Thread by @HFayet

"C'est une chose de le penser, c'en est une autre de le dire à la télévision": j'explique à @libe @JulienLecot pourquoi l'annonce par Macron d'une non-riposte nucléaire 🇫🇷 en cas de frappe ☢️ en Ukraine ou dans la région agite la communauté stratégique 🧵
liberation.fr/international/…

En France, la dissuasion nucléaire est entièrement une prérogative présidentielle : c'est d'ailleurs pour cela que le PR de la Ve est élu au suffrage universel direct. Macron peut donc dire ce qu'il juge le plus opportun sur le sujet, mais il y a des façons de le faire. [2/11]

L'un des grands raouts de la dissuasion, qui donne lieu à de belles exégèses, est un discours présidentiel qui fixe la doctrine du nouveau mandat. Celui de Macron remonte à février 2020, devant l'Ecole de guerre : elysee.fr/emmanuel-macro… [3/11]

On note qu'il évoque bien des "intérêts vitaux" (comme ses prédécesseurs) et non des "intérêts fondamentaux" (formulation de l'interview de mercredi, qui peut passer pour un oubli ou une maladresse). Mais ils ne sont pas clairement définis : c'est même tout le contraire. [4/11]

Car c'est là que repose le principe de l'ambiguïté de la dissuasion : si votre adversaire ne sait pas précisément quelle action de sa part suscitera une réponse nucléaire de la vôtre, alors il sera dissuadé de frapper (théoriquement). [5/11]

Pour éviter tout incident, des dialogues existent entre Etats dotés de l'arme nucléaire, qui permettent de mieux comprendre les doctrines et "lignes rouges" de chacun. Ce processus est mis en danger par la guerre (ma tribune dans @libe à ce sujet : liberation.fr/idees-et-debat…)

La France n'a donc pas de raisons de communiquer sur ses intérêts vitaux dans un cadre public. S'il était assez évident que l'Ukraine ne rentre a priori pas dans les IV de la France et donc qu'il n'y aurait pas d'engagement nucléaire, c'est autre chose de le dire ainsi. [7/11]

Enfin, la partie la plus problématique concerne la mention "frappe en Ukraine ou dans la région" : que veut-il dire par "région" ? La Géorgie ou la Moldavie ? Voire des membres de l'OTAN et de l'UE comme la Pologne ou les Etats baltes ? [8/11]

Et c'est cette absence de définition qui se heurte à la fameuse "dimension européenne" des intérêts vitaux, présente dans la dissuasion française depuis De Gaulle mais qui ont pris une importance particulière dans le discours de Macron en 2020. [9/11]

Comment ces propos seront-ils reçus par les partenaires polonais, roumain ou baltes, avec lesquels la France essaie de développer des liens et se positionner comme complémentaire (voire une alternative) des États-Unis en cas de désintérêt de Washington pour l'Europe ? [10/11]

Les propos de Macron devront donc être suivis d'actes de réassurance envers ces partenaires afin de ne pas endommager les relations avec ceux qui s'affichent comme les leaders d'une future architecture de sécurité en Europe post-guerre en Ukraine. [11/11]

PS : pour plus d'infos, je vous renvoie (évidemment) vers les commentaires de @BrunoTertrais, notamment dans @Le_Figaro (lefigaro.fr/international/…) ou ses prolifiques threads Twitter. On peut lire aussi l'article de @elise_vincent dans @lemondefr lemonde.fr/international/…