⬇️THREAD – Grand oral du bac⬇️
— Comment Jean-Michel Blanquer demande officiellement aux enseignants d'évaluer les candidats sur leur timbre de voix, leur accent, leur empathie, leur humour, leur hygiène, leur sourire, leur déhanché ou le caractère "provocant" de leur tenue.
En pleine formation aux attendus du grand oral (épreuve reine du nouveau baccalauréat Blanquer), je dois me dire totalement consterné par les attendus figurant dans les documents qui nous ont été officiellement transmis.
Passons sur le moins grave : la désormais usuelle novlangue managériale débilitante. Où l'on vous enjoint d'expliquer à votre élève qu'il doit viser "une synergie entre fond et forme", "une parole authentique et incarnée" afin de "devenir un sujet plein, porteur de sens".
Pour les élèves que rien ne rassure généralement tant que de savoir sur quels attendus précis ils vont être évalués, je peux dire d'avance que ce genre de formules vagues et nonsensiques, cela va juste être un facteur d'anxiété.
Mais tout va bien, les attendus précis arrivent !
Et les attendus, on ne peut leur reprocher de ne pas être précis ! Une grille d'évaluation de quatre pages nous est transmise, ci-jointe en intégralité.
La troisième page ressemble à ce qu'on peut attendre d'attendus normaux pour évaluer un oral. Le reste... eh bien, appréciez.
L'essentiel consiste donc en une série de compétences sociales, vestimentaires, langagières... qui, littéralement, évaluent le capital socio-culturel, au point qu'on pourrait croire avoir affaire à document-type servant à illustrer le concept de violence symbolique chez Bourdieu.
Pour faire bref : il ne nous est officiellement plus demandé d'évaluer en priorité un travail (ce que les élèves ont fourni) mais des personnes (ce que les élèves sont).
Évaluer leur savoir-être. Évaluer s'ils sont des individus "socialement acceptables".
À l'élève qui possède une voix faible ou un timbre éraillé, que faudra-t-il dire ? Change de cordes vocales, ou bien navré, quel que soit le travail que tu fourniras, ta parole sera inauthentique et désincarnée, et tu ne pourras être qu'un sujet vide et insignifiant ?
La "postériorisation de la voyelle A" (concept que je découvre à l'occasion de cette formation) m'intrigue particulièrement.
Alors je veux bien être clément et me dire qu'il s'agit peut-être d'un item qui n'a rien à faire là, vu qu'apparemment la grille est reprise en l'état...
... d'un document québécois de 1998 (étrange façon de procéder, en soi). Mais qu'on demande à des professeurs français d'enlever des points aux élèves qui postériorisent la voyelle A, en l'état, je ne vois pas qui cela peut cibler sinon les élèves qui ont un accent de banlieue.
En passant, vous pourrez apprécier plus généralement la foule de détails mis à dire aux élèves ce qu'ils ne doivent pas être, et le caractère tout à fait vague et incantatoire des formules résumant ce qu'il faut être : "acceptable", "équilibré", "approprié", "correct".
Il faut une tenue, une attitude, une gestion "appropriées". Quant à savoir ce que ça veut dire, "approprié", sans doute faut-il jouir pour ça du "bon sens républicain" qu'invoquait Jean-Michel Blanquer pour distinguer la bonne longueur des jupes à l'école.
Moi, je ne sais pas.
Toutes ces petites horreurs sont dans la plus stricte continuité de la transformation progressive des écoles en succursales de recrutement pour les entreprises qui est à l'œuvre depuis des années – mais depuis les réformes de J.-M. Blanquer, avec une accélération affolante.
Entendons-nous : qu'un élève soit avenant, sympathique, souriant, ait de l'humour, on est tous capables d'apprécier cela. C'est le propre de n'importe quel être humain d'apprécier ces choses-là.
Mais en faire des compétences exigibles et évaluables, est-ce le rôle de l'école ?
Le simple fait qu'on demande à des enseignants d'inspecter si les élèves sourient assez, ne se déhanchent pas, sont assez propres, ne portent pas d'habits courts ou trop moulants, parlent sans accent ou ont de l'humour, me paraît sincèrement effrayant.
Dans un état normal des choses, ce devrait déjà suffire à soulever des protestations considérables, si on n'était à ce point assommés, jour après jour, de choses autrement plus graves encore.
Il est évidemment hors de question, en ce qui me concerne, que je suive de pareils items d'évaluation lorsque je serai face aux candidats en fin d'année. Mais peu importe : ce sont des items transmis par l'Éducation nationale. Beaucoup d'élèves seront donc jugés sur cette base.
Bon, je vais résolument finir par me faire virer de l'Éducation nationale, à ce rythme. Loi école de la confiance, article 1, tout ça tout ça.
Mais se faire virer demeure une option préférable au silence face à des dégueulasseries de ce genre.
N.B. Précision : en train d'avoir la visioconférence avec les inspecteurs en ce moment même pour clore la formation : la grille québécoise ne sera pas la grille nationale du jour de l'épreuve.
Mais c'est bien une ressource proposée par l'EN pour se donner une idée des attendus.
La grille qui, du coup, fait foi selon les inspecteurs est la suivante. Bien plus courte et moins scandaleuse – même s'il s'agit toujours essentiellement de noter de la prestance.
La grille d'évaluation québécoise est, je cite : une ressource proposée pour entraîner les élèves.
Apprendre, en fin de journée, que ce document infâme ayant servi de support à la formation n'est pas national et ne fera pas foi le jour de l'épreuve est, en soi, rassurant.
Mais à peine : car c'est bien sur *ce* support que des professeurs ont été formés à évaluer, aujourd'hui.
Qu'il s'agisse d'un document de formation et non d'une grille nationale qui sera sur le bureau des examinateurs le jour de l'épreuve, cela est certes préférable quelque part dans l'échelle du pire. Mais enfin, certains semblent clairement mésestimer ceci :
Au fond, la gravité de cette situation est bien simple à résumer : de tels attendus n'ont rien à faire, nulle part, dans des documents fournis par l'Éducation nationale à ses enseignants.
Mise à jour : sans doute en raison du tollé suscité, la grille d'évaluation litigieuse a été supprimée du module de formation et remplacée par un autre fichier.
À gauche : la page hier.
À droite : la page aujourd'hui. (Avec dans le coin gauche, l'historique des modifications.)
Eh, franchement, c'est beau tellement c'est audacieux, la réécriture des archives pour couvrir ses arrières ! (Vu que la formation est achevée, ce ne peut pas être pour réparer la faute commise en ayant formé des collègues avec une telle grille.) Dommage que ce soit si voyant !
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh