Dans cette vidéo, on entend un prof de droit de la #Sorbonne livrer de longs "avis personnels" homophobes et transphobes, ce qui est atterrant (et grave). Et, au milieu, une rapide référence discrète au Moyen Âge... Discrète, certes, mais révélatrice. Petit décryptage ⬇️
L'extrait concerné est celui-ci. A 1'34, le prof en question explique que bientôt viendront « probablement des pays nordiques » d'autres lois qu'il juge absurdes : après le mariage homosexuel, ce sera bientôt (dit-il) le tour du mariage zoophile !
(passons sur le fait qu'il s'agit d'une comparaison extrêmement insultante, mais surtout totalement idiote. Le mariage étant d'abord et surtout l'union légale de deux consentements, j'attends impatiemment le jour où une jument dira dans une mairie « oui, je le veux ! »)
Parlant des « pays nordiques », il dit à ce moment-là « rendez-vous compte que ce sont des descendants des Vikings. Les Vikings, c'étaient des sauvages absolus qui pillaient et brûlaient tout. Ils se sont calmés depuis... ! »
Cette image du Viking comme « le sauvage absolu » est bien ancrée dans la culture populaire. C'est celle qu'on retrouve dans Astérix bien sûr, mais aussi dans Game of Thrones avec les « Fer-Nés » (Ironborn) - même si cette série nous épargne les casques à corne.
Elle a été bien analysée par les médiévistes, notamment par Lucie Malbos ou, tout récemment, Pierre-Brice Stahl, spécialiste de ce « boréalisme » (= c'est comme l'orientalisme, mais pour le nord).
Cette représentation reprend évidemment une image construite au Moyen Âge : à partir du IXe siècle, les moines occidentaux racontent les raids de ces « hommes du nord » dont la « fureur » est redoutée à l'époque
Cependant, comme toutes les grandes images historiques, elle est largement fausse. Elle oublie d'abord que « les Vikings » ne sont pas un peuple. « viking » est en effet un nom commun qui veut dire (pour aller vite) « marchand ».
...en outre cette image ne retient que la violence, en passant sous silence les autres caractéristiques des peuples scandinaves du Haut Moyen Âge (grands marins, grands marchands, grands explorateurs, etc), bien étudiées depuis plusieurs années
Revenons à cette si sympathique vidéo. En rapprochant les Vikings « sauvages absolus » des nordiques d'aujourd'hui, le prof de droit cherche en fait à rabaisser les seconds : « ils se sont calmés », cela sous-entend qu'ils ont « perdu » en force/énergie
On n'est finalement pas si loin de ces visions d'un Moyen Âge masculiniste qu'on évoquait dans cet article il y a quelques jours. Le MÂ est vu comme le temps des « vrais hommes », les sauvages absolus qui pillaient, alors qu'ajd c'est le mariage homosexuel actuelmoyenage.wordpress.com/2020/09/10/tue…
On soulignera aussi cette obsession des racines identitaires : les Scandinaves « descendent » des Vikings, donc ils devraient avoir honte d'être aujourd'hui à la pointe de nouvelles normes sociales (mariage pour tous, etc). Obsession des ancêtres, de l'origine...
Bref, le Moyen Âge sert ici de rapide pierre de touche, permettant de présenter une évolution contemporaine comme une forme de déclin/dégénérescence par rapport à un passé fantasmé
Quand on entend le prof se répandre plus loin en propos transphobes, on comprend que cette vision déformée de l'histoire nourrit sa transphobie : « avant », les hommes étaient de vrais hommes, donc, quand même, c'était mieux que maintenant.
Pour le dire autrement, cette petite référence aux Vikings en dit long, non seulement sur l'inculture historique de ce monsieur, mais surtout sur la façon dont des clichés historiques peuvent nourrir des préjugés et des discriminations contemporaines...
Ce qui souligne en creux la nécessité de l'histoire comme discipline scientifique. On pourrait par exemple imaginer de faire lire à ce monsieur le récent livre de C. Maillet, qui souligne qu'on n'a pas attendu le XXIe siècle pour réfléchir à la fluidité des genres... !
Voilà, petit thread sur la façon concrète dont on peut utiliser le Moyen Âge pour renforcer une vision historique, qui sert ici de fondation à un discours de haine.
Conclusion : laissez le Moyen Âge tranquille, merci.
Ah, et arrêtez d'être homophobes/transphobes, aussi. Merci.
