Cette année à Milipol, il n'y avait pas qu'Eric Zemmour mettant en joue des journalistes avec un fusil à lunette. Comme d'habitude, je suis allé fureter dans les allées de l'hypermarché de la sécurité. Bilan de ma déambulation, entre vieilles connaissances et nouveaux venus.
Les absents d'abord. L'Israélien NSO, pas vraiment disposé à gérer le SAV du scandale Pegasus, a préféré rester à la maison. Idem pour ses concurrents. A une exception : Toka, coincé dans les effluves d'une sandwicherie. Une chaise, une table basse, et une porte close.
Cofondée par l'ancien Premier ministre 🇮🇱 Ehud Barak (qui n'investit pas que dans le cannabis thérapeutique), l'entreprise commercialise des outils sur mesure, capables notamment d'infecter n'importe quel objet connecté, avec un faible pour les caméras. Les clients ? Secret.
Le Français Nexa, dont les dirigeants ont été mis en examen cet été pour complicité de torture en Libye et en Egypte, n'est pas là non plus. Ses patrons passent quand même une tête chez Trovicor, pavillon ami : la surveillance est un entre-soi dont il faut sauver les apparences.
Et parfois, car le business reste lucratif, ça marche. Tutto passa. Sur le stand mitoyen, l'Italien Area, dans le viseur de la justice pour avoir violé l'embargo en vendant ses systèmes d'écoute à la Syrie de Bachar Al-Assad, expose avec flegme et oppose son silence.
Milipol est avant tout un salon professionnel, fréquenté par les miloufs, la bleusaille, et des légions de commerciaux à costard interchangeable. On y parle toutes les langues, même la langue de bois. Surtout face aux journalistes trop curieux.
Pour avoir les coudées franches, Alsetex, dont les grenades et autres balles de défense mutilent les manifestants, a trouvé la solution : invoquant tantôt le Covid, tantôt la protection de ses brevets, l'armurier sarthois interdit à la presse de s'approcher.
Quand on est simple civil, le hall 5 du Parc des expositions de Villepinte dégage une atmosphère de citadelle assiégée où les rapports sociaux ne se pensent que sous le prisme de la méfiance et de l'hostilité. "La sécurité, première des libertés" ? C'est sa matérialisation.
Nul ne s'étonnera donc d'y trouver le parfait nécessaire pour un monde dangereux. Comme ce gant électrique de la société Nexstun, qui jette sa cible au sol avec une décharge de 400 000 volts. Le patron, un ancien gendarme, a trouvé 30 pays clients en trois jours de salon.
A deux pas, Axon, le fabricant historique du Taser, distribue des pin's. Un peu plus loin, IP Mirador, une "unité mobile de vidéosurveillance", accompagne les mouvements de ses vérins de la chanson de Squid Game et du souffle de Dark Vador. On se fait doubler par un chien-robot.
Cette oppressante zone franche est aussi la foire aux équipements interdits en France. Il y a quatre ans, une entreprise chinoise avait du fermer boutique quand Amnesty avait découvert qu'elle exposait des instruments de torture.
Cette fois-ci, c'est moins spectaculaire. On peut quand même tailler le bout de gras avec les télépilotes de drones de la préfecture de police de Paris, au chômage technique depuis les remontrances du Conseil d'Etat et la censure partielle de la loi sécurité globale.
Côté reconnaissance faciale, également proscrite sous nos latitudes, les industriels français sont prêts, du gros Idemia (où l'on a aperçu Valérie Pécresse) au petit Allwan (qui a récemment perdu le marché des caméras-piétons auprès du ministère de l'Intérieur).
Chez ce dernier, on utilise la technologie du Chinois Hikvision, blacklisté aux Etats-Unis pour son rôle dans le profilage des Ouïghours, pour "attirer le client". En attendant, comme ailleurs, le feu vert législatif.
Un secteur profite de cette période d'expectative : celui de la vidéosurveillance "intelligente". L'Israélien Briefcam par exemple, qui propose de "visionner 1h de vidéo en 1mn", équipe désormais 150 à 200 villes en France, contre 35 en 2020.
Un autre acteur de la safe city, le Francilien XXII, aurait enrôlé 400 municipalités. Et discute avec la société d'exploitation de la Tour Eiffel ou le marché de Rungis. Son idée : "Une caméra pour régler tous les problèmes".
Même Two-I s'y met. Epinglée pour son expérimentation de reconnaissance faciale avec le FC Metz en 2020, la start-up messine qui fait "parler les images" jure qu'elle n'a "pas de demandes pour les stades" et préfère se rapprocher des forces de police et de gendarmerie.
