Thread by @fondation_me

Comprend-on ce qu’on voit dans un tableau ? Le Radeau de la Méduse est l’un des plus grands tableaux anti-esclavagiste de l’histoire. Et pourtant cette dimension essentielle de l’œuvre reste négligée, voire totalement omise, encore aujourd’hui. Résumé en un Thread 1/13

https://twitter.com/Histoire_image/status/1353992573862486016

Le naufrage de la Méduse est l’un des plus fameux faits-divers du début du 19è. Un monument d’incompétences et de lâchetés. Géricault fait déjà scandale en choisissant un sujet aussi retentissant, dont les libéraux avaient fait un symbole contre la Restauration 2/13

Choquant dans ce qu’il représente (la critique parlera d’un "amas de cadavres"), le tableau est également condamné par les tenants de la peinture classique pour son réalisme cru. Dénonciation politique, manifeste romantique, les interprétations s’arrêtent là en général 3/13

Et on n’aura rien vu de ce que Géricault a vraiment peint. Ce qu’il faut voir : ces trois corps noirs, au centre, en bas à droite, et, surtout, à la proue, figurant l’espoir, un linge à la main comme un drapeau, un linge blanc et rouge, alors que son pantalon est bleu 4/13

Symbole évident, alors que la Restauration a rétabli le drapeau blanc contre les trois couleurs. Symbole évident, alors que depuis 1802 l’esclavage a été rétabli par Napoléon dans les colonies. Symbole + évident encore quand on sait qui était le modèle noir de Géricault 5/13

Il s’appelait Joseph. Il avait connu l’esclavage à St-Domingue, devenue Haïti après une défaite infligée à Napoléon qui frappa les contemporains. Hugo en tirera son 1er roman, Bug-Jargal, écrit au moment où Géricault peint le Radeau 6/13
A lire 👉urlz.fr/eNO4

Géricault ne fait apparaître ces figures noires que dans la 2ème esquisse du tableau. Et non seulement il place Joseph au sommet de la pyramide humaine, symbole de l’espoir, mais il peint 3 hommes noirs, là où il n’y en avait qu’un sur le vrai radeau 7/13

Ce choix n’est pas un hasard, ou une fantaisie exotique. Géricault fréquentait les milieux abolitionnistes. Il avait connu à Rome le peintre Guillaume Guillon-Lethière, métis de Guadeloupe auteur du tableau hommage à la révolution haïtienne, Le Serment des Ancêtres. 8/13

Dans son livre richement documenté Citoyens du Monde. Noirs et Orientaux de Géricault (2020), Bruno Chenique fait ainsi du Radeau rien moins qu’une "allégorie de Saint-Domingue" et un manifeste "pour la fraternité des races" 9/13
journals.openedition.org/rh19/7266

Alors pourquoi ne nous en parle-t-on pas ? Ce n’est pas d’aujourd’hui. Bruno Chenique note que "aucun des critiques d’art du Salon de 1819 n’a parlé de la couleur de peau du héros principal du Radeau." 10/13
la-croix.com/Culture/Livres…

Aujourd’hui, ils diraient qu’ils sont "aveugles à la couleur". Ils étaient juste aveugles. Aveugles au sujet de l’oeuvre. Aveugles à l’intention du peintre. Aveugles aux discriminations dans la France de 1819. Aveugles et sourds au message du tableau : abolition ! 11/13

Et maintenant ? Maintenant il serait judicieux que les notices de ce tableau soient actualisées pour y faire figurer tous les éléments réunis Bruno Chenique, ou Stéphane Guégan dans sa contribution au catalogue de l’exposition Le Modèle Noir @MuseeOrsay 12/13

Ainsi au @louvre :
- ici : louvre.fr/oeuvre-notices…
- et là : louvre.fr/routes/jay-z-e…
Et sur le par ailleurs très bon site @Histoire_image : histoire-image.org/fr/etudes/mani…
13/13