Et si on commençait l'année par la présentation d'un jeu de cartes qui combine les mois de l'année, des fleurs et de la poésie, dans un thread qui va être long ?

Je voudrais vous parler du jeu de carte Hanafuda, le "Jeu des fleurs".
Et pour débuter une précision :

Je ne suis pas un expert de l'Hanafuda, ce thread est un partage d'information que j'ai pu trouver en m'y intéressant, mais si vous êtes un.e expert.e et que vous trouvez dans ce thread des erreurs ou approximations n'hésitez pas à me corriger.
Première chose.

L'Hanafuda est un jeu de cartes, tout comme le jeu de 52 cartes en est un. Et à partir de ces cartes il est possible de faire des parties de différents jeux, et ici nous ne parlerons que d'un de ces jeux, le Koi Koi.
L'Hanafuda représente les 12 mois de l'année, chaque mois comportant 4 cartes. Ce qui en fait un jeu de 48 cartes. Chaque mois est représenté par une fleur, un arbre ou un arbuste et comporte des cartes classiques dites "Kasu" et des cartes spéciales.
Mais le calendrier de l’Hanafuda est basé sur l’ancien calendrier lunaire japonais. Il existe donc un décalage qui pourra me faire vous parler d’été en avril ou d’automne en juillet. Mais cela n’a pas d’importance fondamentale.

Présentons ces mois.
Janvier.

Le mois de Janvier est représenté par le pin, et comporte 2 cartes spéciales, un ruban rouge avec poésie et une grue.

Le pin et la grue sont associés ensemble pour le mois de Janvier car ils représentent tous deux la longévité.
Au Japon on retrouve le pin dans une présentation florale, le Kadomatsu, un objet décoratif du Nouvel An qui représente la longévité et la santé. Il devient un refuge pour les kami (divinité shintoïste) et est brulé au 7ème jour pour leur permettre de s'échapper par la fumée.
La grue, se rapporte à la légende des mille grues, qui dit que si dans l'année on plie mille grues en origami, liées ensemble, il est possible de faire un voeu de santé, de longévité ou autre qui sera exaucé.
La carte ruban rouge contient elle l'inscription "akayoroshi" dont le sens est encore sujet à débat. Et franchement je me suis perdu au fil des sites sur les suppositions et conjectures concernant sa traduction et son sens sur cette carte.
Février.

Le mois de février est représenté par le Prunus Mume ou abricotier du Japon et comporte 2 cartes spéciales, un oiseau, la bouscarle chanteuse et un ruban rouge à poésie avec la même inscription qu'en janvier.
Le mume n'est pas spécifiquement lié au mois de février mais au début d'année, principalement via des poèmes du Man'yōshū (recueil de poésie qui va beaucoup revenir dans ce thread). Sa floraison avant la fonte des neiges est un symbole de vaillance et de renouveau.
La bouscarle chanteuse (un peu le rossignol du Japon) est associée au prunus par des poèmes du recueil Kokin wakashū (Xème siècle).

Son nom japonais "Uguisu" a donné "Uguisubari", le plancher rossignol, type de plancher qui grince très spécifiquement quand on marche dessus.
Mars.

Mars est représenté par les célèbres cerisiers japonais, et comporte 2 cartes spéciales, un ruban rouge avec poésie, et un rideau.
Bon, pour le cerisier, on va pas trop s'attarder, c'est peut être l'arbre le plus associé au folklore japonais (avec l'érable). Il symbolise l'arrivée du printemps et l'éphémère, et la contemplation de ses fleurs se dit "hanami", et cela aura de l'importance plus tard.
Le ruban à poésie rouge contient l'inscription Mi-Yoshino, qui se rapporte à la ville de Yoshino dans la préfecture de Nara, où se trouve le Mont Yoshino, merveilleux lieu de randonnée célèbre pour ses 30 000 sakuras.
Le rideau laisse lui entrevoir les fleurs de cerisiers, et semble (on verra plus tard pourquoi) symboliser leur contemplation, comme s'il était un moyen d'être isolé pour regarder tranquillement les fleurs de cerisier.
Avril.

Avril est représenté par la wisteria floribunda ou glycine du Japon, et par un oiseau, le petit coucou, ainsi qu’une carte de ruban rouge mais sans écriture.

