Thread by @montbazet1

Lors du siège de Paris entre sept 1870 et janvier 1871, on fut contraint de manger du rat, du chien, du chat et les éléphants du Jardin des Plantes…

Une image d’Epinal construite dès l’après-guerre et qui masque les enjeux politiques et sociaux de la famine : un thread ⬇️ 1/16

La faim a été l’un des aspects les plus centraux dans la mémoire du siège : pour une population urbaine qui a connu une nette amélioration de son alimentation tout au long du XIXe s., elle était perçue comme un anachronisme 2/16

C’est pourquoi images, témoignages et mêmes objets de consommation circulent rapidement après la guerre sur le sujet, comme ce cadre qui contient un morceau de « pain du siège » (mélange peu ragoûtant de farine, de paille et diverses légumineuses) 3/16

Les familles conservent leurs cartes de rationnement qui marquent pour eux la participation à un évènement inédit 4/16

Très vite donc, porté par une bourgeoisie qui monopolise alors très largement l’écrit, se diffuse un récit de la famine qui se rapproche de l’anecdote mondaine. On s’amuse de manger du chat et on s’étonne du tabou des classes populaires pour la viande de cheval 5/16

L’image iconique en est le débitage pour une boucherie fine de Castor et Pollux, les éléphants du Jardin d'acclimatation (et non des Plantes !). Consommées dans les restaurants chics des Grands Boulevards, ces viandes exotiques ne concernèrent bien sûr qu’une infime minorité 6/16

D’un autre côté, on diffusait les images édifiantes de ces « misérables » frappés par les rigueurs du siège (ex cet « Album pittoresque des deux sièges de Paris »). Un martyrologe qui laisse volontiers de côté les causes sociales et politiques de la famine 7/16

Car ce fut surtout la hausse des prix qui frappa les classes populaires et moyennes de la capitale, alors que beaucoup étaient réduits à la solde du Garde nationale. Une inflation qui commence dès les premières semaines et qui est due en partie à la spéculation 8/16

Face à cela, le nouveau gouvernement républicain resta embarrassé. Le libéralisme dominant voyait d’un mauvais œil tout contrôle des prix et toute réquisition. J.H. Paradis, célèbre diariste du siège, estimait d’ailleurs que c’était celle-ci qui faisait monter les prix 9/16

Certains cherchaient d’ailleurs dans l’expérience irlandaise des recettes miracles, en se fondant sur le témoignage de Charles Trevelyan, le secrétaire au Trésor anglais responsable d’une gestion très libérale de la famine qui causa 1M de morts 10/16

La position politique des républicains était en outre précaire et ils craignaient d’effrayer les classes possédantes par des mesures trop vigoureuses. Pour beaucoup, l’administration des prix rappelait la Terreur et la loi du Maximum 11/16

Aussi on réglementa peu : taxation, puis rationnement de la viande en octobre, du charbon et du gaz en novembre, et enfin (seulement !) dans les derniers jours du pain 12/16

Beaucoup des mesures furent en réalité réalisées sans l’accord du gouvernement et sans uniformité, à l’échelon des arrondissements ou à l’initiative de certains bataillons de la Garde nationale politisés : réquisitions, cantines municipales, chasse aux « accapareurs »… 13/16

Pour les opposants à la Commune, dont fait partie le témoin que j’étudie dans mon livre, les mesures prises pendant le siège ne devaient qu’être temporaires et s’apparentaient à un remake des ateliers nationaux de 1848… 14/16

« Les ouvriers habitués à la fainéantise et nourris aux frais de l’État pendant le siège, payés par-dessus le marché pour ne rien faire, ne devaient pas se remettre au travail sans avoir tenté de continuer à vivre rentiers », écrit-il ainsi pendant la Commune 15/16

Il faut donc voir dans le siège de Paris la mise en place d’une scène sociale et politique qui perdure lors de ce que les contemporains considéraient comme le « second siège », cette Commune qui a parfois phagocyté la mémoire du premier. 16/16

Des réflexions que je porte dans un livre à paraître le 16 mars chez @PComposes