Thread by @SuisEnRetard

Je voulais prendre un peu de temps pour réagir de façon détaillée au fameux dossier et + encore à la fameuse (fumeuse ?) accroche du @FigaroMagazine_.
On a vraiment du mal avec la nuance dans ce pays, surtout en période pré-électorale.

Premier point : l'accroche ne correspond pas au contenu. Le "on et le "nos" (« on endoctrine nos enfants ») sont clairement putassiers.

Et, et c'est là le point le plus grave à mon sens, c'est présenté dès l'accroche comme un système. Alors que si l'on part du principe que le contenu de l'article est vrai (principe qu'on peut discuter), l'article montre l'inverse.

Il est une collection de témoignages pour certains fondés sur des propos rapportés, qui montre tout sauf une organisation systémique. Ce qui se passerait (conditionnel) se passerait à certains endroits limités, avec quelques personnes, mais clairement pas via un "système".

Et c'est ça qui est insupportable pour notre métier : on présente un recueil d'anecdotes comme si la profession toute entière était responsable, coupable, "complice" de choses que pour 99% d'entre nous, on n'a jamais observées dans nos établissements.

On ne s'étonnera pas ensuite que seuls 7% des enseignants français trouvent qu'on les valorise dans les médias ou dans la société (note d'information 20-11 de la DEPP, mars 2020).

Après, ça ne veut pas dire que les anecdotes sont fausses. Assa Traoré, par exemple, est bien intervenue dans 3 lycées en 2019, et ça ne me paraît pas normal (ça n'a pas paru normal au rectorat de Créteil non plus d'ailleurs, qui est intervenu pour que cela ne se reproduise pas).

Comme quoi, le fameux "système" est encore capable de réagir face à des événements qui sont justement des dysfonctionnements par rapport au système.
Et c'est à ce moment qu'il me faut vous parler de l'EMC.

Cela fait longtemps que l'on demande à l'Éducation nationale de faire une éducation civique, dont le dernier avatar est l'Enseignement Moral et Civique (EMC).
Et globalement, + on demande à l'école d'être morale et d'enseigner la morale, plus on s'expose à des dérives.

Car il y a 800 000 enseignants, qui présentent des profils d'une variété bien + importante qu'on a l'air de le penser. Et ce n'est pas simple professionnellement de rester dans la neutralité qui est exigée de vous quand on vous demande de distinguer le bien du mal.

Il y a des enseignants politisés (comme il y a des gens politisés dans n'importe quel métier), il y a des enseignants qui n'ont pas les mêmes idées sur ce qu'est et doit être la laïcité ou la lutte contre le racisme (voire sur ce qui est ou n'est pas raciste tout court).

On est d'accord (et on défend ça au @SNALC_National) que cela n'a pas à interférer dans l'enseignement, mais ça devient de moins en moins simple quand la morale devient un objet d'enseignement, que l'engagement devient une valeur à transmettre…

… et que l'École elle-même est de plus en plus enrôlée dans un job de directeur de conscience plutôt que de développement de l'esprit critique. Et qu'elle doit servir de mastic pour réparer ou camoufler les fractures sociales et culturelles.

Et ça vaut pour les organisations. À mon avis, il y a + de débats pour savoir si l'on écrit "enseignant.e.s" dans les syndicats que dans les salles des maîtres et des professeurs, où l'on aimerait déjà que les élèves aient automatisé les marques du féminin et du pluriel.

Le dernier point est que tout est mélangé. L'inclusion, les LGBT+, l'antiracisme… Et rien n'est vraiment défini. On généralise une unique conférence dans un unique lycée en condamnation de toute mesure de lutte contre l'homophobie. Ça n'a pas de sens.

Et c'est pour ça que ma conclusion — provisoire — est la suivante : le dossier est très faible, et sa présentation et son accroche sont malhonnêtes. Mais certains qui s'en émeuvent (le +) se retrouveraient parfaitement dans les anecdotes utilisées.

Pour le coup, le DGESCO a une formule très heureuse dans l'article : « Par définition, une association milite pour ce qui est son objet ». N'allons pas croire que celles qui réagissent à ce dossier (et quelque part la mienne incluse, puisque je cause, même si compte perso)…

ne militent pas pour ce qui est leur objet. Et on n'a pas tous les mêmes objets, même si on peut porter régulièrement et collectivement certaines revendications.