Audience correctionnelle, formation collégiale. Je représente le ministère public avec 1 auditeur de justice qui doit prendre les réquisitions. On juge 1 vol avec violences & l'ambiance dans la salle est proprement irrespirable.
Une tension à couper au couteau est palpable. A la barre 3 prévenus, qui viennent répondre de faits commis au préjudice d'une boulangerie pâtisserie réputée de la ville. Christelle, poursuivie pour complicité, y a travaillé dans le passé. Elle connaissait les horaires,
les moments où la recette serait bonne, & les habitudes du patron. Elle a rencontré Salim, la petite trentaine. Il appartient à une famille bien connue du parquet de mon ressort. Défavorablement connue comme on dit. Malgré de nombreuses condamnations, Salim ne se range pas.
Il est toujours à la recherche de plans et d'argent facile et Christelle, rapidement tombée amoureuse comme souvent des mauvais garçons qui en imposent, a immédiatement représenté une opportunité plus qu'une nouvelle conquête à inscrire sur son tableau de chasse.
Sachant mélanger comme pas 2 la crainte, la flatterie & la séduction, Salim a suscité chez Christelle 1 fascination teintée d'appréhension. A sa demande elle lui a parlé de son ancien patron, sa petite routine, l'organisation du commerce... Christelle n'est pas idiote.
Elle a vite compris que Salim ne posait pas ces questions au hasard, mais sa réticence a vite cédé devant les promesses et les injonctions de mériter sa place aux côtés de son Roméo. Alors, en toute connaissance de cause, elle a donné force détails et indications.
Salim n'étant pas homme à se salir les mains, il a recruté dans sa cour Pascal, 1 pauvre hère sans argent, sans logement & sans but, en quête de projet & de fortune, à qui il a vendu du rêve. Quelques instants, 1 plan bien rodé,1 ton persuasif, pour des milliers d'euros a la clé.
Pascal a été chargé de la main d'oeuvre en quelque sorte, & il a volontiers accepté. 1 peu rustre, comme condamné à échouer tout ce qu'il entreprend, il voit en Salim 1 modèle : ce charisme, cette force tranquille, cette détermination... Il a l'air sûr de lui et plutôt futé.
Son plan va marcher. Il DOIT marcher, non? Après ça, à lui la grande vie et la fin des galères. Pascal ne se dit même pas que c'est étrange, si c'est aussi simple et aussi peu risqué, que Salim n'y aille pas lui-même et préfère partager le butin et minimiser le profit.
Christelle renseigne, Salim échafaude, Pascal exécute. Le jour J Salim passe chercher Pascal, lui remet les gants & la cagoule qui doivent empêcher son identification. Salim lui confie aussi un couteau, histoire d'être suffisamment dissuasif : Pascal l'enfouit dans sa poche.
Ils roulent jusqu'à se trouver à quelques rues du commerce où attendra Salim au volant, prêt a démarrer... Pascal met sa cagoule et en route pour une rapine qui devrait se dérouler sans accroc. Il ne réfléchit pas : en petite main servile, il exécute le plan. On est lundi.
La banque où la boulangerie dépose les fonds est fermée aujourd'hui : ce soir, à la fermeture, le patron a sur lui en quittant sa boutique la recette de samedi, dimanche & lundi. 3 jours de vente du bon pain et des petits gâteaux qu'on déguste en famille le week-end...
Christelle a bien précisé que c'est le lundi soir que la sacoche de son ancien patron serait le mieux garnie & remplie du contenu du coffre, tout juste vidé, pour se rendre à la banque mardi à la 1ère heure... Elle a toujours trouvé ça bien imprudent. Elle le lui avait même dit.
Pascal attend dehors, dans la pénombre d'1 porche voisin. Salim lui a dit d'attendre que la victime soit en train de fermer son commerce... Il regarde le gérant sortir. Quand il tourne le dos à la rue pour verrouiller la boulangerie, Pascal s'élance. Son coeur bat très fort.
Il fonce & n'hésite pas, il agrippe la sacoche. Il panique quand il constate que sa bandoulière fait le tour du torse de la victime & que tirer fort ne suffira pas, cette dernière ne semblant pas disposée à se laisser dépouiller. Le gérant a subi 2 braquages dans le passé...