Dans une autre allée, le boss d'Aquilae, lui aussi spécialiste de l'analyse vidéo, réfléchit à voix haute : "Le visage est une donnée biométrique, mais on pourrait utiliser des marqueurs intermédiaires, comme la distance entre les épaules". Alphonse Bertillon approuverait.
Sur ces entrefaites, je plie les gaules. Et n'oubliez jamais :
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C’était donc pour ça le show Darmanin cette semaine : il préparait le bouquet final avec une interview exclusive au journal dominical d’extrême-droite.
Darmanin est le troisième ministre (après Sabrina Agresti-Roubache et Marc Fesneau) mais le premier régalien à accorder un entretien au JDD sauce Bolloré. Après avoir donné l'impression d'installer un cordon sanitaire, Macron a changé d'avis à la rentrée.
En se risquant à une spéculation mortifère, c'est intéressant politiquement : tandis que le RN réclame la démission du ministre de l'Intérieur après l'attaque d'Arras, Bolloré semble vouloir profiter du fond de l'air délétère pour en faire un présidentiable. Regardez cette photo.
🧶 Des Gilets jaunes, on a retenu la panique de l’exécutif et la violence du maintien de l’ordre. Moins la surveillance la plus intrusive, à laquelle la DGSI est devenue accro. @vincentnouzille la raconte dans une enquête sur les dérives de Beauvau.
En tout, à partir du mois de décembre, sur instruction directe de @CCastaner et malgré les réticences du renseignement territorial, 2000 personnes auraient été espionnées, alors que le pouvoir tentait de trouver les leaders de cette contestation inédite.
On ne peut pas comprendre ce changement de paradigme sans s'attarder sur la loi renseignement de 2015 (terrible année), qui a légalisé de puissants outils : logiciels espions, balises GPS, géolocalisation en temps réel, etc.
Suneris, une discrète filiale de Thales, a vendu ses technologies de surveillance au Mali, au Gabon et au Niger, régimes alliés de la France. Problème : avec les putschs dans ces pays, elles risquent de tomber entre les mains de juntes pro-russes.
Suneris est une vieille connaissance : j’avais enquêté sur leurs affaires en Égypte, où ils équipent le maréchal-dictateur Sissi, introduits sur place par Amesys/Nexa, autre société française mise en examen pour complicité de torture.
Après la décision du juge d'autoriser l'exploitation des pièces saisies chez elle, @AriaLavrilleux est plus remontée que jamais. Elle appelle à une prise de conscience collective : "Si on laisse passer, il n’y aura pas de retour en arrière possible".
"Soit on réagit maintenant, on change la loi, on renforce sérieusement la protection des sources et on réfléchit aux moyens dévoyés de la lutte antiterroriste, soit on considère que c’est la norme et on file tout droit vers un musellement de la presse."
Elle évoque aussi le silence assourdissant de l'exécutif, qui se retranche derrière la procédure judiciaire en cours. L'inversion des responsabilités est totale : qui rendra compte d'une possible complicité de crimes d'Etat ?
Un projet terroriste d'"ultragauche" sans cible ni groupe constitué : les services sont-ils en train de nous refaire le coup de Tarnac ? Grâce à des éléments obtenus par @lemondefr et @Telerama, je vous raconte la fabrique de ce nouveau fantasme.
A partir du 3 octobre, sept mis en cause - six hommes et une femme - comparaîtront devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste : Florian D., Manuel H., Loïc M., Simon G., William D., Bastien A. et Camille B.
À l’heure où @GDarmanin vitupère contre les "écoterroristes" de Sainte-Soline, l’affaire dite du 8 décembre (la DGSI l'appelle "le dossier punks à chien"...) pose une question cruciale : où s’arrête le maintien de l’ordre et où commence l’antiterrorisme ?
"C'est fatigant de se battre pour avoir le droit de se battre". 2 ans après avoir obtenu le renouvellement de son agrément de haute lutte, @anticor_org risque à nouveau de le perdre ce vendredi. Qui veut la peau de l'association anticorruption ? 🧵
En 2021, l'affaire était dans les mains du gouvernement. Ce n'est pas le moindre des problèmes : en France, l'exécutif décide seul de qui peut le tenir responsable de ses actions en matière d'éthique publique. Résumé de l'épisode précédent :
Cette fois-ci, Anticor et ses 6500 adhérents jouent leur survie devant la justice administrative, saisie par deux anciens membres qui attaquent le décret portant renouvellement de l'agrément (capital, car il permet de porter plainte et de se constituer partie civile).