Thread by @vkokoszka

Universalisme, neutralité du droit et théorie critique de la race (TCR)
Comment la lutte légitime pour l’égalité, contre le racisme et les discours haineux, a pu forger les armes récupérées par la « cancel culture »

Thread philosophico-juridique
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1. La ségrégation aux Etats-Unis et la TCR
2. La neutralité du droit, masque de la domination blanche?
3. L’usage des narratifs
4. Le privilège de l’expérience
5. Hate speech et Emotional distress
6. Rituel de dégradation et shaming
7. Conclusion
8. Sources

Les Etats-Unis sont structurés par 1 découpage ethno-racial (établi sur recensement) que le mouvement pour les droits civiques des 60’ n’a pas aboli mais qu’il a intégré pour montrer, évaluer et combattre les inégalités socio-économiques dont continuent de souffrir les minorités

Issue de la théorie critique marxiste et des théories postmodernes, la théorie critique de la race entend poursuivre la lutte pour l’égalité raciale au sein du droit, conçu comme le centre de production et de reproduction systémique du pouvoir et de la norme dominante -blanche.

Pour la TCR,la neutralité dont se pare le droit est le masque de la domination. Figure du déni racial et de l’inconscient raciste, cette inspirée de l’universalisme dissimule sous «l’indifférence à la différence», la façon dont elle exerce son joug : par négation des différences.

Procès en indifférence que l’universalisme récuse dans son combat contre la réduction des individus à une catégorie raciale. Car celle-ci anéantit sous l’étiquette «blanc/noir» tant la diversité des êtres que la communauté d’appartenance humaine qui fait de nous des semblables.

La lutte universaliste pour l’application impartiale des lois vise à réaliser son propre idéal : un régime des droits humains qui reconnait à chacun ce qui doit valoir pour toutes et tous - la liberté, l’égalité, la fraternité.

3. Relativiste, la CRT revendique un système juridique qui annule les inégalités concrètes, mais reconduit la différenciation raciale afin de perpétuer les cultures minoritaires et leurs facultés de résistance face au groupe majoritaire, blanc.

Fonction de la radicalité des auteurs, ce système juridique serait tantôt bien plus attentif aux discriminations subies par les minorités, tantôt ouvert à une réforme multiculturelle des lois, tantôt encore compatible avec une pluralité de normes communautaires

Jusqu’où pourrait aller la pluralité des normes dans une démocratie sans que conquise par le relativisme, elle ne mène à l’implosion de la communauté sociale où devrait se vivre l’interaction pacifique entre les hommes ? Se réaliser le désir de justice et d’égalité concrètes ?

Pour contrer la domination de la norme blanche, la TCR reprend 2 thèses du "tournant linguistique": les groupes a)se définissent par des jeux de langage, des formes de vie qui ont des normes/valeurs propres b)dont la définition et l’usage sont "incompréhensibles" aux autres

4. Et introduit dans le champ du droit a) l’usage de récits, de narratifs qui traduisent et prescrivent vision du monde, normes et valeurs spécifiques à la communauté minoritaire, b) qu’elle dote d’un privilège exclusif : celui de l’expérience vécue et de la parole autorisée

«Seul celui qui vit la domination peut en exprimer les termes, dans son langage, depuis sa sensibilité et ses valeurs», qu’il publicise.
L’asymétrie créée par le privilège d’expérience soustrait le narratif et ses normes à la discussion et à l’analyse communes

Pour lui éviter l’appropriation dans le jeu de langage dominant, mais aussi imposer son sens et son usage «communautaire».
La sauvegarde de la culture minoritaire, sa non-mixité, est ainsi garantie au prix de l’intercompréhension jugée par essence illusoire.

5 La lutte contre les discours racistes et haineux est un autre combat majeur de la TCR. Il requiert de s’affranchir du 1er amendement de la constitution US qui,sauf appels à la violence,garantit une liberté d’expression quasi illimitée, laissant cours aux propos les plus odieux

L’usage judicieux des thèses d’Austin, auteur de «Quand dire, c’est faire», sert à contourner l’interdit constitutionnel, en extirpant les discours de haine (hate speech) du giron de l’expression, du dit, pour en faire des actes (hate crime) punis par le droit américain.

Les ténors de la TCR, Matsuda et Lawrence démontrent que les discours de haine exercent une action,qu’ils génèrent l’intériorisation de comportements d’infériorité, stress et angoisses: qu’ils infligent de la détresse émotionnelle (infliction of emotional distress), délit reconnu

Nécessaire, la pénalisation des "hate speech" échoue en raison de 1) la sacralité du 1er amendement, 2) la restriction théorique du racisme subi aux seules communautés opprimées historiques, contraire à l'égalité en droit et 3)l a difficulté d’identifier des victimes précises.

La voie juridique fermée, d’autres théoriciens optent, contre les légalistes, pour la voie de la pression sociale dans les communautés autorégulées telles qu’universités, partis, syndicats, pour réformer la norme trop tolérante aux «abus verbaux ou picturaux discriminatoires»

6 R. Abel conçoit un protocole asymétrique où qui se sent blessé peut exiger explications et excuses publiques de l’"offenseur". La discussion doit créer le cadre d'un ‘rituel de dégradation’où l’infériorisation raciste se troque contre la reconnaissance de son infériorité morale

Sanctionnée par le pardon, le blâme voire l’exclusion. Ce "rituel de dégradation », initialement pensé comme mode de réparation et d’égalisation morale ancré dans la réprobation, conjugue les inconvénients de l’informel à ceux de l’arbitraire.

7. Couplé au choc émotionnel, il esquisse le procédé d’une culture de l’annulation (cancel culture) qui fait de l’asymétrie l’instrument d’une contre-domination, hors champ d’une intelligence critique commune, à l’arbitraire et au relativisme fatals

Un arbitraire auquel conduit la fragmentation de l’humanité en ces identités closes, réputées imperméables aux autres, que Maalouf qualifiait de meurtrières. Un arbitraire qui frappe les mots, les œuvres, les êtres et se propage à la société tout entière.

La majorité des théoriciens de la TCR sont des démocrates mais
le schème de la domination
L'identité raciale
le narrativisme
Le privilège d'expérience
L'appropriation
Le choc émotionnel
La pression sur les communautés autorégulées

Ont armé la cancel culture

8. Sources
Statistiques raciales : monde-diplomatique.fr/2019/07/BREVIL…
Gaudreault- Desbiens, un article classique auquel ce thread doit beaucoup "La Critical Race Theory ou le droit étatique comme outil utile, mais imparfait, de changement social" : cairn.info/revue-droit-et…

Richard Abel : socialsciences.exeter.ac.uk/media/universi…
Magali Bessone : Quelle place pour la critique dans la CRT, cairn-int.info/article-E_RPHI…
https://t.co/zSBVnZJf0u

Mari Matsuda et Charles Lawrence, Words That Wound: Critical Race Theory, Assaultive Speech, and The First Amendment
routledge.com/Words-That-Wou…