1/n Avec le réveil de l’inflation, à l’heure où l’on semble découvrir les conséquences d’une création monétaire massive, retour sur la première grande émission monétaire de l’histoire.
C’était il y a plus de 300 ans, dans la France de l’Ancien Régime.
2/ Nous sommes le 1er septembre 1715. Louis XIV s’éteint après une interminable agonie, à l’image de ses 72 ans de règne.
« Tâchez de soulager vos peuples ! »
Tels sont les derniers mots que le souverain adresse à son successeur, le futur Louis XV, alors âgé de 5 ans et demi.
3/ Philippe d’Orleans obtient alors la régence. Il se voit confier les pleins pouvoir pendant 7 ans, jusqu’à la majorité de Louis VX, fixée à 13 ans.
Charge à lui de laisser au jeune monarque un royaume dans un meilleur état qu’il ne l’avait trouvé, et rien n’est gagné !
4/ Les guerres du roi soleil laissent un endettement public record (2,8Md de livres, soit 120% du PIB).
La pression fiscale est forte (6% du PIB) et injuste (les plus productifs sont les plus taxés).
L’équilibre budgétaire n’a jamais été atteint depuis la mort de Colbert en 1683!
5/ Bref, l’Etat vit au dessus de ses moyens !
On peut ajouter au tableau une économie en berne, un recouvrement de l’impôt fastidieux, et des conditions de financement catastrophiques (les papiers d’Etat s’échangent au tiers de leur valeur d’émission …)
6/ Il faut dire que les créanciers de l’Etat ont de bonnes raisons d’être inquiets !
Ils subissent constamment de nombreuses dévaluations.
Le procédé, inventé par Philippe Le Bel, consiste à refondre les pièces d’or du royaume en revoyant à la baisse leur titre en métal précieux.
7/ Le Régent se résout de mener une politique de rigueur.
La dette française est restructurée en 1716, c’est l’Operation du Visa.
Tous les papiers d’Etat (rentes viagères, perpétuelles, créances diverses…) sont consolidés en créances standardisées (à l’avantage du trésor !)
8/ Mais rien n’y fait. La confiance est en berne, et la politique de maîtrise des dépenses est impopulaire.
Les dernières dévaluations ont entraîné une fuite importante de métal vers l’étranger, aggravant d’avantage la pénurie d’espèces pesant sur l’économie.
9/ Le régent se tourne alors vers un homme providentiel: John Law (prononcez « Lass »).
La vie de cet écossais est déjà un vrai roman: aventurier, joueur professionnel, économiste, condamné à mort en Angleterre pour assassinat, évadé, et désormais à la tête d’une belle fortune.
10/ Le constat de John Law est simple. La croissance économique serait bridée par la quantité de monnaie métallique en circulation.
Il entreprend de concevoir un système dans lequel la masse monétaire serait ajustée en fonction des besoins de l’économie.
11/ Le Régent donne carte blanche à son protégé pour mettre en place son système, ce sera le « Système de Law » !
12/ Law crée en mai 1716 la Banque Générale, la première banque centrale française.
Law détient un quart du capital social. 1200 actions sont émises, payables en billets d’état dévalués.
Les activités de la banque se limitent initialement à des activités d’escompte et de change.
13/ Puis la banque émet les tous premiers vrais billets de banque français ! Le volume de billets émis devait dans un premier temps rester inférieur à l’encaisse métallique de l’établissement, garantissant ainsi la convertibilité des billets en espèces métalliques.
14/ Dès 1717 les billets de la Banque Générale sont acceptés pour le paiement des impôts. Les receveurs des finances et autres collecteurs d’impôt ont de plus l’obligation de déposer les espèces collectées à la banque puis de payer le trésor en billets.
15/ En 1718 la Banque Générale est nationalisée et devient la Banque Royale.
Les sujets du royaume sont contraints d’utiliser la nouvelle monnaie. Aussi en 1720 l’essentiel des échanges commerciaux se font en billets de banque !
16/ Quelques mois plus tôt Law avait racheté la Compagnie du Mississippi. L’entreprise se voit attribuer le monopole du commerce colonial avec la Louisiane pendant 25 ans.
Le Régent, au nom du roi, en détient 40%.
17/ De nombreuses augmentations de capital, payables en billets d’Etat, financent une série d’acquisitions. La Compagnie devient en 1718 la Compagnie des Indes et détient rapidement le monopole du commerce colonial français.
18/ La collecte de l’impôt, jusqu’alors sous-traitée à des agents privés, est confiée en 1719 à la Compagnie, et est donc de ce fait nationalisée.
Le génie de Law s’exprime pleinement en août 1719 quand il organise le plus grand swap de dette de l’Histoire.
19/ Les créanciers de l’Etat doivent échanger leur titres contre des actions de la Compagnie de Indes (et un peu d’espèces). La Compagnie accordant à l’Etat un prêt de 1,6Md de livres à un taux avantageux de 3%.
L’opération est financée par une nouvelle augmentation de capital.
20/ Par ce tour de passe/passe les créanciers de l’Etat deviennent actionnaires d’une société commerciale !
Belle opération pour l’Etat, qui se libère ainsi de l’emprise des financiers, son seul interlocuteur pour se financer devenant la Compagnie, dont il est aussi actionnaire !
21/ Les actions de la Compagnie commencent à susciter l’intérêt des investisseurs. La frénésie s’empare de la rue Quincampoix à Paris, où plusieurs sociétés de bourse sont créées.
Le cours de l’action passe de 500 livres en mai 1719 à 4000 livres en août !
22/ Pour soutenir les cours, la Banque Royale émet de nouveaux billets, les prête sans intérêt à la Compagnie, qui rachète ensuite ses propres actions sur le marché.
La machine infernale de la création monétaire est lancée.
L’action atteint 10.000 livres en décembre 1719 !
23/ Il va de soit que l’émission de nouveau billets de banque n’est alors plus limitée par l’encaisse métallique de la Banque Générale…
La fin de l’année 1719 marque l’apothéose de John Law. Les taux d’intérêt ont baissé, les débiteurs privés et publics se désendettent.
24/ Il n’y a pour le moment pas d’inflation, mais le prix des actifs fonciers et immobilier commence à s’envoler.
On découvre l’économie de bulle !
Par ailleurs la baisse des taux n’encourage pas la maîtrise des dépenses publiques et donc des besoins de financement de l’Etat.
25/ Début 1720 la livre se déprécie fortement sur le marché des changes alors que l’émission monétaire s’accélère pour maintenir le cours de l’action.
La fin de l’année voit se succéder une suite de décisions invraisemblables visant à éviter une inévitable panique bancaire.
26/ La confiance s’évapore rapidement. Les billets s’échangent avec une décote de 50% en juin 1720.
Le cours de l’action est en chute libre, c’est le premier krach boursier!
La banque ferme ses bureaux de change le 17 juillet, entraînant plusieurs journées d’émeutes rue Vivienne.