(Pour rappel, merci de ne pas glisser dans la piscine)
La glycine du Japon , ou Fuji, fleurit dans la suite des cerisiers. Et a inspiré de nombreux poèmes, notamment dans le Man'yōshū.

Le chant du coucou
D'un mouvement de ses ailes
Disperse les fleurs
Qui tant et tant abondent
Vague de Glycine
(Auteur : Ōtomo no Yakamochi)
On retrouve donc la glycine accompagnée du petit coucou, et la carte spéciale associant les deux porte d'ailleurs le nom de "fuji ni hototogisu", le coucou parmi les glycines, dont le chant est annonciateur de l'été.
Mai.

Il s'agit de mon mois préféré du jeu.
Il est symbolisé par les iris, une carte dite "du pont" et un ruban rouge sans écriture.
Le mois de Mai est entièrement lié à un conte des Ise Monogatari.

Dans ce conte, il est raconté, qu'un homme se retrouva au lieu-dit des Huit Ponts dans la région de Mikawa. En ce lieu la rivière y était séparé en 8 filets d'eau, entourés d'iris.
Il décida alors d'écrire un poème en souvenir de sa femme qui lui manquait, en faisant un acrostiche avec les syllabes du mot iris en japonais qui se disait "kakitsuhata"

Karagoromo
Kisutsu narenishi
Tsuma shi areba
Haru-baru kinuru
Tabi wo shi zo omohu
Sa traduction dans le livre Hanafuda de Véronique Brindeau est :

Comme une robe merveilleuse
Longtemps portée, chérie de plus belle
Ainsi à la femme qui est mienne
Se noue le fil de mes pensées
En ce voyage qui m'en tient éloigné.
Mais le pont de 8 planches la carte, serait aussi en rapport avec le conte Mikawanokuni yatsuhashi. Un conte super triste où une mère fabrique un pont de 8 planches au dessus d'une rivière où ses enfants ont perdu la vie lors d'une traversée pour aller la retrouver.
Juin.

C’est le mois des pivoines.
Et parmi les cartes spéciales on note un ruban bleu/violet sans inscription et les papillons.
Les papillons et les pivoines ensembles signifient l’installation de l’été. Les pivoines sont alors un symbole de prospérité et de bonheur. On les retrouve au coté de lions dans le Kagami Jishi une pièce du théâtre kabuki.
Dans cette pièce, une femme est possédée par l'esprit d'un masque de lion, dans une danse inspirée du théâtre nô, tandis que des papillons volent autour d'elle, dans un décor de pivoines rouges et blanches.

Juillet. (Ouais on vient à peine de faire la moitié)

Mois du lespedeza, un légumineux dont j'ignorais totalement l'existence, accompagné d'un ruban rouge sans inscription et d'un sanglier.
Aussi étonnant que cela puisse paraitre pour un légumineux, le lespedeza est la plante la plus présente dans le recueil de poèmes Man'yōshū. Au palais impérial de Kyoto se trouverait une partie de jardin appelé le clos des lespedezes.
Le Lespedeza est considéré comme symbole de l'automne bien qu'inclus dans le mois de Juillet. Son idéogramme japonais est d'ailleurs une combinaison entre la clé de l'herbe et le kanji de l'automne.
C'est pour cela qu'on retrouve le sanglier, dans la dernière saison où il est encore "apprécié" avant de quitter les collines au début de l'hiver pour se rapprocher des habitations, avec une faim qui peut le rendre facilement hostile.
Aout.

Son symbole végétal est la miscanthe, que l'on retrouve associée aux oies sauvages et à la pleine lune. À noter qu'Aout et Décembre sont les deux seuls mois à ne pas avoir de cartes rubans.
Miscanthe, Susuki, ou herbe d'argent, est connue pour ses reflets clairs et froids des soirs d'automne. On la retrouve associée à la lune dans Izutsu, une pièce du théatre Nô inspirée d'un conte d'Ise (tout comme le mois de Mai).

fr.wikipedia.org/wiki/Izutsu
Le mois d'Aout est, tout comme le mois de Mars, un mois de contemplation, avec sa carte de la pleine Lune, associée à Tsukimi (observation de la lune), une festival, à la moitié de l'automne au Japon, dédié à la contemplation de la Lune
Enfin, le mois d'Aout est représenté par les oies sauvages en plein vol, qui migrent vers des zones plus chaudes avant que l'automne ne se confirme et laisse place à l'hiver.
Septembre.

