Thread by @CMitermite

Selon notre ministre Sophie Cluzel, les personnes handicapées ne trouvent pas d'emploi parce qu'elles s'autocensurent, et un moyen de les aider à se lancer c'est le duoday !
Moi, mon expérience du duoday c'est surtout un trauma en plus du monde du travail...
#Duoday2021 #DuoDay

Il y a quelques années, j'étais en réorientation et suivi par un service spécialisé de Pole Emploi pour mon handicap.
Ma conseillère me propose en catastrophe pour quelques jours plus tard un espèce de stage d'une journée dans le cadre du Duoday, pour tester un métier.

J'ai aucune idée de ce que c'est, y a duo dans le nom du coup je me dis juste que l'idée c'est qu'on soit en binôme, et j'accepte. Je précise que ma conseillère était persuadée que je savais ce que c'était (et vu la com des entreprises et du gouvernement à ce sujet je comprends).

Donc je me rends à ce stage, avec l'angoisse habituelle que j'ai à me rendre dans des lieux inconnus. La personne avec qui je suis est adorable, peut être un peu trop même, elle est vraiment ravie que je sois là. Je sais qu'on l'a mise au courant de mon handicap et elle me dit

qu'une membre de sa famille a le même et qu'elle a accepté le stage pour cette raison.
Elle m'explique son travail, me confie des tâches que je fais très bien, elle me félicite d'être aussi pointilleux. Je me rends compte qu'elle ne me fait faire que ce qui est parfaitement

compatible avec mon handicap. Je suis perplexe parce que pour moi, le but était de tester un travail et évaluer si je pouvais l'assumer au moins à moyen ou court terme, et là je ne pouvais pas calculer l'énergie qu'il me prendrait. Admettons, ça me donnait une idée de la voir

faire ces tâches au moins.
Viens le moment de la pause. En traversant le couloir, on croise ses collègues qui se taisent et me fixent très intensément. Même sans comprendre j'ai été très interloqué: je suis regardé comme une bête curieuse dans un zoo. Les têtes se penchent pour

continuer à m'observer en silence et avec fascination au fur et à mesure que je m'éloigne.
Je me concentre sur la pause café qui tourne un peu en entretien d'embauche dans ma tête car la directrice nous rejoint. Pour quelle autre raison la directrice nous aurait rejoint, alors

qu'on m'a répété que ma binôme allait bientôt partir à la retraite ?
On parle de la matinée, si tout s'est bien passé, si c'est pas trop dur, si j'avais besoin de quelque chose. Je suis toujours perplexe, on me traite comme si j'étais en sucre. C'est plutôt drôle mais le stage

n'aura donc rien à voir avec une simulation d'emploi.
Retour au travail, une personne rentre brusquement dans le bureau. Lorsqu'elle repart, ma binôme s'excuse: elle avait demandé à ce qu'on évite de rentrer et à ce que tout le monde fasse le moins de bruit possible dans et

autour du bureau. Apparemment, en temps normal c'est un moulin et tout le monde parle fort et claque les portes !
Ah.
Donc, on m'a choisit un stage de réorientation pour un boulot qui ne me conviendrait pas de toute façon, en parlant de mon handicap à tout le monde pour le

twister dans un à peu près accessible qui ne tiendrait jamais plus de deux jours et tout ça sans me demander mon avis. Bon, au moins ma binôme et la directrice sont (trop) bienveillantes et ça me fait une expérience en plus, peut être même une possibilité d'embauche.

Là, une personne vient me voir et me demande si je veux participer à la photo de l’événement. Je suis très fatigué à ce stade et j'accepte sans demander de détails. On me répond "ah c'est super, il y a plein de personnes qui ont refusé !". Je suis encore perplexe du nombre de

stagiaires qui protègent farouchement leur droit à l'image mais je pose pas plus de questions. Je rejoins les autres stagiaires pour la photo. J'identifie d'autres personnes comme handicapées mais à ce stade de fatigue mon cerveau est en mode survie plutôt que reliage de points.

La photo de groupe est prise, on retourne au travail.
La fin de la journée arrive, on me propose un bilan et je rassemble mes dernières forces pour un nouveau " entretien d'embauche " .

La directrice me dit qu'elle est très contente de ma positivité, que tout s'est bien passé. Je lui réponds que je me projette tout à fait dans ce travail et serait ravi de travailler ici.
Petit blanc et airs incrédules.
Elle me parle de faire d'autres stages à d'autres services.

Il n'a jamais été question pour elle de me proposer un emploi, c'est visiblement inenvisageable même si elles m'ont dit être impressionnées par mon " comportement " et mon travail. Je suis pas surpris, quand on prend soin d'un stagiaire, c'est qu'on l'envisage pas comme employé.

Je suis pas un potentiel employé rentable et autonome, puisque je suis handi quoi. Je suis quand même déçu, et un peu honteux de toute cette infantilisation à laquelle je n'ai pas su répondre. Toute cette énergie passée à me conformer pour rien, puisqu'il avait été décidé à

l'avance que je ne serai pas employable.
Je me couche directement en rentrant chez moi.
Le lendemain, j'apprends que le duoday est réservé aux personnes handicapées.
Je rejoue toute la journée dans ma tête et je me glace complètement.

Les regards insistants, les commentaires sur les autres stagiaires, les discussions avec la binôme et la directrice, la photo… Tout prend un autre sens. Je n'étais pas un stagiaire, j'étais l'animation de la journée. Une expérience enrichissante et gratuite pour valides.

Et le pinacle de cette journée, le moment incontournable et essentiel, c'était la photo.
Une photo souvenir de tous les mignons petits handicapés de sortie qui servira de promo facile et pas chère pour montrer l'entreprise sous un regard inclusif (ou charitable, au choix).

Ce truc que je pensais anodin, c'était le but ultime de toute l'opération.
J'allais potentiellement être affiché sur les réseaux sociaux, des newsletters, des mails ou des journaux avec mon prénom officiel de l'époque, un sourire niais et token écrit sur mon front.

Je me suis senti très mal. Trahi, en colère, honteux.

Rien de ce qui a été organisé ce jour là n'a été fait pour moi ou pour les autres personnes handies. Ce n'était ni pour nous embaucher, ni pour nous aider à nous réorienter, ni pour "" changer le regard "" des employeurs.

Je me suis fait avoir.
On m'a utilisé comme une attraction étrange, inspirante, pitoyable ou mignonne, sans salaire ou compensation et sans m'avoir prévenu.
Je me suis senti sale, et c'est ça l'essence du #DuoDay

Le concept même est inefficace et insultant.
C'est de l'inspiration porn, de la charité mal placée, de l'infantilisation, de l'inclusivité valable qu'une journée, c'est de la pseudo-mesure politique d'accessibilité à moindre frais, et c'est dégueulasse.
#Duoday2021 #DuoDay