Thread by @PimpOl

Coucou Twitter, aujourd’hui je vais vous expliquer comment un pari de 100 dollars a déclenché un des plan le plus dispendieux de l’histoire du 7e art. 8000 dollars de la seconde sans une star à l’écran avec en bonus un bilan carbone hors catégorie.

Je veux vous parler du tournage du « Bûcher des Vanités » adaptation du roman du même nom par Brian De Palma. Tout d’abord un petit peu de contexte. Nous sommes en 1989, Warner Bros a acquis les droits du « Bûcher des Vanités », le livre de Tom Wolfe est un best-seller.

Publié en 1987, le bouquin raconte la chute de Sherman McCoy, un trader qui perd tout après avoir renversé un jeune afro-américain dans le Bronx. Le livre est un jeu de massacre: Toute la ville de New-York en prend pour son grade, des pauvres du Bronx aux bourgeois de Park Avenue

Des leaders de la communauté noire aux journalistes alcoolisés, tout le monde est plus préoccupé par sa petite carrière que la justice. Ce roman mal aimable et pourtant à succès est donc adapté avec un gros budget avec Tom Hanks, Mélanie Griffith, Bruce Willis et Morgan Freeman.

Comme souvent dans les films de gros studios, la sortie du « Bûcher des Vanités » est fixée avant même le premier jour de tournage, ça sera pour Noël 1990. Mais en mars 1990, le scénario est encore en réécriture, le casting n’est pas bouclé… Bref rien n’est prêt.

Le vendredi 13 avril, le tournage débute enfin, pas question de chômer, tout doit être en boîte pour début juillet. Le tournage à NY est apocalyptique, météo, caprices de stars, imprévus… Le budget enfle de 29 à 40 millions de dollars.

Mais venons en à notre fameux plan. Il est l’œuvre d’Eric Schwab, le jeune réalisateur de la deuxième équipe. La deuxième équipe met en boîte la plupart des images d’illustration où l’on n’a pas besoin des stars. De Palma et Schwab parcourent le script et s’attribuent les scènes.

Ils lisent cette indication: « Extérieur nuit, Aéroport Kennedy: Le ciel est un labyrinthe d’avions qui décollent et atterrissent. »
A priori c’est pour Schwab, mais De Palma décrète: « Le jour où j’utiliserai un plan aussi cliché que ça sera celui où je prendrai ma retraite. »

Schwab qui a déjà peu de situations de tournage ne veut pas lâcher l’affaire: « C’est un plan important, c’est celui qui introduit Maria Ruskin la détestable maîtresse de Sherman McCoy qui rentre d’Europe pour semer le trouble dans la vie de Tom Hanks. »

De Palma finit par parier 100 dollars avec Schwab que le plan ne sera pas au Final Cut. Schwab lui promet de faire un plan si exceptionnel qu’il sera obligé de le garder. Les enjeux sont posés. Ce fameux plan deviendra l’obsession de Schwab, son moment de gloire.

Pour mettre toutes les chances de son côté, Schwab imagine un plan du Concorde atterrissant au coucher du soleil avec en fond l’Empire State Building. Ok, mais encore faut-il y arriver. On n’en est qu’au balbutiements de l’image numérique, il faut tout faire en vrai.

En étudiant la géographie de l’aéroport, il apparait que la piste 13L a un angle d’approche qui permet de filmer un avion atterrissant de face avec la Skyline de Manhattan dans le fond. Maintenant il reste à trouver un Concorde et un coucher de soleil.

Schwab demande conseil à Vilmos Zsigmond, le directeur photo. Celui-ci lui parle d’une équipe qui a un ordinateur capable de prédire où et quand le soleil se couche à n’importe quel endroit du globe. Je rappelle qu’on est en 1990, pas d’internet, pas de portable, la préhistoire…

Après de nombreux calcul, il est déterminé que le seul moment où tout se combinerait parfaitement pour le plan serait le 12 juin 1990. Attention, tout sera aligné pour seulement 30 secondes, il ne faut pas se louper.

Reste à trouver un Concorde, au final c’est presque le plus simple. Air France est ravi de se prêter au jeu et d’avoir son joyau dans un gros film Hollywoodien. NÉANMOINS, tout cela n’est pas gratuit.

La location de l’avion, l’équipage, le carburant. Ça fera 40000$ et la maison ne fait pas crédit.
Ok, Schwab a le feu vert de la production et il se prépare pour le jour J.

Ce sont pas moins de cinq caméras qui sont mobilisées le 12 juin en fin de journée pour capturer l’atterrissage du célèbre avion sur le tarmac car on a le droit qu’à un passage. Les équipes sont en contact radio, c’est à Schwab d’annoncer le top pour lancer l’enregistrement

Le Concorde décolle de JFK vingt minutes avant l’heure du coucher du soleil et fait une manœuvre pour revenir toucher la piste à l’instant précis défini par Schwab. Ce dernier ne quitte pas ses jumelles et attend nerveusement le retour du (très) cher aéronef.

Comme on ne peut pas bloquer le trafic aérien et que c’est l’heure de pointe, Schwab se fait un ulcère avec deux fausses alertes: Des 747 en approche. Mais bon, au loin, face au soleil, il y a rien qui ressemble plus à un avion qu’un autre avion.

Les minutes passent, le soleil décline, Schwab s’impatiente quand soudain apparaît au loin le Concorde. Ça tourne… L’appareil se pose à l’endroit défini par la production. C’est dans la boîte. Enfin, a priori, Schwab ira vérifier aux aurores le lendemain chez Technicolor.

Bingo! Le plan est magnifique, De Palma qui tourne la suite du film en studio à Los Angeles envoie un message de félicitations à Schwab qui a gagné son pari. L’image est dans le film, elle dure 10 secondes…

Au total, ce plan aura coûté 80000$. Aujourd’hui on pourrait le faire pour beaucoup moins grâce aux effets numériques. Je vous le remets dans sa splendeur pour que vous puissiez voir les dollars disparaître avec le Kérosène.

L’Epilogue est moins glorieux, le film descendu par la critique est un gros bide. Il sera surtout célèbre pour ses excès type « plan Concorde » racontés dans « The Devil’s Candy », livre de Julia Salamon, une journaliste qui a eu accès aux coulisses de cette production démesurée.

Dernier coup du sort pour Éric Schwab. Le plan Concorde est remarqué par American Photographer le magazine pro de la guilde des réalisateurs. Sauf qu’il est attribué au directeur photo Zsigmond qui n’était même pas présent. L’erreur sera corrigée mais trop tard, le mal est fait.

Sinon je vous recommande cette vidéo YT, qui raconte cette histoire encore plus brillamment que moi.
Salut Twitter et à bientôt pour un nouveau Thread.