Thread by @Rafumab

Il ne s’agit pas d’une analyse juridique mais d’une tribune politique.

Les déclarations de cet avocat sont juridiquement et historiquement trompeuses.

Thread pour comprendre le sujet et vous éviter des frais de consultation inutiles auprès de ce type de cabinets ⤵️

https://twitter.com/Pierre_GTIL/status/1544430447425355776

L’installation hors aires de 400 caravanes n’est facile pour personne et je comprends les difficultés. Pourtant il s’agit d’un sujet complexe, technique, d’un fait social prévu et encadré par le droit et j’invite ceux qui portent la parole publique à ne pas dire n’importe quoi.

Contrairement aux affirmations de cet avocat il y a bien des expulsions (nombreuses), qui peuvent être prononcées en moins de 48h À CONDITION que la collectivités soient aux normes, c’est-à-dire qu’elle disposent bien des aires d’accueil prévues par la loi.

Si cet avocat appelle au « courage politique » qui permettrait de « déporter 400 caravanes », il oublie de préciser que ces « installations » sont illicites précisément car les aires de grand passage sont inexistantes ou en nombre insuffisant dans la plupart des territoires.

Quant à cette affirmation « il faut rappeler aussi à ces gens qu’en France nous ne sommes pas un peuple de nomades, nous sommes un peuple de sédentaires, avec des règles prévues pour les sédentaires, donc ce n’est pas à nous de nous plier à leurs règles»

De la bêtise en barre

Les gens du voyage sont pour la plupart issus de familles autochtones et sont des citoyens comme les autres. La loi de la république intègre leur mode de vie en imposant la construction d’aires d’accueil et de grand passage, ce qui n’est pourtant toujours pas effectif.

Affirmer que la société française est sédentaire est faux (en plus de ne pas avoir de sens), la société française et son droit régissent les différentes formes de mobilités. Et il n’y a pas que les gens du voyage qui voyagent !

Ainsi l’accueil d’habitats mobiles n’est pas valable que pour les gens du voyage.

Les gens-du-sur-place disposent d’un réseau bien plus important d’aires d’accueil pour camping-car et de camping municipaux (et continuent de les interdire aux gens du voyage).

Car oui, cet avocat pas « positiviste » devrait se pencher sur les différences d’encadrement des mobilités par le droit et la pratique publique, ce qui lui permettrait peut-être de déceler les différences de traitement entre gens du voyage et gens-du-sur-place qui voyagent.

Ceux que ce monsieur appelle les « nomades », en utilisant la catégorie ethnique de 1912 ayant conduit nos arrières grands-parents dans les camps de concentration, emprisonnés (et pour certains tués) par des français, n’ont jamais été en dehors de la communauté nationale.

Nos aïeux se sont battu pour ce pays en 14-18 et certains ont aussi résisté en 40-45. Nos modes de vie ont été partagés par une très large part de la population française et continuent à l’être.

Ils sont même de plus en plus envisagés comme des solutions dans un contexte de crise écologique et du logement, mais aussi des mutations économiques.

L’émergence des habitats légers et les nouvelles mobilités professionnelles en sont un exemple.

Dans l’histoire des gens comme cet avocat ont porté des discours similaires qui ont conduit au pire.

Deux choix s’offrent à notre société :

> combattre ces phénomènes, ce qui implique des sédentarisations forcées et des privations de liberté ;

> ou accepter que ces modes de vie fassent partie d’un patrimoine culturel commun et que les villes soient conçues en intégrant ces réalités.

Les grands passages sont des phénomènes qui existent depuis des décennies, principalement durant la période estivale. Et si chaque année une partie d’entre-eux se passent mal c’est aussi parce que certains élus s’entêtent aux même solutions simplistes que cet avocat.

Déjà d’où vient le phénomène ? Les grands passages ont pris un essor important pendant la seconde moitié du XXs.

Deux raisons principales :

1 - L’émergence de mouvements religieux évangéliques tsiganes à partir des années 1950, notamment de l’Eglise Vie et Lumière dont le voyage en grand groupe est un des fondements de leur « missions d’évangélisation ».

Il faut revenir aux années 1950. Après guerre la volonté de l’Etat est alors de « relever les populations d’origine nomade » (aka civiliser en sédentarisant), un tissu associatif va alors se former autour d’asso « amis des tsiganes » et d’asso catholiques.

Parallèlement le mouvement évangélique va connaitre un essor important. À la différence des catholiques ils forment des pasteurs tsiganes, adaptent les cultes et une mission évangélique tsigane verra ainsi le jour : Vie et Lumière.

Ces encadrements religieux ont été soutenus ou accepté par l’Etat, car pour beaucoup ils étaient réputé être une solution pour "cadrer" des populations réputées dangereuses. Une mutation majeure s’est alors opérée dans nos communautés du catholicisme vers l’évangélisme.

Chaque année à Giens se réunissent plusieurs dizaines de milliers de personnes pour décider des parcours de chaque missions. Les pasteurs en charge de l’accompagnement de ces groupes vont ensuite pré-réserver des aires spécifiques dédiées au grand passage.
francebleu.fr/infos/economie…

Face à ce succès de ces modèles d’itinérance d’autres associations se sont constitué sur des modèles non religieux et sont venu grossir les rang des grands passages.

Les grands passages ne sont donc pas tous religieux.

2- L’autre raison de l’émergence du grand passage est la restriction du cadre légal du voyage individuel, avec la création de terrains spécifiquement dédiés (aires d’accueil), les interdictions de territoire pour les gens du voyage n’ont jamais été aussi importantes.

