Au début je me suis dit je ne vais rien dire.
Ca ne va pas, cette couv, mais on parle de nous au moins, enfin on parle de “ça”.
On n’oublie pas l’affaire.
Mais ça ne va pas. Ca ne passe pas. Et je vous explique ici pourquoi (Thread @ParisMatch#metoomedias )
On me l’a envoyée de partout, cette Une. Du Nord de la France, de Californie, du Loir et cher.
“t’as vu ?”
Il y a cet homme qui se balade dans la rue et qui est donc en photo dans tous les kiosques de france.
Il y a ce titre : “paria”.
Le poids des mots, le choc de la photo.
Qu’est ce que ça dit, cette photo placardée partout en France ?
Ca dit qu’un homme accusé de crime par des dizaines de femmes, pardon, par des dizaines et dizaines de femmes, peut encore aujourd’hui se promener tranquille dans les rues de notre belle France.
Qu’il peut encore être invité, reçu, reconnu, et même s’asseoir au milieu des miss France aux funérailles d’une autre personnalité de la télévision. Que quand une grande émission journalistique décide d'enquêter sur lui, son producteur préfère le prévenir, par courtoisie.
“t’as vu, ça a l’air d’être dur, pour lui”…
A vous qui m’écrivez pour me dire cela, ou juste vous qui me lisez présentement : je n’ai aucune satisfaction à lire que cet homme souffrirait aujourd’hui, qu’il soit considéré comme un “paria”.
Chaque mot de cet article ne me rappelle qu’une chose de la triste vérité : il y a tant de femmes qui dénoncent cet homme, et, pour l’instant, aucune justice.
Quand vous verrez cette une, chez votre kiosquier, ayez une pensée pour toutes les autres, et je peux vous assurer qu’elles sont nombreuses, affreusement nombreuses, qui passent devant et revoient en boucle ce qu’elles ont pu subir de la part de cette personne.
Depuis un an, il n’y a pas une semaine sans que je parle à une nouvelle femme qui raconte des faits terrifiants. Et je pense aujourd’hui à celle qui m’a dit que pendant des décennies elle n’a pas supporté qu’on allume la télé le soir à 20h de peur d’y voir la tête de son violeur.
Pensez à elle tout à l’heure quand vous serez devant cette Une.
Pensez à toutes celles qui sont aussi affichées dans l’article en pages intérieures. On y a mis une photo de moi, une photo faite lors de la publication de mon premier livre, qui enquêtait , tiens, sur un prédateur en série qu’on a laissé agir pendant des décennies sans réagir.
On est là, en photo, une poignée d’accusatrices au milieu d’une autre poignée d’anciennes compagnes, épinglées comme des petits papillons pris dans les filets de celui qu’on nous a présenté pendant tant d’années comme un Don Juan.
Je n’ai aucun plaisir a être de ce catalogue. Je n’y ai aucun intérêt a part y voir s’égratigner encore un peu mon image : depuis des années je travaille pour être reconnue pour mon travail de journaliste, pas pour ça, vraiment pas.
Je n’ai aucun plaisir à encore une fois devoir parler publiquement, et l’ouvrir devant vous tous.
Mais vraiment, tout cela n’est pas possible.
Tout cela est trop injuste.
C’est injuste que des dizaines et des dizaines de femmes passent devant cette Une cette semaine et se disent : cet homme a commis des crimes dont j’ai été victime, et il marche encore dans la rue, il peut encore sévir.
C’est injuste qu’elles soient réduites à ce “tribunal médiatique”, parce qu’elles n’ont plus droit au tribunal tout court.
C’est trop tard.
C’est prescrit.
Ca ne change pas que c’est dégueulasse.
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Nous sommes donc 23. 23 à avoir pris du temps, à avoir tourné 7 fois notre témoignage dans notre tête, à avoir hésité, stressé, angoissé.. 23 à avoir décidé de parler à la police de notre pays.
Je n’en connais pas la majorité, j’ai découvert après coup que certaines étaient mes collègues, des amies même, de vingt ans -on ne s’était rien raconté à l’époque, le silence commence déjà là, quand tu as tellement honte que tu ne le dis même pas à ceux que tu aimes.
“T’as rien à y gagner dans cette histoire, tout à perdre.” Même après metoo, bientôt 4 ans après, même avec cette fameuse “libération de la parole” qui serait partout, je voudrais vous dire aujourd’hui a quel point cela n’a pas été facile pour beaucoup d’entre nous de parler .
Ca n'arrive pas qu'aux autres. Il était 23h, je rentrais de diner avec une copine, mon mari finissait de regarder un film. Quand tout à coup, les coups sur la porte d'entrée. Tellement fort que les murs de toute la maison en tremblent. On comprend pas trop ce qui se passe.
La porte qui tremble sous les coups. Et puis les cris. Insultes. Menaces de mort. "Sale youppin, je vais t'encastrer. Je vais te défoncer la tête". C'est le voisin bizarre qu'on avait entendu dans la rue tout un soir, hurler des trucs antisemites pendant un temps interminable.
Là il essaie de défoncer notre boite aux lettres. Il tape contre la porte, encore et encore, on a peur que la vitre explose. Heurement qu'on avait fermé les volets du rez de chaussée, j'ai peur qu'il finisse par peter la porte et réussisse à rentrer. Les enfants dorment en haut.