U-DO Wave Profile picture
Oct 7 65 tweets 17 min read
Bon c'est apparemment l'heure de faire un point #GATTACA. Si vous avez l'habitude de me voir user d'un discours posé, poli et modéré, aujourd'hui on va s'en passer. Ce court extrait représente tout ce qui m'a motivé étant plus jeune à étudier la génétique. Ça va chier.
N'étant pas spécialisé en neurologie/développement cognitif/mesure de l'intelligence et autre, je ne vais pas revenir sur les notions d'HPI et je vais me concentrer sur la partie génétique en considérant "HPI" comme le phénotype étudié.
Le phénotype, c'est ce que vous observez chez un individu. Blond/brun, yeux verts/bleus, grand/petit, etc... Ici ce sera donc HPI/Pas HPI. Le phénotype est déterminé par grosso modo 2 choses : le génome du porteur et son environnement.
La majeure partie des phénotypes est expliqué par ces deux facteurs. Simplement, la "participation" du génome et de l'environnement dans le développement du caractère varie.
Parfois c'est 90% de génétique et 10% d'environnement (maladie monogénique), parfois c'est l'inverse (certains types de cancers). Parfois les deux agissent séparément, parfois leur effet s'additionne ou s'annule, bref, c'est un joyeux bordel. Illustration non exhaustive. Image
Maintenant qu'on a fait l'introduction, passons au vif du sujet. Vous comprendrez que j'ai pas le temps de me taper toute la littérature scientifique sur les facteurs génétiques liés à l'intelligence (mon esprit glisse ailleurs, toussa toussa).
On va donc se baser sur cette review que j'ai rapidement survolé pour me mettre à jour : nature.com/articles/nrg.2…
En génétique, il y a une chose qu'on adore c'est les jumeaux. S'il sont monozygotes (issus de la même cellule-œuf) ils partagent le même génome et sont donc
identiques au départ au niveau génomique. Qu'est-ce que cela signifie ? Ça signifie que pour un caractère donné on va rassembler autant de jumeaux monozygotes possibles et on va vérifier combien d'entre eux partagent le même phénotype pour un caractère donné.
Ici on comparera leur niveau d'intelligence. Plus la quantité de jumeaux porteurs du même phénotype est grande, plus le caractère est déterminé par la génétique. A contrario, plus le nombre de jumeaux qui ont un phénotype différent est grand, plus c'est lié à l'environnement. Image
En comparant alors le génome de tous ces jumeaux et en corrélant avec leur phénotype, on peut déterminer :
1- Le degré d'importance du génome dans le développement du caractère.
2- Les potentiels endroits du génome qui seraient liés au développement du caractère.
C'est comme cela qu'on arrive avec le schéma suivant. Ici on nous dit que l'intelligence s'explique à 50% par le génome. Autrement dit, être intelligent ou non, cela viendrait à 50% de votre génome et à 50% de votre environnement. C'est la "Twin heritability". Image
Si on va plus loin dans le schéma, on voit que parmi ces 50%, on a déjà trouvé la moitié des zones du génome qui peuvent expliquer le développement de l'intelligence. Incroyable non ? Non. Pas du tout. Car la démarche est probabiliste.
Elle ne démontre rien du tout. Elle ne vérifie rien du tout, on est purement sur de la spéculation. C'est un peu comme la différence entre mathématiques théoriques et appliquées. C'est super beau sur le papier mais si on applique pas ça dans la
réalité, quel intérêt ? La démarche est donc intéressante car elle repose sur une logique fondée. Mais elle ne démontre pas ce qu'elle suggère. Et sans démonstration, on a rien.
Qui plus est, la méthodologie elle-même fait encore débat dans la communauté scientifique.
Je vous renvoie vers @JeremieNaudeFR avec son petit thread ci-dessous qui vous explique ça rapidement.
Et rassurez-vous, les auteurs eux-mêmes sont totalement conscients que ce type d'analyse n'est pas parfaite et quelle masque énormément de détails pourtant très importants. La méthodologie a beau être limitée, ils ne sont pas dupes. 2 petits screens pour illustrer. ImageImage
Vous tenez jusque là ? On résume donc :
- Le phénotype s'exprime chez un individu par l'addition d'un nombre incalculables de facteurs que l'on sépare grossièrement en génétique VS environnement, inné VS acquis.