Lorsqu’un EPCI remplit ses obligations d’accueil (déterminées par un schéma) il peut prendre un arrêté d’interdiction de stationnement sur l’ensemble du territoire.

Ainsi en France plus de 96% des communes sont interdites aux gens du voyage !

Un cas unique en Europe.

La loi Besson du 5 juillet 2000 (qui fait suite à celle de 1990) encadre "l'accueil", chaque communes de plus de 5000 hab devant participer. Cependant ces communes ne représentent que 4% des communes en France et en plus un nombre important continuent de ne pas respecter la loi.

Ainsi, après 32 ans d’obligation, les EPCI remplissent leurs obligations dans seulement 25 départements sur 70 ! Il s’agit probablement de la loi la moins respectée par les collectivités, et la principale source de l’installation illicite car simplement, nous manquons de place.

Il faut aussi expliquer ce qu'est une aire d’accueil, c'est une sorte de parking clôturé, réservé aux gens du voyage, payant et sous surveillance administrative ou privée.

Ainsi lorsque l’on est habitant d’une aire il faut payer le stationnement, l’eau, l’électricité, tout comme vous en sommes mais sans avoir accès aux mêmes droits (pas d’APL, pas de trêve hivernale, pas d’encadrement des tarifications, pas d’accès aux chèques énergie, etc.)

Il existe principalement deux types d’aires, les aires d’accueil (de 12 à 50 emplacements) et les aires de grand passage pouvant accueillir plusieurs centaines de caravanes.

Le gros problème des aires c'est que personne n’en veut. Elles sont donc majoritairement reléguées dans des zones industrielles. Plus de la moitié subissent des pollutions.

https://twitter.com/Rafumab/status/1382605871717437441?s=20&t=FyMOQNHrJ6BvKViqyn_wxw

L’autre problème est la surveillance qui s’y exerce, ces aires étant gardées et déploient du contrôle (gardien 24/24, vidéo de surveillance des espaces communs, herses anti-intrusion, parfois barbelés) ce qui en fait bien souvent des espaces peu désirables.

Sans compter les "dégradations", dues aux incivilités d'une minorité ou les absences totales d'entretien dans certains de ces lieux. Exemple dans le 35

https://twitter.com/Rafumab/status/1537873211727257601?s=20&t=FyMOQNHrJ6BvKViqyn_wxw

Bref, ce sont des lieux de gestion de l’indésirable.
blogs.mediapart.fr/william-acker/…

Ces équipement sont en réalité des outils de sédentarisation. La plupart des gens du voyage tentent de fuir ces lieux, en accédant à la propriété mais les règles d’urbanisme conditionnent l’accès à l’achat à l’acceptation des maires (autant dire que c’est compliqué).

Ainsi il est illégal de vivre avec sa caravane, sur son terrain plus de 3 mois par an. Ce qui signifie qu’il faudrait acquérir 3 terrains pour pouvoir vivre de cette manière (ou qu’un maire accepte de vous laisser tranquille).

L’ensemble de ces contraintes, impliquent que les personnes les plus précaires se fixent sur les aires, simplement car elles n’ont plus les moyens de voyager, ni les moyens d’accéder à l’habitat. Ainsi dans certains territoires les aires sont complètes et donc inaccessibles.

Parallèlement la répression de l’installation illicite n’a jamais cessé et s’est même renforcée.
streetpress.com/sujet/16342892…

Il existe des amendes, des peines de prisons et depuis septembre 2021 des amendes forfaitaires de 500€ par caravane qui sont distribuées par courrier simple, sans passage devant un juge, sans moyen de les contester et qui ouvrent un casier judiciaire !
change.org/p/halte-%C3%A0…

Ces amendes sont actuellement testées dans 6 juridictions (dont une large partie viole la loi en ne construisant pas les aires).

Autrement dit on prévoit les amendes sans prévoir les moyens d’y échapper.

L’ensemble de ces conditions a favorisé une transformation des modes de vie, les Voyageurs se sont sédentarisé ou plutôt "semi-sédentarisés", c'est-à-dire posés une partie de l’année dans les aires ou sur leurs terrains et voyageant en grands passages durant la période estivale.

Autrement dit, ce dont cet avocat se plaint est le résultat des solutions politiques qu'il soutient.

Pourtant il faut préciser que dans les cas où les aires de grand passage sont en nombre suffisant et que les personnels administratifs sont formés, la gestion des passages se passe bien et représente un bénéfice économique pour la ville.

Autre pratique, dans la majorité des installations illicites de grand passage, les Voyageurs passent une forme d’arrangement avec les autorités locales, qui se conclut par une transaction financière compensatoire.

J’ai conscience que ce long thread sera bien peu efficace face à cette séquence aux millions de vues, qui surfent sur toutes les peurs et les stéréotypes antitsiganes.

Mais s’il peut vous servir pour apporter de la nuance sur ce sujet, c'est déjà une petite victoire...

Correction :

25 départements sur les 95 département de l'hexagone et de Corse.

https://twitter.com/Rafumab/status/1544717399806676993?t=afQVVZ-pPDZlzK_bplX91Q&s=19

Correction #2 :

4 terrains (4 x 3 mois = 12 mois) 😅

https://twitter.com/Rafumab/status/1544719095161028609?t=afQVVZ-pPDZlzK_bplX91Q&s=19

Et pour ceux qui doutent de l'application des peines en commentaires, petit témoignage perso : l'été dernier un jeune d'une mission a fait un mois de prison ferme après avoir "ouvert une place" sans autorisation à Fréjus. Et ce n'est pas le premier ni le dernier à aller en prison