Ce malotru qui entend lui voler la recette de 3 jours de travail, c'est NON. Il s'agrippe à sa sacoche et essaye de repousser son assaillant. Des secondes de corps à corps infructueux s'écoulent. Pascal bien heureusement ne pense pas au couteau dans sa poche.
Salim a été clair ça doit aller VITE, Pascal ne peut quand même pas échouer & revenir les mains vides, la honte...Il fait ce qui lui paraît le plus efficace, il cogne. 3 coups de poing, en pleine face. Sa victime vacille, s'effondre... Victoire, Pascal s'empare de la sacoche.
Il file jusqu'à la voiture en courant & relève sa cagoule, il n'a plus de souffle...Salim démarre en trombe. Le butin mirobolant promis s'élève à 1200€, la faute au sans contact sûrement...Pascal reçoit 400€, Salim 800 car il explique que son informateur attend sa part.
En réalité Christelle ne touchera rien & sa côte auprès de Salim descend en flèche : 1 opportunité finalement bien décevante...Le trio est vite démasqué : Pascal est vantard & est passé devant pas moins de 3 caméras de vidéo surveillance dans sa fuite, les tontons parlent,
le jour choisi pour le vol aiguille vers une complicité interne, la téléphonie des employés & ex employés est épluchée, Christelle & ses fréquentations intriguent... Placée en garde-à-vue pour la 1ère fois de sa vie, moitié par peur, moitié par dépit, elle balance ses comparses.
Pascal avoue très vite, mais couvre Salim qui nie en bloc. Tout vient pourtant l'accabler, depuis le témoignage de Christelle jusqu'à la téléphonie & la sacoche de la victime retrouvée en perquis'... A l'audience Christelle pleure, persiste et signe : le cerveau c'est Salim.
Pascal le copain loyal s'agite et braille. Malgré les éléments factuels qui le contredisent il la charge elle, la traîtresse, elle qui "poucave" alors que le silence est de mise. Il reconnaît le vol, il reconnaît les coups, mais le plan il l'a mis en place avec Christelle...
Tandis que l'1 s'égosille & que l'autre pleurniche, Salim est dans la maîtrise. Bien droit & calme, il argumente & ergote sur les éléments de procédure présents au dossier. Sa cour présente dans le public s'amuse de sa répartie & lui témoigne bruyamment son soutien.
Le boss, c'est lui ; nul ne peut un instant croire que cette gamine effondrée sur son banc qu'1 porte qui claque effraye ou que Pascal, qui se contredit à chaque phrase & fait s'esclaffer la salle, aient pu élaborer le moindre plan ensemble. Le maillon indispensable, c'est Salim.
Il en impose, le sait & en joue. Tandis que mon auditeur prend de brillantes réquisitions Salim, qui connaît la musique & sait identifier son véritable adversaire dans une salle d'audience, me toise, 1 sourire au coin des lèvres. Il espère manifestement me faire baisser les yeux.
Il ne bronchera pas quand il écopera de 6 années d'emprisonnement. L'audience se termine dans les hurlements de protestation de Pascal, condamné à la même peine.
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Allez beaucoup trop de bêtises sur ce sujet et je suis colère colère. Donc c'est parti : pourquoi un procureur requiert et pourquoi un tribunal peut assortir de l'exécution provisoire une condamnation pénale ? Au civil pour info, ça arrive tout le temps.
Ce thread est pédagogique et ne vise PAS à expliquer les motivations des juges dans le dossier lybien. Ils ont rédigé un jugement pour les expliquer eux-mêmes. Inutile de venir m'expliquer pourquoi la décision est injuste pour N.Sarkozy. Pas la patience, donc ne faites pas ça.
Il y a beaucoup de motifs pour prononcer cette exécution provisoire (EP), ce qui signifie que la peine est exécutoire RIGHT NOW, peu importe que le prévenu fasse appel. Elle peut assortir une peine privative de liberté et notamment de l'emprisonnement ferme,
5€.
5€ pour gérer les contentieux civils, les affaires familiales, les conflits en droit du travail, les tutelles, tant d'autres choses.
