Un classique de la vision fantasmée du Moyen Âge, toujours très putaclick : la #torture. Ou comment raconter n’importe quoi sur l’histoire médiévale ! Petit thread rapide pour voir comment circule un cliché... et remettre les pendules à l’heure ⬇️
D’abord : d’où vient ce thread ? Le compte Twitter en question reproduit mot à mot (no comment) un article qui circule beaucoup en ligne, de blog en blog, de Facebook à Twitter, depuis au moins 2016. Le chapeau change, le contenu quasiment pas... Petit florilège en images.
On a donc un article bourré d’erreurs et d’approximations mais qui se reproduit en quelque sorte de lui-même, et qui va occuper les premiers résultats quand on cherche des infos sur « la torture au Moyen Âge » (et donc polluer le net...)
Or évidemment tout est faux dans cet article. On peut ainsi relever 4 grosses erreurs.
1ère erreur/ L’article attribue « au Moyen Âge » des pratiques qui sont en réalité plus tardives. Ainsi du « ducking-stool », une sorte de tabouret servant à immerger les femmes, dont la première mention dans une source date en fait du début du XVIIe siècle.
De même, la répression de la prostitution, qui va parfois jusqu’à son interdiction, est caractéristique du XVIe siècle, dans un climat de Contre-Réforme (Ordonnance d’Orléans, 1561). Ici le poids du contexte chronologique est déterminant... !
L’article ne contextualise pas non plus géographiquement : en réalité ces pratiques n’ont pas forcément été utilisées partout. Ainsi ce « joug à mégères » se trouve surtout dans les pays allemands alors que la « brive-bavarde » apparaît en Ecosse à la fin du XVIe siècle
Dès lors cet article contribue à imposer l’image « d’un Moyen Âge » uniformément violent, alors que les médiévistes s’échinent à rappeler la grande diversité de la période, au fil des siècles et entre les royaumes (voire même à l'intérieur de chaque royaume !)
2ème erreur / L’article confond « torture », càd usage de la violence et de la souffrance à des fins judiciaires, notamment pour obtenir des aveux, et « punition », càd châtiment ordonné par l'autorité : le bûcher, par exemple, n’est pas une torture, mais une punition
Idem pour le pilori, ou pour la marche de la honte. Il ne s’agit pas ce faisant de « torturer » qui que ce soit, mais de punir via l’humiliation, ce qui fait sens dans des sociétés d’honneur.
Idem encore pour l’ablation du nez ou des oreilles, bien attestée au Moyen Âge à côté de diverses formes de mutilation. Ça ne veut pas dire que ce n’était pas violent : mais, au sens strict, ce ne sont pas des tortures...
Voir un de nos articles : actuelmoyenage.blogs.liberation.fr/2020/05/04/qua…
3ème erreur/ L’article présente ces pratiques comme des formes « barbares » de justice, en se moquant du Moyen Âge. Or les études récentes sur la torture montre qu’il s’agit d’une pratique judiciaire strictement encadrée et pas d'une violence gratuite ou aveugle
C’est par exemple l’objet du livre de Faustine Harang, qui souligne que la torture est non seulement peu utilisée, mais surtout très normée : on ne torture pas n’importe comment, et les juges surveillent attentivement le processus.
Etc.
Bref, l'information vraie est là, facilement accessible, sous plusieurs formes (texte, audio, vidéo). Il suffit de vouloir la trouver.
4ème erreur/ Sans aucun doute pour renforcer le côté putaclick, ces articles parlent de « tortures infligées spécialement aux femmes ». Derrière l’indignation surjouée, on peut se demander si ne joue pas ici surtout une forme de torture-porn bien malsaine.
Or c’est une erreur car la plupart de ces pratiques sont couramment utilisées pour les deux sexes. Des hommes peuvent être condamnés au bûcher par exemple (au hasard, les Templiers, ou Jan Hus !), mais aussi à des mutilations corporelles ou à la marche de la honte (cf image)
Bref, il ne s'agit en aucun cas de "tortures qui n'étaient infligées qu'aux femmes".
Cette erreur est particulièrement grave. D’abord parce qu’elle contribue à diffuser l’image d’un Moyen Âge misogyne, alors que la réalité est beaucoup plus complexe.
Ces articles permettent également une essentialisation du type « de tout temps la femme a été maltraitée » (coucou @PepiteSexiste !), qui elle-même permet une lecture téléologique de l’histoire : « avant c’était affreux, ajd c’est vachement mieux ! »
Lecture qui est non seulement anhistorique (donc fausse), mais qui en plus conduit à sous-estimer le caractère systémique des violences dont sont encore aujourd’hui victimes les femmes.