Le mois de Septembre est symbolisé par des chrysanthèmes, auxquelles s'associent un ruban bleu et une coupe de saké.
Ici les chrysanthèmes symbolisent l'immortalité. Coeur d'un élixir que l'on retrouve parfois dans le théatre nô, détenu par des personnages qui demeurent éternellement jeunes. Il s'agit aussi tout simplement d'un symbole du Japon.
Et à partir du 1er novembre se déroule au Japon le Kiku Matsuri, festival des chrysanthèmes, avec dans plusieurs sanctuaires de très nombreuses fleurs exposées.
La carte du saké, elle, porte son propre nom, kiku ni ippai, la coupe auprès des chrysanthèmes, qui est parfaite pour accompagner un temps de contemplation.
Octobre.

Voici le mois des érables, accompagnés d'un ruban bleu et d'un cerf sur les deux cartes spéciales.
Les érables, ou momiji, aussi célèbres que les cerisiers. Ils représentent le cœur de l'automne avec leur feuillage orangée dont la beauté efface toute mélancolie pourtant habituelle de la période.
On les retrouve associés au cerf dans un poème du Shin kokin wakashū, anthologie impériale de poésie remontant au 13ème siècle.

Les basses branches des érables
D'un coté s'effeuillent
Dans la montagne un cerf solitaire
Mouillé par l'averse du soir
Bramera sans doute.
Novembre.

Novembre est un mois à part dans le jeu de carte hanafuda.

Représenté par le saule, il ne le laisse jamais seul, avec une carte où se trouve la foudre, une autre avec un ruban rouge sans écriture, une avec une hirondelle, et la plus importante, celle avec un poète.
Parlons tout de suite du poète, qui n'est autre que Ono no Michikaze, le fondateur de la calligraphie japonaise.

Selon la légende, il aurait échoué 6 fois au concours pour devenir lettré. Rentrant une 6ème fois de suite chez lui, sans succès, il voit au bord d'une rivière
Une grenouille qui tentait de sauter sur la branche d’un saule pour y attraper un insecte. Un échec, puis 2, 3, 4, 5, 6, mais ne cédant pas à l'abandon, elle s'élança une septième fois avec succès.

Ono no Michikaze y tira la motivation pour un nouvel essai qui sera le bon.
La foudre du mois de novembre peut être représenté différemment selon les éditions. Parfois sous la forme la plus simple d'un éclair, elle peut aussi donner une carte curieuse et dure à lire, où l'on trouve une patte de dragon et un tambour dont le son évoque le tonnerre.
Décembre.

Dernier mois de l'année, il est celui du paulownia, accompagné d'un phénix, mais aussi souvent du nom de l'éditeur du jeu de carte sur une carte qui n'en devient pas spéciale pour autant (ici Nintendo sur la 3ème carte)
C'est donc le paulownia qui clos cette année, lui qui pourtant ouvre le Dit du Genji avec "Le Clos du Paulownia", mais qui est aussi plutôt un arbre printanier.

Il est considéré comme un symbole de mérite et de reconnaissance.
Quant au phénix, sa présence est curieuse, car l'association du phénix et du paulownia se retrouve dans le folklore chinois dans un recueil de légendes de Zhuangzi où il est expliqué que le phénix ne peut se poser que sur les paulownias
Maintenant que vous avez pris connaissance de la richesse et de la beauté du jeu de carte Hanafuda, nous allons terminer avec les règles du Koi Koi, un jeu à deux, qui se joue avec l'Hanafuda.

Mais avant voici quelques précisions qui m'ont été apportés au fil de ce thread.
Pour des raisons de simplicité, je vais vraiment en rester à la forme la plus simple du koi koi, sans entrer dans trop de détails, le thread est déjà assez long comme ça. Le but étant de vous permettre de jouer simplement si vous acquérez un hanafuda.
Vous êtes deux face à face.

