🔎«Les Algériens au Parc des Expositions» : Extraits du journal "Vérité-Liberté", issu du Comité Maurice Audin (1961) #17octobre1961

«Un soldat du contingent [Guy Hébert] nous a adressé le récit de ce que ses camarades et lui ont vu au parc des Expositions.
Thread⬇️⬇️⬇️
«Dans les journées qui ont suivi le 17 octobre nous pénétrons dans le parc des Expositions [les Algériens ont été transférés du palais des Sports au parc des Expositions dans la nuit du mercredi au jeudi, un concert de Ray Charles devant avoir lieu vendredi au Palais]» (...)
«Une sourde rumeur plane sur cette foule, mais l'oreille est surprise d'entendre si peu de bruit. Les grilles servant à maintenir la population lors des cérémonies officielles délimitent des parcs de 15 à 20 m, séparés par des couloirs de trois à quatre mètres où circulent...
...les gardiens armés de fusil ou de pistolet-mitrailleur, chargeurs engagés. À l'intérieur de ces parcs, 800 à 1000 Algériens attendent, les uns debout, pressés contre les grilles, les autres couchés à même le sol, blottis les uns contre les autres pour lutter contre le froid.»
«Un car de police vient d'arriver bourré de musulmans. Un camarade me fait signe ; nous sortons devant le Palais pour assister discrètement au "déchargement ". 20 à 30 policiers disposés en 2 haies latérales derrière le véhicule t chargés d'orienter les Algériens vers l'entrée :
entre leurs mains, matraques en bois, en caoutchouc, planches de bois, nerfs de bœuf. À l'intérieur du car, un policier pousse les prisonniers à coups de crosse de fusil ou de mitraillette ;
s'ils ne vont pas assez vite, les policiers qui les attendent au bas du marchepied les tirent violemment et les font tomber sur le béton. Les Algériens se présentent à la porte arrière des cars, sous la lumière aveuglante des projecteurs.
Ils ont 15à20m à franchir, mains sur la tête, entre le véhicule et l'entrée. Dès leur descente, ils sont frappés à coups de matraque, de nerfs de bœuf, de crosse.Ceux qui, épuisés, tombent sur le ciment, ont droit aux coups de pied dans le ventre, dans les parties, sur la figure.
Pour échapper aux coups les Algériens se mettent à courir, un croc-en-jambe les arrête. D'autres, précipités sur le ciment, ne se relèvent pas; ils st négligemment repoussés sur le côté. Ns en distinguons, grièvement blessés, qui se traînent sur les genoux ss la pluie des coups ;
des jeunes se font casser les doigts et les avant-bras en se protégeant la tête ; une crosse de fusil se brise comme du bois sec sur le dos d'un musulman ; le policier se retire avec un air déçu.
Les hurlements de peur et de souffrance poussés par les Algériens achèvent de rendre cette scène irréelle.
Un camarade, écoeuré, part vomir à l'écart.
Ces quinze mètres franchis, les Algériens sont fouillés par des " bâtons blancs " de la police parisienne.
Briquets, lunettes, montres, ceintures, limes à ongles sont jetés pêle-mêle dans un coin. Souvent l'argent est subtilisé en douce. Aucun inventaire individuel n'est dressé. Les objets jetés, peu à peu recouverts de poussière, piétinés, deviennent rapidement inutilisables.
Des brocanteurs amateurs apparaissent bientôt. Qui pourrait les empêcher d'opérer ?
La fouille achevée, les Algériens sont orientés aussitôt - sans recevoir les soins urgents que beaucoup réclament - vers les différents parcs.
De nouveaux coups contraignent les plus indolents à sauter les barrières en vitesse. L'ensemble des opérations, de l'arrivée du car à la répartition dans les parcs, n'a pas duré plus de dix minutes, mais dix longues minutes.»
«Un infirmier : "Pour les blessures profondes, nous n'avons ni sulfamides, ni antibiotiques ; pour soigner les fractures, les morceaux de bois que nous trouvons sur le sol nous servent d'attelles. Les hématomes, nombreux, faute de soins, risquent d'entraîner des calcifications.
Il y en a qui ne peuvent plus uriner à la suite des coups qu'ils ont reçus dans le ventre ; il faudrait les sonder, mais nous n'avons pas de sonde. Ceux qui ont des fractures du crâne ne peuvent pas être soignés et meurent rapidement.
Les bandages que nous possédons ne suffisent pas à maintenir les thorax enfoncés ou simplement les côtes cassées. Pour les agités, nous aurions besoin de calmants en piqûres : les Algériens refusent de prendre les comprimés de Phénergan de peur d'être empoisonnés.
Ce sont svt les policiers qui s'occupent d'eux. Ils les isolent dans des parcs individuels et souvent les endorment d'un coup de crosse. (Il y a une dizaine de ces petites "cellules" dispersées autour du hall, entourées de 2 ou 3 sentinelles, avec, un Algérien couvert de sang.)»
«Entre l'arrivée d'1 Algérien blessé et sa découverte au hasard de la distribution, 24h pouvaient s'écouler et un décès se produire- une dizaine de morts sont dues à cette négligence. Samedi matin, nous avons découvert 1 Algérien blessé à la cuisse par une balle de mitraillette;
elle est encore logée sous la peau ; le blessé n'a rien dit par crainte de se faire remarquer et a réussi, depuis mardi, à cacher sa blessure ; combien sont-ils dans ce cas ? Beaucoup ont des crises nerveuses et deviennent dangereux pour leurs camarades.
Les policiers les font sortir des parcs et les infirmiers les découvrent parfois inanimés sur le sol. Certains se jettent aux pieds des policiers et implorent la mort, comme ce vieillard qui réclamait ses enfants.
Deux soldats passent devant nous, transportant un brancard où un prisonnier gît, inanimé : crise d'épilepsie. Encore un qui ne recevra aucun soin ;
«Laissant les soldats travailler, ns ns sommes ensuite promenés au hasard, parlant avec les policiers.
Ils nous ont dit :
"On est trop gentils ; pour que l'on soit débarrassé de tous ces ratons, il faudrait fermer le Parc et les descendre à la grenade ou à la mitrailleuse."
"Au début, des meneurs cherchaient à faire des discours ; nous les avons attrapés et nous les avons "flingués" (...) Plusieurs avouent : "Nous en avons assommés et fusillés en douce."»
Et ici avec le témoignage d'un policier :

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Yves Monteil

Yves Monteil Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @ymonteil

15 Oct
🔎Massacre du #17octobre1961
TĂ©moignage d'un policier, Raoul Letard, le 16/10/1997

Extraits : «Nous, on faisait la guerre et on avait un adversaire bien désigné : c'étaient les Algériens.»
Thread⬇️⬇️⬇️
«On se disait: "Un jour, un jour quand même ils vont bien faire la connerie de sortir tous ensemble." Et ça, c'était une sorte de rêve... »
«Et puis un jour, à l'occasion d'obsèques, le préfet de police Papon fait un discours dans la cour de la Cité: "A partir de maintenant, nous ne rendrons plus coup pour coup; pour un mort, nous ferons dix morts."
Read 12 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(