Thread by @nmounier16

Le nucléaire français aura finalement surmonté un choc systémique inédit en 2020, l’arrêt pendant 2 mois de son plus grand programme industriel, le grand carénage. Let’s thread !

https://twitter.com/nmounier16/status/1344848137379336193

1. Cela s’est traduit par une perte de 12% de la production nucléaire mais sans remettre en cause l’approvisionnement électrique pendant le confinement et surtout sa capacité à être au rendez-vous de cet hiver 2020-2021.

2.Cet évènement est l’occasion de revenir sur l’une des arguments les plus utilisés pour justifier la réduction prématurée du parc nucléaire : la diversification du mix électrique permet de gagner en résilience, ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier, du bon sens non ?

3.Quelques rappels pour commencer, le mix est en réalité déjà diversifié si on regarde la puissance installée et il n’est pas obligatoire de fermer prématurément des tranches nucléaires pour continuer d’augmenter la part des ENRi.

4.La dépendance du nucléaire au mix électrique a été souvent évoquée comme une faiblesse et la fermeture prématurée des réacteurs nucléaires, une nécessité pour rééquilibrer le mix :

https://twitter.com/buchebuche561/status/1145471868868206592?s=20

5.Cet argumentation avait été déconstruit par @laydgeur dans ce thread avec une comparaison très pertinente avec l’hydraulique. En conclusion, les mix les moins diversifiés (hydro et/ou nucléaire) sont aussi les plus bas carbones

https://twitter.com/laydgeur/status/1146122380718350336?s=20

6.On pourrait s’arrêter là et ajouter que sans stockage et/ou flexibilité de la demande, ce qui est prévu pour remplacer le nucléaire n’a pas de puissance garantie et rend l’utilisation du gaz fossile inévitable.

7.Mais il me semble qu’il manque un aspect historique qui explique à la fois l’angoisse cachée derrière cet argument et pourquoi il me semble non pertinent après 40 ans d’exploitation

8. Il ne faudrait pas croire que cet argument est juste un élément de langage politique passager, teinté de mauvaise foi. Il est partagé par une partie de l’administration fr comme le montre la dernière interview à la RGN de Sophie Mourion, directrice de l’énergie à DGEC:

9. « Plusieurs épisodes de forte indisponibilité ont mis en lumière la nécessité de diversifier…». Qu’est ce qui est évoqué ici ? Sans aucun doute, l’épisode des ségrégations carbone des GV (et dossiers barrés de Chalon)
edf.fr/groupe-edf/nos…

10. Et peut-être certains évènements ponctuels comme l’arrêt de Tricastin suite aux travaux de consolidation d’une digue ou encore l’arrêt de Cruas suite au séisme du Teil.

11.L’âge moyen du parc fr est de 35 ans et la question qui vient tout de suite à l’esprit : pourquoi maintenant ? Est-ce que les épisodes récents sont tels que cela justifie que l’on ferme prématurément des réacteurs alors que dans le même temps, nous investissons massivement ?

12. Les épisodes récents que l’on nomme Aléas génériques n’ont pourtant rien d’exceptionnels au regard de l’histoire du parc Fr. Ils sont la conséquence directe d’un parc standardisé, le fameux effet série. EDF & les AS ont dû, dès le début, gérer et traiter ces aléas génériques.

13.Celui qui en parle le mieux (et sans langue de bois), c’est Jean-Pierre Hutin, ancien directeur technique du Parc nucléaire EDF :

14. « il y a un endroit où ça part de travers tout à coup, alors qu’on ne s’y attendait pas, alors on se met à vérifier sur les autres tranches, et on s’aperçoit qu’on a la même chose partout ! »

15.« On a tout étudié à la conception, on a pris beaucoup de précautions, mais la nature, elle, n’est pas bonne fille. La vraie vie, elle est comme ça, ce n’est pas plus mystérieux qu’une voiture : elle est censée rouler 100 000 bornes, mais parfois ce n’est pas le cas,..

16. …et sur le parc on a ce genre de problème, mais multiplié par 58 tranches. Je ne vois pas dans les grandes défaillances génériques de notre histoire des choses plus mystérieuses que : Pas de pot, + 1 emmerde sur une tranche = 58 emmerdes »

17. S’il est vrai que la probabilité d’un aléa générique qui démarrerait de façon simultanée sur toutes les tranches du parc EDF est faible, celle d’une découverte simultanée est et reste toujours forte.

18. De nombreux livres et articles détaillent les grands aléas historiques. Il commence dès le début de la construction du parc jusqu’à nos jours.

19. Il faudrait des chapitres entiers pour décrire ces aléas. A chaque fois, ces aléas ont été compris, analysés et traités. Bien comprendre qu’un aléa générique, ce n’est pas un accident en devenir. La redondance des systèmes permet de couvrir et supporter des échecs.

20.L’affaire des couvercles de cuve est l’une des plus emblématiques. Au début des années 90, des fissures sont constatées sur quelques couvercles de cuve.

