Thread by @AlineCateux

Il y a 2 jours, les 700 pierres tombales du cimetière des Partisans de #Mostar ont été détruites à coup de masse venant compléter la très longue liste de dégradations de ce monument emblématique d'ex-#Yougoslavie.
Thread.

Partizansko Groblje (PG) c'est 5 hectares dédiés à la lutte antifasciste des Partisans contre les nazis et les fascistes croates Ustachi et les Tchetniks serbes. On estime qu'un tiers de la ville avait rejoint la lutte clandestine. Le monument est l'oeuvre de Bogdan #Bogdanović.

Immense architecte yougoslave, ancien maire de Belgrade, on doit aussi par exemple à #Bogdanović le mémorial du camp de concentration de Jasenovac en #Croatie.

#Bogdanović était très attaché au parc-monument de #Mostar qu'il appelait "la ville des morts". Il l'avait conçu comme une réplique de la capitale d'Herzégovine "la ville des vivants". #Mostar et ses morts se font face.

La ville devait tjrs se souvenir de la lutte de ses enfants pour sa libération. Étalé en restanques sur 5 niveaux, les pierres tombales dit-on ressemblaient à des fleurs. #Bogdanović est tjrs resté évasif et a trs refusé de donner des interprétations concrètes de ce monument

Une autre explication est que ces pierres tombales imitaient la taille de jeunes troncs d'arbres et que le cimetière représentait comme une foret de jeunes vie arrêtées en plein élan. C'est l'interprétation que j'ai tjrs choisi de retenir.

Les monuments à la gloire de la lutte antifasciste yougoslave sont une partie très importante des politiques mémorielles après la 2cde guerre mondiale. Ces monuments sont destinés à rappeler que tous les peuple de #Yougoslavie se sont battus ensemble pour la libération du pays.

La devise du pays est "Bratsvo i Jedinstvo" (Fraternité et Unité". Ces monuments au tournant des années 60 deviennent aussi des parcs comme à Mostar. On va s'y promener, les classes y vont en voyage, on y donne des cours. Ils sont le relai de ces politiques mémoriellesdu pouvoir

Ils sont aussi une part très importante de l'espace public yougoslave. Les gens s'y promènent, y passent du temps, les amoureux s'y retrouvent le soir. PG inauguré en septembre 1965 par Avdo #Humo et Dzemal #Bijedić a mis 5 ans à être construit.

Le chantier avait dû être interrompu suite au tremblement de terre de Skopje et tous les moyens de construction envoyés dans la capitale macédonienne.
Ce sont des tailleurs de pierre de l'île de Korčula qui taillent les pierres extraites de leurs carrières.

Bogdanović raconte les entendre fredonner des chants de leur île pendant qu'ils travaillent la nuit à la lueur de leur lampe frontale. Les mostariens viennent leur apporter à boire et à manger.

Partizansko symbole très fort de Mostar, présent sur toutes les cartes postales d'avant-guerre avec le célèbre Stari Most devient la cible d'attaques dès 1992 et les manifestations contre la guerre à #Mostar.

Une bombe y explose à la fin d'un rassemblement pour la paix qui réunissait des centaines de personnes. L'antifascisme n'est plus la valeur fondatrice du pays qui élit les ethno-nationalistes qui ont tous un trait commun : la haine du communisme.

Entre 1992 et 1994, #Mostar subit 2 sièges dont le 2ème par les forces armées croates. Ce siège accompagné d'une campagne de nettoyage ethnique atroce débouche sur la division de la ville en 1994.

PG se retrouve à l'Ouest de Mostar sous contrôle du HDZ le parti ethno-nationaliste croate qui se charge de régulièrement mettre à sac le monument en payant de petits délinquants, des supporters de foot bas du front de Zrjinski, l'équipe de foot croate de la ville.

Croix gammées, U surplombé d'1 croix, symbole des fascistes croates oustachis, des slogans insultant Tito, les partisans, les communistes. Le cimetière devient une décharge. La cérémonie du 14 février, date de la libération de la ville en 1945 est svt attaquée à coups de pierres

En 2014 au plus fort des révoltes sociales qui secouent le pays, je me rends comme tous les ans à la cérémonie du 14 février pour trouver l'entre du cimetière en flammes. La police ne vient pas, les pompiers non plus.

