Substitut en charge des mineurs, je suis aujourd'hui présente dans le bureau de ma collègue juge des enfants, qui a souhaité ma présence. Elle reçoit aujourd'hui une famille que je connais déjà : le mois dernier, j'ai fait juger le père, Aziz, en comparution immédiate.
Il a été condamné à 3 ans d'emprisonnement, pour trafic de stup, cannabis, cocaïne. J'ai également poursuivi ses deux fils, 13 et 14 ans, devant le juge des enfants : ils servaient de rabatteurs et ramenaient de nouveaux clients, notamment mineurs, pour papa.
Toute la famille vivait très largement du trafic de stupéfiants, la mère n'ignorant rien des activités des 3 hommes de la maisonnée. Considérant que ce rapport à la loi défaillant était inquiétant pour les enfants qui présentent des troubles du comportement à l'école,
où les 2 adolescents vont irrégulièrement & cumulent les incidents disciplinaires, j'ai saisi le juge des enfants en assistance éducative à l'issue de la procédure pénale. Aziz en impose, par sa stature, par son charisme, par sa gouaille. Son assise ressort du dossier.
Cette personnalité et la forte connotation pénale du dossier ont mené le juge des enfants à me demander de venir. Nous sommes nombreux dans le bureau, Aziz donc flanqué de 3 gendarmes qui l'escortent, sa compagne et mère des enfants Vanessa, et leurs deux fils, Julien et Nicolas.
Le juge explique avoir été saisie par mes soins, je prends la parole pour expliquer les raisons de ma décision : l'implication des mineurs dans le trafic de leur père, les difficultés à l'école, l'absence de cadre & de sens donné à la loi me semblent être des facteurs de danger.
Aziz me regarde d'un air froid. J'ai requis contre lui durement en comparution immédiate : en tant que parquetier en charge des mineurs j'ai très moyennement apprécié qu'il entraîne ses fils avec lui... La mère me réplique très vivement qu'il n'y a rien à redire sur l'éducation
de ses fils. Aziz renchérit et affirme ne pas comprendre de quoi on se mêle. Les enfants observent la scène, imperturbables. Julien arbore un sweat violet orné d'1 ours decoré de sequins, Nicolas des grosses baskets aux couleurs flashy dans lesquels ses pieds se balancent...
Ils font vraiment jeunes ; les imaginer faire les petites mains dans le business paternel est très malaisant. Ma collègue va s'entretenir avec l'1 puis l'autre, hors présence de leurs parents, ainsi que le juge des enfants procède habituellement. Julien l'aîné est très malin.
Nicolas est plus vif et remuant. Les 2 sont toutefois posés et s'expriment vraiment bien. Malgré leur jeune âge, ils se désintéressent de l'école et ne souhaitent aucune intervention dans la famille, où ils se sentent parfaitement bien. C'est ce qui ressort de l'audience :
aucun membre de la famille ne voit l'utilité d'une aide éducative. Le juge des enfants ordonne toutefois une assistance éducative en milieu ouvert. Dans l'année suivante, elle s'avérera totalement inefficiente : les travailleurs sociaux n'ont peu ou prou aucun accès à la famille.
Les enfants ne participent pas aux entretiens avec leur éducateur, clairement mal reçu par Vanessa, véhémente, virulente. Peu à peu Julien et Nicolas dérivent : ils commencent à cumuler les actes de délinquance, surtout l'aîné. 18 mois après cette audience d'assistance éducative
c'est l'impasse : le juge des enfants met 1 terme à la mesure, inutile & source de tensions.Julien & Nicolas sont à présent suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse, service spécialisé dans la prise en charge des mineurs auteurs d'infractions.Julien cumule les délits.
Le juge des enfants tente des placement, qui échouent. Centre éducatif renforcé, puis fermé... Fugues. Violences. Nouveaux passages a l'acte, consommation massive de stup... Il a 16 ans lorsqu'il est incarcéré pour la 1ère fois. Devant le JLD je repense à son sweat violet,
son ours brodé de sequins multicolores alors qu'il me fixe intensément pendant que je prends mes réquisitions. Nicolas commet moins d'actes de délinquance mais finit par être également placé dans 1 cadre pénal. De manière inattendue, il s'accroche et commence 1 apprentissage.
Au cours des deux ans suivants, Julien & Nicolas continuent a fréquenter assidûment mon bureau, tour à tour, le 1er plus régulièrement. Vols. Violences. Stup. Les sanctions tombent. De plus en plus durement. Chaque fois ce sentiment de gâchis, d'1 scenario écrit à l'avance...
D'1 jeu où chacun a son rôle mais dont personne ne sort vainqueur. Chaque fois que Julien quitte le tribunal menotté j'ai la même amertume, le même sentiment que sa place n'est pas là & que les dés étaient pipés dès le départ... Ses yeux sombres sont résignés, j'ai l'impression
qu'il est incapable de faire autre chose que de saborder tout ce qu'il entreprend... J'enrage de ne pas réussir à faire mentir ce foutu destin. A chaque défèrement son discours est raisonnable : il verbalise ses difficultés et ne m'assène pas les promesses vides de sens
dont sont friands les mineurs devant leur proc, leur juge... Pas de ça pour Julien non, mais il est englué dans ce parcours tout tracé... Sur lequel ses éduc, son juge et moi-même nous cassons tour à tour les dents.