Dans ces clichés sur la torture, repris de sites en sites avec une paresse intellectuelle stupéfiante, se nouent ainsi deux grands fantasmes (un Moyen Âge violent / un Moyen Âge misogyne), totalement opposés à l'actualité de la recherche en histoire médiévale
Et, en creux, se pose la question : comment peut-on faire en tant que médiévistes pour corriger ces erreurs visiblement si tenaces ? En tout cas, un grand bravo à @DoitSavoir qui nous a bloqué dès qu'on a commencé à faire ce thread... 😉
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Au Moyen Âge, 95% de la population vit à la campagne et de la terre. Pour les paysans, les grands prédateurs - ours, lynx et surtout loups - ne sont pas une menace lointaine mais un risque économique majeur et permanent.
Dès lors, certains royaumes vont littéralement faire la guerre au loup.
Charlemagne crée ainsi les luparii, des chasseurs de loups professionnels, dispensés du service militaire : faire la guerre contre les Saxons n'est pas plus important qu'éliminer les loups !
A l'heure de faire l'appel et de découvrir les prénoms de nos élèves, saviez-vous que le Moyen Âge est une période marquée par un changement complet dans la manière de nommer les gens ?
On parle de "double révolution anthroponymique", et c'est passionnant. Un thread ⬇️
Première révolution : la fin des noms romains/romanisés et, notamment, du système des tria nomina (Marcus Tullius Cicero). Avec l'arrivée en Occident de peuples germaniques, ces noms passent peu à peu de mode, même si certains survivent (Marcus, Julius, Felix, etc).
A leur place, on voit apparaître des prénoms... germaniques ! Clovis, Sigebert, Dagobert, Galswinthe, Brunehaut... Ou, moins connus, Leutgarde, Fryshilde, Gansbold, Hildevoud, Protline, Framberte... (oui je sais ça fait rêver hein ?)
Un soldat africain pendant la bataille d'Hastings (1066) ? Réponse de médiéviste : 1/ c'est possible ; 2/ c'est très improbable ; 3/ on s'en fiche car c'est de la fiction ; 4/ ces réactions outrées sont très signifiantes.
1/ C'est possible. Les sociétés anciennes sont plus connectées qu'on ne le pense souvent, et l'Afrique, y compris l'Afrique subsaharienne, n'est pas coupée de la Méditerranée. Il y a des flux de biens et de personnes (marchands, soldats, esclaves, pèlerins, etc).
1/ Ces flux ont d'ailleurs laissé des traces archéologiques, y compris en Grande-Bretagne : dans cet article, des fouilles dans un cimetière anglais du VIIe siècle ap JC où on a retrouvé une personne ayant un ancêtre récent originaire d'Afrique de l'Ouest
On a pris notre courage à deux mains avec @HMedievale et on a regardé « Saint Louis raconté par Philippe de Villiers » diffusé dimanche soir sur CNews. On n’a pas été déçu du voyage, car comme toujours de Villiers propose une vision très personnelle...
Un fil à dérouler ⬇️!
Tout d’abord, deux éléments de contexte. 1/ Philippe de Villiers s’est sans doute appuyé pour cette émission sur son livre « le Roman de saint Louis » publié en 2014, qu'on a lu. 2/ L'émission est sortie dimanche 24 août, veille du 25, jour de la Saint-Louis.
Dès le début, Villiers annonce la couleur : « la vie de saint Louis est un trésor. Les enseignements que j’en ai tiré sont des lumières pour aujourd’hui ». Saint Louis « incarne le beau, le grand, le bien [et] notre civilisation, qui est la civilisation chrétienne »
Quand on pense à la Muraille de Chine, on imagine souvent un édifice comme le Mur dans Game of Thrones...
Mais de nouvelles fouilles archéologiques montrent que ces fortifications médiévales avaient des buts variés, et souvent plus civils que militaires. Un thread ⬇️
Ici, on n'est pas dans la partie la plus célèbre de la Muraille de Chine, mais dans ce qu'on appelle le Medieval Wall System, un ensemble de fortifications de 4000km de long construit entre le Xe et le XIIe siècle, essentiellement par la dynastie Jin
Les archéologues ont fouillé une partie du mur et un fortin situés sur la partie mongole de cet ensemble. Or, la surprise, c'est que le mur en lui-même est un simple fossé accompagné d'une petite pile de terre. Aucune efficacité contre une armée d'envahisseurs... !
Au début de l'année 1195, Lothaire de Segni, un clerc qui va ensuite devenir pape sous le nom d'Innocent III, écrit un petit traité intitulé "Misère de la condition humaine". Il est ici traduit et commenté par O. Hanne (@BellesLettresEd). Un thread (déprimant 😅)⬇️!
Ce texte s'inscrit dans le contexte des traités du type "Mépris du monde", souvent écrits par des moines, qui listent les raisons de détester et de se détacher du "monde", càd du siècle, de la vie laïque avec ses tentations et ses péchés.
Classiquement, le futur pape explique ainsi que l'être humain est bien malheureux. Fabriqué par Dieu dans la terre, la moins noble des substances, conçu dans "le vil sperme", il vient au monde au milieu du sang, des larmes et des cris.