouvoir de faire ce qu'ils veulent en économie, tandis que nous sommes condamnés à faire ce que veulent les marchés. Alors qu'il y a tant à faire, écologiquement et industriellement, la priorité devrait être de retrouver notre capacité à faire ce que
l'on veut sans subir les attaques d'une classe sociale déjà gavée mais qui voudrait nous empêcher de stopper le gavage. Et cela ne pourra se faire tant qu'on restera dans le paradigme économique qu'est celui de l'Euro et de l'Union Européenne. Il est urgent d'en sortir.
Je finis ici ce thread que j'avais promis court (lol).
Si vous voulez en savoir plus, je recommande la lecture du livre La Malfaçon de Frédéric Lordon, ou bien L'Illusion Economique d'Emmanuel Todd, ou bien de tout ce qu'écrit (en livres ou articles) Coralie Delaume
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