- La génétique n'a pas trouvé de "gène" de l'intelligence
ni n'a confirmé biologiquement l'importance de telle ou telle région du génome pour le développement de l'intelligence d'un individu. Elle n'a fait qu'utiliser une méthode probabiliste qui dit : le degré d'intelligence corrèle à 50% avec le génome de l'individu.
Et elle rajoute : Ouais, quand on regarde la carte du génome, ça vient peut-être d'ici et de là. Mais c'est pas sûr.
Et à cette observation je répond : No shit Sherlock. Tout comme je ne m'attends pas à ce qu'un livre s'écrive tout seul sans auteur, je me doutes que le génome, qui va dicter l'architecture du cerveau de l'individu, va impacter sur le résultat final.
Maintenant qu'on a clarifié cela. Passons au menu principal : la vidéo. Jusque là j'étais juste passé de doux à sec. Maintenant on va passer sur brut. ImageImage
"Il y a aujourd'hui un consensus chez les professionnels pour dire que le HPI est en fait inné."
Je ne sais pas ce qu'il en est du caractère HPI en lui-même, mais je viens de passer les 21 derniers tweets à vous expliquer ce qu'il en est du point de vue du critère
"intelligence". Je vous laisse regarder dans la review en détail comme ce critère était définis dans chacun des papiers cités. Quoiqu'il en soit, ma réponse ne change pas : il est évident que l'intelligence est forcément au moins en partie liée au génome.
Mais la proportion Génome/Environnement dans l'établissement de ce trait est encore sujet à débat car la méthodologie est probabiliste et il n'y a pas encore de démonstration biologique de la méthode par laquelle les variations du génome influencent l'intelligence.
"Il y a un facteur génétique qui est primordial ce qui veut dire qu'on l'est dès la naissance" C'est là qu'on va devoir rentrer dans le sous-texte. On est clairement dans le fantasme. Ici, on surf sur cette idée que si c'est dans les gènes, ça va forcément apparaître.
On suggère dans le ton, dans les termes que l’impact de l’inné est fortement majoritaire. Ce qui est faux ou encore sujet à débat.
« Et même si l’environnement évidemment va jouer un rôle prépondérant dans le développement de ce potentiel, on va parler de facteurs épigénétiques, il n’en demeure pas moins que soit on l’est, soit on l’est pas. »
Ok, c’est là que je me fâche. L’EPIGENETIQUE ET L’ENVIRONNEMENT SONT DEUX CHOSES QUI N’ONT RIEN A VOIR. Quand la génétique a progressé, qu’on a pu séquencer, qu’on a compris comment on passait du gène à l’ARNm puis à la protéine, la communauté scientifique qui étudiait la
génétique s’est retrouvé un peu comme des cons en mode : « Merde c’est tout ? On a tout compris ? ». Eh bien heureusement pour eux, non. Ils se sont rendu compte qu’à génome identique, les cellules ne réagissent pourtant pas toutes exactement de la même façon.
Et c’est ainsi que l’idée de l’épigénétique a pu commencer à faire son chemin. Prenez le réseau ferré de France. Y’a des rails et des trains qui roulent dessus tous les jours. Ce sera notre génome.
Maintenant imaginez qu’on prend la France, on en fait une copie avec ce même réseau ferré, les mêmes trains, tout est complètement identique. Et pourtant, les trains qui bougent sur cette deuxième France ne partent pas à la même heure.
Les mêmes lignes ne sont pas forcément utilisées. Le même train n’est pas au même endroit au même moment. Pourquoi ? Parce que la signalisation est différente. C’est ça l’épigénétique.
L’épigénétique, c’est l’ensemble des marqueurs moléculaires qui influencent l’expression du génome. C’est un facteur INTRINSEQUE à la cellule.Par opposition, l’environnement représente tous les facteurs EXTRINSEQUES à la cellule mais qui vont être en mesure de l’influencer.
Donc oui, l’environnement EXTRINSEQUE peut influer sur l’épigénétique INTRINSEQUE de la cellule, mais l’environnement peut agir sur la cellule sans avoir aucun impact sur les marqueurs épigénétiques. LES DEUX N’ONT DONC RIEN A VOIR.