Tout le monde y va de son couplet sur PG, en fait un enjeu politique de plus en plus sensible. Le cimetière traverse aussi des phases de calme, c'est-à-dire d'abandon. Les forces politiques le laissent tranquille parfois. Comme ici en 2004 :

J'y vais souvent regarder la ville car depuis le sommet du monument on a une vue exceptionnelle sur Mostar. Bref.

Il y a 2 jours, les 700 pierres tombales ont été détruites. Surement par un groupe de gens bien coordonné et préparé. On ne pète pas comme ça 700 pierres tombales. Les résultat est atroce. C'est, à ce jour, l'acte de destruction le plus violent que le cimetière ait subi

Cette attaque intervient ds 1 contexte mostarien compliqué. Depuis des mois, un projet financé par l'ambassade de GB agite bcp la ville. Il s'agit de rénover Trimusa, la foret attenante à PG. Il semble que PG ne soit englobé dans ce projet d'espace vert destiné au divertissement.

Classé monument historique, aucune intervention ne peut avoir lieu sur Pg sans l'accord de l'association des Partisans de Mostar dépositaires des plans et des documents de Bogdanović, garants de l'intégrité du monument. La mairie refuse de les recevoir depuis des années.

Je doute que les ONG en charge du projet aient pris la peine de les consulter. Le débat autour de PG a été relancé très fortement ces dernières semaines. Le maire Kordić qui tente de se faire passer pou un type cool a signifié son respect pour le monument blablabla...

mais refuse toujours d'agir selon la loi de proteciton des monuments nationaux et de recevoir la seule entité administrative habilitée à diriger des travaux sur PG : l'associations des Partisans.

Pendant que les ONG s'agitent sur où sera la piste de jogging, où sera le parc à chiens et qui taillera les arbres, rien sur le monument en lui-même. L'autre contexte difficile à Mostar c'est la situation délicate du HDZ (nationaliste croate)

de la situation acrobatique de son tout puissant Pdt Dragan Čović qui n'a pas réussi à faire capoter les élections générales qui se tiendront le 2 octobre. Il serait également mis en difficulté à l'intérieur de son parti concernant sa possible candidature au poste de pdt croate

Il vient de boycotter une réunion à Bruxelles où une feuille de route a été présentée aux chefs des partis ethno-nationalistes. Même Dodik y a été. Čović, non. On murmure à Mostar que c'est Kordić, le maire de Mostar qui serait candidat du HDZ à la présidence croate.

Tout cela impacte #Mostar & les intérêts des politiques qui maintiennent la ville la tête sous l'eau. Cette destruction de Partizansko Groblje n'est pas anodine (aucune ne l'est bien sûr), elle est d'une ampleur jamais vue avant. Elle est destinée à frapper les esprits,

à réanimer des tensions territoriales fabriquées de toutes pièces, à initier une escalade. Et puis pendant qu'on parle de PG, on ne parle pas de corruption hein. Il y a ça aussi. Ces destructions ne sont qu'un symptôme des frictions entre forces politiques.

Ces destructions ne sont pas le fait de citoyens qui se réveillent un soir en disant, je vais tout péter au cimetière des Partisans. Ça n'a jamais été le cas (j'ai écrit un chapitre de bouquin là dessus, s'il vous intéresse faites moi signe je vous l'envoie).

Je vous quitte avec cette photo de la visite de #Tito à Mostar en 1969, quand le monument était dans toute sa splendeur. Tito avait prononcé un discours mémorable sur le courage et la bravoure de #Mostar,

la ville qui a donné le plus de Héros Nationaux à la République socialiste de #Bosnie-#Herzégovine dans un temps où l'antifascisme était une valeur fondatrice, pas une valeur à combattre.

Correctif à ce thread : le cimetière des Partisans comptait 630 pierres tombales et non 700.