21. Les tranches 3 et 4 de Bugey sont arrêtées pour 1 an, avec une menace d’arrêter le reste tant qu’on n’aurait pas compris pourquoi il y avait des fissures sur les couvercles. Les questions : quel risque d’éjecter le mécanisme des grappes de commande ? Que se passe-t-il ?

22.Jean-Pierre Hutin décrit le travail de Jean-Pierre Mercier, alors responsable maintenance du parc nucléaire :

23. L’allusion aux USA s’explique par l’incident de David-Besse (incident niv 3 sur INES) en 2002. Un cas d’école de l’absence d’analyse des signaux faibles et d’absence d’alerte lors de dégradations lentes nrc.gov/reading-rm/doc…

24. Bref les aléas génériques existent depuis qu’il existe un parc standardisé. Rien de nouveau sous le soleil. Alors pourquoi évoquer cet argument maintenant après 40 ans d’exploitation et sans aucune rupture d’approvisionnement.

25. Certains diront peut-être à cause de l’âge des centrales, plus de risques. En fait, pas vraiment, si on exclut la cuve, la plupart des gros composants, auront été changés partiellement ou totalement entre les VD3 et les VD4.

26. L’un des meilleurs articles de 2020 avait d’ailleurs montré l’absence de corrélation évidente entre le nombre d’ESS et l’âge des centrales (le vieillissement plus fréquemment cité mais pas plus d’évènement)
contexte.com/article/energi…

27. En fait, si ce n’est pas les aléas génériques qui sont en cause, c’est le contexte qui a changé. Et il suffit de comprendre le contexte des années 90 et de l’aléa sur le couvercle de cuve pour saisir pourquoi cela pose problème lors de la décennie 2010-2020 :

28. « On était en surproduction, l’Autorité de Sûreté arrêtait deux réacteurs pour étudier à fond le problème, faire des analyses et des expertises. ».

29.La diminution des capacités thermiques est une bonne chose pour le climat mais elle a des conséquences sur le parc nucléaire. Plus beaucoup de marge pour gérer un aléa générique.

https://twitter.com/buchebuche561/status/1346502098096107525?s=20

30. La fermeture de 14 tranches nucléaires à partir de 2027 ou 2029 ne va rien arranger. Cela va réduire encore d’avantage la puissance pilotable. Ce qui a permis la gestion du covid en 2020, c’est le nombre de réacteurs et la diversité des cycles combustibles (12 à 18 mois).

32. En cas d’aléa, le risque majeur de la PPE c’est d’aller vers une configuration plus proche de la Belgique en 2018 (1/7 dispo) que celle de la France fin 2020. Cela sera d’autant plus vrai si la réduction de la puissance pilotable se produit partout en Europe en même temps.

33. La répartition géographique des fermetures pourraient même réserver des mauvaises surprises. Les réacteurs qui auront été épargnés sur un site pourraient finalement devoir fermer à cause d’évolutions plus rapide que prévues sur la cuve. D’où l’intérêt de préserver des marges.

34. Cela va avoir des conséquences sur la modulation de puissance. Actuellement, 2 réacteurs sur 3 couplés sont manœuvrants. Si 30 d’entre eux peuvent varier leur charge de 500 MW chacun, alors le parc dispose d’une capacité de variation de 15 GW,

35. 15 GW qui s’ajoute aux variations de l’hydraulique ou des imports-exports (10-15GW). Les besoins en dilution expliquent la réduction de l’amplitude de variation possible dans le dernier tiers du cycle. Moins de réacteurs, c'est moins de modulation pour accompagner ENRi

36. Bref, la fermeture prématurée de réacteurs ne va pas rendre le système électrique plus résilient. C’est même strictement l’inverse. L’absence de marge rendra tout aléa très compliqué à gérer. Nous allons perdre en flexibilité (planning) et en modulation de puissance.

37. Les réacteurs ne sont pas éternels mais prolonger tout ce qui peut l’être est la meilleure option technico-climato-économique. Surtout se garder des marges pour les mauvaises surprises.

https://twitter.com/nmounier16/status/1337530853728145408?s=20

38. Il est donc urgent de lancer des projets de stockage, de flexibilité de la demande et la construction de nouveaux EPR2. Ce n’est pas l’un ou l’autre en fct que vous soyez pro-ENRi ou pro-Nuc, c’est les 3 en même temps car les 3 présentent des risques qui leur sont propres.

Enfin...

38.Sources :
-Dominique Larroque. Histoire du Service de la Production Thermique d’EDF, tome I et II,
-Techniques de l’ingénieur « Maintenance des chaudières nucléaires » par Jean-Pierre Hutin (cf. quelques cas de « maladies » non prévues)

- Histoires de la maintenance nucléaires par Christiane GILON et Patrice VILLE
- Revue Générale Nucléaire, avril 2020 « stratégie zéro carbone : les défis du nucléaire français »

-Revue Générale Nucléaire janvier 2017 « Production renouvelable et nucléaire : deux énergies complémentaires » par Stéphane Feutry

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