Vous trouvez que je chipote ? Pas du tout. Une bonne partie du crime est ici, dans ce mélange entre environnement et épigénétique. En suggérant que l’environnement et l’épigénétique sont la même chose, on renforce encore dans ce discours la notion selon laquelle la génétique
seule explique l’HPI car le corps du processus serait dans le génome. L’environnement ne ferait qu’influer sur l’expression de ce génome et donc de ce caractère HPI. L’intervenante ici nous fait une sorte de boite de Pandore « C’est ici. C’est forcément là. Dans le génome.
Et si vous ne l’avez pas, bah vous l’aurez jamais. Et si vous l’avez mais que vous êtes pas HPI, bah c’est que votre environnement ne l’a pas ‘activé’. » Vous voyez la dérive ?
Comment on passe de la science qui vous dit « Pour l’instant l’intelligence on considère que c’est construit à 50% par la génétique et à 50% par l’environnement. » à « Nan c’est full génétique, c’est en vous. Mais ouais parfois faut que l’environnement le débloque. »
Et la question suivante est priceless. « Alors on va détecter avec mon test ADN si je suis HPI ? ». Ça revient au même que de dire : « Alors on va détecter avec mon ADN si j’ai les yeux bleus ? ».
Non. Désolé, ça marche pas comme ça, il faudra quand même passer le test classique du HPI. On va vérifier si vous être HPI en… Bah en vérifiant directement si vous l'êtes. Pourquoi se faire chier à regarder votre ADN alors qu’on a apparemment un test qui permet de le vérifier ?
Entre le génome et le phénotype il y a UNE IMMENSE complexité d’évènements biologiques qui se produisent. Une bonne fois pour toute, le phénotype est en partie issue du génotype mais ils ne sont pas égaux ! Le génotype et le phénotype sont 2 choses différentes !
Un exemple : si vous êtes XY, votre génotype indique que vous êtes de sexe masculin. Mais si le signal de différenciation masculine n’est pas envoyé par votre chromosome Y pendant la gestation pour une raison… X ou Y (lol). Alors votre phénotype sera de sexe féminin !
Génotype n’est pas égal à phénotype. Poursuivons. « Je crois que vous voyez bien où je veux en venir. ». Ouais Florence. Je vois exactement où tu veux en venir et ça me répugne.
« Effectivement, c’est la direction qu’on est en train de prendre. Y’a des chercheurs qui cherchent intensément ce gène du HPI ainsi que d’autres caractéristiques de la personnalité. » Ah le mythe du « gène de ». Je l’attendais celui-là.
Les caractères sont issus d’une matrice extrêmement complexe d’expression de gènes et de facteurs environnementaux. Les cas où l’expression d’un gène seul explique 90% de l’apparition d’un phénotype sont RARES.
La majorité des traits exprimés chez un individus sont donc POLYGENIQUES. ARRÊTEZ AVEC VOS « GENES DE ».
« C’est en tout cas intéressant de pouvoir le détecter dès la naissance. » Avec tout mon respect, ne suggérez pas ça. Si on part dans cette direction, les gens n’auront aucune gêne (re-lol) à vouloir le détecter AVANT la naissance.
Vous citez avec justesse la science-fiction et je vous confirme que la science-fiction elle-même nous aura prévenu des dérives d’une telle pratique.
Ce n’est pas pour rien si de nos jours, on autorise le test génétique prénatal que sur un nombre de pathologies très limité.
Parce que le danger de l’eugénisme n’est pas loin. On est à 2min02 et on a déjà atteint le point GATTACA (que je vous conseille de voir bien évidemment). Vous comprenez pourquoi je m’énerve ?
« On a des entreprises qui se positionnent sur ce créneau, qui font des analyses ADN et derrière qui mettent en lien un rapport de personnalité. »
Tiens c’est marrant ça. Mais du coup, ça doit être révolutionnaire pour la médecine non ?