Distribuez, 4 cartes à chacun, puis disposez en 4, face visible au centre de la table. Puis recommencez. Chacun des joueurs à donc 8 cartes qu'il ne montre pas, et la partie centrale, le ba, en a 8 face visible.
La personne qui a distribué démarre.

Dans son jeu, elle voit si elle a une carte d'un même mois qu'une carte du ba. Si oui, elle la pose dessus. Puis elle prend une carte dans la pioche (le tas restant).
Si cette carte piochée lui permet de faire une deuxième association avec une autre carte du ba, alors elle la pose dessus et récupère ses 4 cartes. Sinon elle récupère sa seule paire réalisée et la carte de la pioche rejoint le ba, face visible, pour l'étoffer.
C'est ensuite à l'autre personne de jouer avec le même principe.

Si votre jeu ne vous permet pas de faire de paire avec le ba, alors vous devez vous défausser d'une carte de votre choix qui va rejoindre le ba. Choisissez bien parce que cela peut facilement vous couter cher.
Avant d’en prendre une dans la pioche qui vous permettra de faire une paire (et pourquoi pas de récupérer votre carte défaussée par exemple) ou qui finira aussi dans la ba si aucune association n'est possible. Et ainsi de suite, la main repassant à l’autre personne.
Mais du coup quand s’arrête une partie de koi koi ?

La partie peut s’arrêter quand un des joueurs a réalisé un yaku (je reviens dessus 2 tweets plus bas). Il peut alors dire Koi Koi, la partie s’arrête et on compte ses points, ou Koi et la partie continue.
Si la partie continue et qu’il est aussi le prochain joueur à réaliser un nouveau yaku alors ses points seront doublés. C’est une forme de quitte ou double.
Les yaku (chose promise) sont des associations de cartes.

Les cartes sont rangés par catégorie de points, même si ces points ne rentrent pas en ligne du compte du calcul, celui qui importe étant la valeur du yaku réalisé uniquement.

Voyons les catégories puis les yaku.
Les kasu, cartes à 1 points, sont les cartes classiques sans rien dessus.

Les tanzaku, cartes à 5 points qui sont celles avec un ruban, quelqu’il soit.
Les Tane, cartes à 10 points, avec la bouscarle chanteuse, le coucou, le pont, le papillon, le sanglier, les oies, le saké, le cerf et les hirondelles

Et les Ko, les cartes lumières à 20 points avec la grue, le rideau, la pleine lune, le poète et le phénix.
Maintenant les yaku, qui une fois en votre possession vous permettent de clore la partie (Koi Koi) ou de relancer quitte ou double (Koi)

D’abord les 10 kasu, 10 cartes à 1 point. Vaut 1 point +1 point par kasu supplémentaire
Le Tan : 5 rubans quelqu’ils soient, vaut 1 point +1 point par ruban supplémentaire

L’Aotan : Les 3 rubans bleus, vaut 6 points

L’Akatan : Les 3 rubans avec des écritures, vaut 6 points
Le 5-10, avec 5 cartes à 10 points (Les Tane), vaut 1 point +1 par Tane supplémentaire
Le Sanko : 3 cartes à 20 points sauf le poète, vaut 6 points

Le Yonko : 4 cartes à 20 points sauf le poète, vaut 10 points

L’Amenyoko : 4 cartes à 20 points dont le poète, vaut 6 points

Le Goko : 5 cartes à 20 points, vaut 15 points
Et enfin les associations :

Ino-Shika-chô : Sanglier, Cerf et Papillon, vaut 5 points

Hanami de ippai : Contempler la lune (Pleine Lune) et boire du Saké (Saké), vaut 3 points

Tsukimi de Ippai : Contempler les fleurs (Rideau) et boire du saké (Saké), vaut 3 points
Voilà, merci d'avoir lu ce très (trop) long thread.

Maintenant vous pouvez jouer et savourer la magie et la poésie du jeu de carte Hanafuda, pourquoi pas en vous procurant celui de Nintendo, puisque la firme japonaise en a fait sa spécialité à sa création en 1889.
Attention cependant, les cartes Hanafuda sont souvent de petites tailles. À savoir à l'avance pour éviter l'effet de surprise la première fois.

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