5€ pour protéger les enfants en danger.
5€ pour donner 1 réponse pénale à tous les crimes/délits, gérer les gardes à vue, les enquêtes.
5€ pour juger & trouver la juste peine.
5€ pour entendre les victimes.
Attention dans les 5€ il y a aussi l'administration pénitentiaire donc les prisons et le SPIP, donc 5€ pour enfermer, ou pas, réinsérer et prévenir la récidive, en milieu ouvert et fermé.
Ouh là mais il y a aussi la protection judiciaire de la jeunesse!
5€ pour suivre les gamins qui vrillent et commettent des infractions.
5€ pour les placer.
5€ pour toi qui divorce, toi dont la mère n'arrive plus à gérer son budget, toi qui t'es fait virer pour rien,
Mais dis donc mon touitoui
Je lis encore plein de bêtises juridiques j'en suis toute tarabiscotée !
Donc c'est parti
Comment ça marche une information judiciaire ?
L'information judiciaire est un cadre d'enquête, comme la flagrance ou l'enquête préliminaire. L'énorme différence c'est que c'est le juge d'instruction qui mène la danse alors que dans les deux autres cadres c'est votre petit Sir, le procureur de la République donc.
Dans la majeure partie des cas c'est le proc qui décide de l'ouverture de l'information.
Il y est quasiment obligé en cas de crime, sauf dans 2 cas
- il correctionnalise un crime
- il classe sans suite un crime
S'il veut continuer la procédure sous une qualification criminelle,
"Le Tribunal!"
Je me lève sans y réfléchir & sans quitter des yeux l'écran de mon ordi sur lequel s'affiche le casier de Thomas, 1 des prévenus poursuivis à la comparution immédiate du jour.
En réunion ce matin, j'ai regardé en speed les dossiers, et tout de suite j'ai su que
celui de Thomas allait m'amener à hausser le ton.
On va d'ailleurs commencer par celui-là ; il est déjà dans le box, sourcils froncés, déjà tendu, le regard vrillé en direction du banc des parties civiles.
Là, évitant soigneusement de regarder dans cette direction,
sa victime Sophie arbore un air angoissé qui, ajouté à sa mâchoire violacée, son bras en écharpe & les griffures dans son cou donne 1 bien triste tableau.
Le président du tribunal autorise la salle à s'asseoir, et embraie immédiatement sur le 1er dossier.
Il y a donc de sombres individus qui viennent louer les juristes assistants envers qui je serais méprisante quand je déplore le manque de parquetiers.
J'en ai 3 dans mon équipe.
Ce sont des membres de ma team à part entière et notamment en matière de violences conjugales
je ne gérerais pas certaines choses sans eux.
J'ai contribué à les former.
Chacun a leur manière m'apporte beaucoup.
Pour autant aucun d'entre eux ne viendrait affirmer qu'il remplace un magistrat en plein exercice.
Les juristes assistants, les magistrats honoraires,
les MTT, les assistants de justice, les vacataires... Tous ne sont qu'une manière de masquer la réalité : le bateau justice coule et on colle des rustines sur les fissures de sa coque.
On gère à court terme, par la précarité, l'une des fonctions regaliennes de notre pays.
Je lis des choses à faire peur ici sur le concept de viol. VRAIMENT.
Donc on le redis pour les Cro Magnon dans le fond...
Le viol est un acte de pénétration ou une pratique bucco-génitale imposée par la violence, la menace, contrainte, la surprise.
La violence, c'est assez clair.
La menace peut être la menace de mort, de violences, la menace de pas laisser partir la victime, de la mettre en danger... C'est 1 concept large.
La contrainte peut être physique (=empêcher la victime de bouger) ou morale.
Elle s'apprécie au cas par cas, & s'apprécie in concreto,
c'est à dire en fonct° de l'auteur et de la victime concernés.
Ainsi on va prendre en compte 1 éventuelle posit° d'autorité ou 1 différence d'âge importante, par ex, pour apprécier l'existence de la contrainte.
La surprise, enfin.
Elle peut s'entendre d'un acte imposé à 1 victime