J’ai passé des nuits avec des avocats. Je l’avoue publiquement.
Des nuits d’audience, à attendre un délibéré, à essayer de rendre une justice humaine dans des conditions imposées qui nous faisaient parfois honte. Tous témoignent leur reconnaissance au greffe. Tous sauf un ?
Tous sauf un ?, aujourd’hui devenu garde des Sceaux.
Je me souviens de ces mots écrits par notre ministre lors de sa première visite à l’Ecole nationale des greffes, comme une promesse. Celle d’un engagement à faire de sa gratitude une réalité dans notre quotidien, dans notre statut.
Quand le 1er syndicat dans les greffes, réputé pour être pondéré et réformiste, allume le Garde des Sceaux, le Directeur des services judiciaires et le Sous-directeur des greffes, c’est que les nouvelles sont vraiment mauvaises pour nous. Les annonces font froid dans le dos.
Un « greffier » formé en 4 mois à l’Ecole nationale des greffes au lieu de 18 mois sur l’ensemble des matières, des procédures et des applicatifs métiers. Sérieusement ?
Nous greffiers avons actuellement un Bac+4 pour la plupart, et tous 18 mois de formation à @Justice_ENG. Notre haute technicité nous permet d’être garant de la procédure, et de renseigner utilement les auxiliaires de justice au quotidien. Tout ça s’apprête à partir en fumée.
C’était un vendredi. Ce jour joyeux de fin de semaine. Lui ce matin-là, il a décidé de mettre fin à sa vie. Il a écrit une lettre sur ses conditions de travail, puis il a quitté le tribunal où il est jeune greffier. Il a acheté un couteau. Et il a enfoncé la lame dans son ventre.
Dans la lettre qu’il a laissée, il raconte son arrivée de jeune greffier à Mayotte, à 28 ans, à l’issue de sa formation à l’Ecole des greffes. Et puis la suite, qui très vite pèse, leste, jusqu’à finir par vous faire sombrer.
Les vieux greffiers que nous sommes vous le diront : un premier poste de greffier dans les conditions actuelles de travail si dégradées, c’est difficile. Si vous ajoutez à ça une distance de 8.000 km d’avec vos proches, ça peut vite devenir plus que difficile.
N’accablons pas les autres si nous greffiers sommes peu connus et reconnus. Nous en sommes sans doute aussi en partie responsables, en tout cas notre trop grande discrétion et notre appréhension à prendre la parole. Nous devons être les artisans du changement que nous souhaitons.
C’est aussi à nous greffiers de sortir de l’ombre. Il nous faut prendre la parole ici, dans les colloques et se porter volontaire pour intervenir dans des formations, des groupes de travail. Faire connaître notre métier, et combien il est difficile mais indispensable et précieux.
Il n’en va pas seulement de notre renom. Nous n’avons jamais cherché ni les lauriers ni à nous faire une réputation. Mais il en va aujourd’hui de la survie de notre métier.
Ils n’ont jamais de figure, et n’ont jamais de nom. Discrets artisans de l’ombre, seuls les magistrats, les avocats et l’escorte savent combien ils sont précieux. Et combien rien ne serait possible sans eux. Ils sont les greffiers d’assises.
Ils vivent au rythme des procès, la tension omniprésente, la pression des enjeux, le tempo de l’audience donné par le Président, l’émotion de certaines déclarations, l’horreur de faits jusqu’à la nausée. Ils vivent les heures d’audience et les délibérés au beau milieu de la nuit.
Ils gèrent les contraintes matérielles, techniques et organisationnelles. Ces maudites contraintes qui paralysent la machine judiciaire, et qu’il leur faut surmonter contre vents et marées, avec 3 bouts de ficelle, pour que le procès se tienne le plus sereinement possible.
À l’heure des bêtisiers de début d’année, ne boudons pas notre plaisir à re-re-re-regarder ce moment d’anthologie de la télévision française : Le fameux « Dis donc t’arrête de gueuler René, bordel !» du si poli Ladislas de Hoyos.
Mais n’oublions pas pour la petite histoire, ou plutôt la grande Histoire, avec un H majuscule, qui fut aussi Ladislas de Hoyos.
Car Ladislas de Hoyos fut aussi ce journaliste qui un jour de 1972 alla débusquer et piéger au fin fond de la Bolivie un homme recherché depuis 25 ans, et qui coulait là des jours paisibles : Klaus Barbie, alias le Boucher de Lyon.