Après tout, on vous propose quand même un rapport « Health », « Nutrigenetics » et « Pharmacogenetics » non ? Ca devrait être intéressant pour mon médecin non ? Lisez donc la suite. Image
Allez hop, paye 299€ ton pdf d’une analyse génétique qui n’a absolument aucune valeur scientifique ou médicale pour toi. Image
Au pire vous vous dites que vous vous êtes amusés pour 299€ ? Attendez c’est pas finis : newscientist.com/article/222982…
Voilà. Non seulement ce rapport ne vous sert à rien. Mais en plus certaines compagnies n’ont aucun problème à vendre vos informations génétiques à d’autres sans votre consentement.
Je ne vais pas m’étendre là-dessus autre qu’avec ce petit message de service : checker votre génome n’est pertinent qu’au titre de votre hérédité, de votre identité ou de votre santé.
Dans le 1er cas ça concerne votre paternité, le 2nd ça concerne la police scientifique et le 3ème votre médecin. En dehors de ces 3 grands axes, checker votre ADN n’a d’autre intérêt que de tirer profit de votre personne. On continue ?
« Et ce qui est incroyable pour nous les RH c’est que Genomelink fait déjà le lien entre ce rapport basé sur l’ADN et la carrière professionnelle. »
On est pile dans GATTACA. Il existe une scène où un RH, sous prétexte d’un test antidrogue, fait passer un test génétique à un
candidat pour vérifier s’il a le « potentiel génétique » d’être un bon employé et cela en dehors de toute question de compétence. Si ce genre de choses se démocratisent, cela signifie que peu importe ce que vous ferez dans votre vie, peu importe votre compétence et votre niveau
d’excellence, votre valeur se résumera à une loterie génétique décidée avant même votre naissance.
Ca vous choque ? Moi aussi. ALORS POURQUOI J’ENTENDS CA SUR BFMbusiness ?
« La biotechnologie fera donc partie des champs de compétence et des outils des DRH ? »
« On peut se dire qu’à l’avenir y’a un moment donné où on donnera une partie de notre génome pour prouver nos compétences, nos prédispositions, nos potentiels y compris en entreprise. »
Bon, maintenant qu’on a fait le tour, est-ce qu’on a droit à une petite ouverture positive ?
« Ca soulève énormément de questions éthiques. »
Ah merci ! Effectivement. On peut les soulever ? Genre. Là ? Maintenant ? On a eu 3min26 de science sans conscience.
On peut avoir un temps équivalent pour traiter de la question éthique ? Non ? Bon bah tant pis. Étant donné que je suis pas spécialiste de l’éthique et que ce thread m’a déjà pris plus de 2h à écrire, je vais me contenter de vous en donnez les grandes lignes des problèmes
éthiques que ça soulève, en vous citant directement la review plus haut. Vous prendrez le temps de noter que l'humanité n'a pas attendu les progrès de la biotechnologie pour se torcher avec l'éthique dans la génétique, notamment sur les questions d'hérédité de l'intelligence. ImageImage
Je me contenterai de rajouter que même si nos découvertes ne sont effectivement pas bonnes ou mauvaises par essence, il reste de notre responsabilité de chercheur de déterminer les mauvaises applications qui peuvent en découler
et donc de déterminer si obtenir la réponse à ces questions vaut vraiment le coup. Ce sera tout pour moi. Je vous prie à tous d'excuser ce coup de gueule mais là, tous les éléments les plus pervers de la question étaient réunis en moins de 4min de vidéo.

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with U-DO Wave

U-DO Wave Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @UDOWave

Oct 5
Bon je vais pas commenter tout le fil, je vais simplement résumer mes réponses et mon avis ici :
1- Je n'ai jamais vu ou entendu un seul journal scientifique faire une publication gratuite pour l'auteur.
2- Parmi les impressions d'écran qu'on trouve dans le fil se trouve un lien
vers cette page : springernature.com/gp/open-resear…
La page présente 2 fichiers Excel présentant les APC (Article Processing Charge) pour tous les journaux Springer, qu'ils soient Open Access uniquement ou hybride.
3- Ma propre bourse de post-doc prévoit un budget annexe qui peut être
utilisé pour payer les frais de publication car on sait tous que publier n'est pas gratuit.
4- J'ai à l'heure actuelle 13 peer-reviews à mon actif pour le même journal. Je ne touche rien pour cette activité à part des bons d'achat pour des livres de biologie.
Read 7 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us on Twitter!

:(