Julien a pas loin de 18 ans lorsque je suis mutée bien loin...
Mais j'apprendrai quelques années plus tard sa mise en cause et son incarcération dans des faits de trafic de stupéfiants avec une grande tristesse.
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Allez beaucoup trop de bêtises sur ce sujet et je suis colère colère. Donc c'est parti : pourquoi un procureur requiert et pourquoi un tribunal peut assortir de l'exécution provisoire une condamnation pénale ? Au civil pour info, ça arrive tout le temps.
Ce thread est pédagogique et ne vise PAS à expliquer les motivations des juges dans le dossier lybien. Ils ont rédigé un jugement pour les expliquer eux-mêmes. Inutile de venir m'expliquer pourquoi la décision est injuste pour N.Sarkozy. Pas la patience, donc ne faites pas ça.
Il y a beaucoup de motifs pour prononcer cette exécution provisoire (EP), ce qui signifie que la peine est exécutoire RIGHT NOW, peu importe que le prévenu fasse appel. Elle peut assortir une peine privative de liberté et notamment de l'emprisonnement ferme,
5€.
5€ pour gérer les contentieux civils, les affaires familiales, les conflits en droit du travail, les tutelles, tant d'autres choses.
5€ pour protéger les enfants en danger.
5€ pour donner 1 réponse pénale à tous les crimes/délits, gérer les gardes à vue, les enquêtes.
5€ pour juger & trouver la juste peine.
5€ pour entendre les victimes.
Attention dans les 5€ il y a aussi l'administration pénitentiaire donc les prisons et le SPIP, donc 5€ pour enfermer, ou pas, réinsérer et prévenir la récidive, en milieu ouvert et fermé.
Ouh là mais il y a aussi la protection judiciaire de la jeunesse!
5€ pour suivre les gamins qui vrillent et commettent des infractions.
5€ pour les placer.
5€ pour toi qui divorce, toi dont la mère n'arrive plus à gérer son budget, toi qui t'es fait virer pour rien,
Mais dis donc mon touitoui
Je lis encore plein de bêtises juridiques j'en suis toute tarabiscotée !
Donc c'est parti
Comment ça marche une information judiciaire ?
L'information judiciaire est un cadre d'enquête, comme la flagrance ou l'enquête préliminaire. L'énorme différence c'est que c'est le juge d'instruction qui mène la danse alors que dans les deux autres cadres c'est votre petit Sir, le procureur de la République donc.
Dans la majeure partie des cas c'est le proc qui décide de l'ouverture de l'information.
Il y est quasiment obligé en cas de crime, sauf dans 2 cas
- il correctionnalise un crime
- il classe sans suite un crime
S'il veut continuer la procédure sous une qualification criminelle,
"Le Tribunal!"
Je me lève sans y réfléchir & sans quitter des yeux l'écran de mon ordi sur lequel s'affiche le casier de Thomas, 1 des prévenus poursuivis à la comparution immédiate du jour.
En réunion ce matin, j'ai regardé en speed les dossiers, et tout de suite j'ai su que
celui de Thomas allait m'amener à hausser le ton.
On va d'ailleurs commencer par celui-là ; il est déjà dans le box, sourcils froncés, déjà tendu, le regard vrillé en direction du banc des parties civiles.
Là, évitant soigneusement de regarder dans cette direction,
sa victime Sophie arbore un air angoissé qui, ajouté à sa mâchoire violacée, son bras en écharpe & les griffures dans son cou donne 1 bien triste tableau.
Le président du tribunal autorise la salle à s'asseoir, et embraie immédiatement sur le 1er dossier.
Il y a donc de sombres individus qui viennent louer les juristes assistants envers qui je serais méprisante quand je déplore le manque de parquetiers.
J'en ai 3 dans mon équipe.
Ce sont des membres de ma team à part entière et notamment en matière de violences conjugales
je ne gérerais pas certaines choses sans eux.
J'ai contribué à les former.
Chacun a leur manière m'apporte beaucoup.
Pour autant aucun d'entre eux ne viendrait affirmer qu'il remplace un magistrat en plein exercice.
Les juristes assistants, les magistrats honoraires,
les MTT, les assistants de justice, les vacataires... Tous ne sont qu'une manière de masquer la réalité : le bateau justice coule et on colle des rustines sur les fissures de sa coque.
On gère à court terme, par la précarité, l'une des fonctions regaliennes de notre pays.
Je lis des choses à faire peur ici sur le concept de viol. VRAIMENT.
Donc on le redis pour les Cro Magnon dans le fond...
Le viol est un acte de pénétration ou une pratique bucco-génitale imposée par la violence, la menace, contrainte, la surprise.
La violence, c'est assez clair.
La menace peut être la menace de mort, de violences, la menace de pas laisser partir la victime, de la mettre en danger... C'est 1 concept large.
La contrainte peut être physique (=empêcher la victime de bouger) ou morale.
Elle s'apprécie au cas par cas, & s'apprécie in concreto,
c'est à dire en fonct° de l'auteur et de la victime concernés.
Ainsi on va prendre en compte 1 éventuelle posit° d'autorité ou 1 différence d'âge importante, par ex, pour apprécier l'existence de la contrainte.
La surprise, enfin.
Elle peut s'entendre d'un acte imposé à 1 victime