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Un mari jaloux, une femme adultère, et des perroquets... Ce sont les ingrédients d'un conte du Moyen Âge, datant du XIVe siècle.
Je vous le raconte ! Un thread ⬇️
Ce conte est inséré dans un roman, Le Chevalier errant, écrit à la fin du XIVe siècle par Thomas de Saluces.
C'est l'histoire d'une femme "mal mariée", autrement dit mariée à un vieil homme (motif classique des fabliaux). Jaloux, il la fait surveiller par trois "papegaux", ces oiseaux qu'à l'époque on ne nomme pas encore des perroquets...
Cette année, en partenariat avec @Histoirepublik, @boite_histoire et @maglhistoire, je co-organise et co-préside le premier Prix du Jeu de Société Historique !
Un thread pour vous présenter ce prix... ⬇️
Le but de ce prix est de récompenser un jeu, publié en 2024, qui utilise l'histoire, la réinvente, s'en sert pour proposer une expérience ludique. Tous les types de jeux, tous les formats sont éligibles. Voilà un texte qui présente le Prix !
Pour cette première édition, le jury se compose de 5 historiens et historiennes (Martin Gravel, Soizic Croguennec, Claire Milon, Pauline Ducret et moi-même), de Julia Bellot, journaliste à @maglhistoire, et de Romane Penet, stagiaire à @boite_histoire
On est en 607 après J.-C., dans le domaine royal de Bruyères.
Une terrible dispute oppose Brunehaut, la grand-mère du roi, et Colomban, un moine irlandais. Celui-ci vient en effet de traiter les princes de... fils de pute 🗯️🤬.
Un thread ⬇️!
Revenons en arrière. Brunehaut, veuve du roi Sigebert d'Austrasie, grand-mère de l'actuel roi Thierry II, est une femme puissante, qui a la charge des enfants du roi. Elle les mène devant Colomban, célèbre abbé de Luxeuil, pour obtenir sa bénédiction. Mais celui-ci refuse !
Pire : il les insulte, en disant "ils ne deviendront jamais rois, car ils nés d'une prostituée".
La colère de Brunehaut est terrible et Colomban paye cher sa provocation, car il est chassé de son monastère. Mais comment comprendre ce clash ?
Comment ça, vous ne connaissez pas ce mot ? "Gaber" ? C'est un verbe médiéval, qui veut dire se moquer des autres en se vantant.
Selon une légende, Charlemagne aurait lancé un concours de gabs à la cour de Byzance... Un thread ⬇️!
Dans Le pèlerinage de Charlemagne, une chanson de geste du XIIe siècle, Charlemagne et ses chevaliers en route pour Jérusalem se retrouvent à Constantinople, à la cour de l’empereur byzantin nommé Hugon. C'est bien sûr une scène fictive.
Une nuit, Charlemagne et ses chevaliers, bien bourrés, se lancent dans un concours de gabs. Il s'agit donc de se vanter d'accomplir un truc incroyable, en essayant de surpasser celui qui vient de parler.
Un peu comme une battle de rap, quoi.
Connaissez-vous les 7 péchés capitaux ? C'est comme les 7 nains, généralement on en oublie un...
En 1475, un enlumineur propose une superbe version illustrée dans un Livre d'heures copié à Poitiers (@MorganLibrary MS M.1001).
Un thread ⬇️!
On commence par l'orgueil, en latin "superbia". Le péché est représenté par un beau jeune homme s'admirant dans un miroir, monté sur un lion. En bas, le démon associé au péché est Lucifer, pointant vers une femme dédaigneuse et méprisante...
Numéro 2, l'envie. Incarné par Belzébuth, ce péché est symbolisé par la pie (oiseau voleur) et, en bas, par des gens qui convoitent le bien d'autrui.
Au XVe siècle, on se met à imprimer un peu partout en Europe. Mais l'imprimerie coûte cher et se lancer dans l'aventure exige souvent de dresser un contrat précis entre imprimeur, auteur, éditeur, libraire... Un thread à partir d'un ouvrage récent ⬇️!
Catherine Rideau-Kikuchi édite ici des contrats d'imprimeurs, trouvés dans les archives de plusieurs villes du nord de la péninsule italique, entre 1470 et 1528. Bravo à l'autrice car les recueils de sources sont toujours précieux ! @EditionsCG
@EditionsCG Ici, focus sur un contrat du 22 mai 1499, conclu à Bologne entre Filippo Beroaldo, humaniste, professeur de rhétorique à l'université, et Benedetto di Ettore Faelli, libraire et imprimeur.