Sébastien Marrec Profile picture
Oct 23 136 tweets 25 min read
Une Ami qui ne nous veut pas que du bien...
Pendant que l'usage du vélo continue de baisser chez les jeunes, #Citroën se frotte les mains. Son modèle de minicitadine sans permis bat des records de ventes. Qu'est-ce que cela vient signifier sur notre rapport à la mobilité ? 🧶⬇️
On savait depuis le fameux texte du philosophe Roland Barthes que l'automobile est un mythe, « une grande création d'époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier » (Mythologies, 1957).
Barthes comparait alors la DS (du même constructeur Citroën !) aux cathédrales gothiques. L'Ami ne tardera pas à s'apparenter quant à elle à l'église néogothique du XIXe au centre du village.
Une église tellement quelconque et sans charme que plus personne ne la regarde ni ne l'admire, mais à laquelle tout le monde s'est habituée. Je m'explique.
Les faits, tout d'abord. Les ventes de voiture sans permis ont augmenté de 27% en 2021. 22 742 véhicules sans permis ont été vendus en France, qui concentre plus de la moitié des ventes en Europe.
Ce n'est pas nouveau : depuis l'antique « voiturette » de Léon Bollée en 1896, la France s'est imposée comme la patrie des voitures sans permis et le premier marché européen en termes de ventes.
Depuis le lancement de l'Ami, il s'en est vendu au total près de 30 000 partout dans le monde, la quasi totalité en Europe.
A titre de comparaison, il s'est vendu moins de Twizy... ces dix dernières années. Cette autre minicitadine, lancée en 2011 par Renault, a gardé des ventes plutôt confidentielles malgré sa médiatisation et son design futuriste.
Autrement dit, Citroën est devenu en quelques mois le second constructeur de voitures sans permis derrière Aixam, une entreprise dont c'est le cœur d'activité depuis les années 1970... et désormais le premier !
L'une des principales raisons réglementaires : en 2014, la loi a fait passer l’âge légal pour passer le permis AM de 16 à 14 ans et rendu possible la conduite de quadricycles légers dès cet âge.
J'ignore dans quelles conditions ce changement s'est produit, mais l'argumentaire des législateurs reposait principalement sur l'opportunité de ces véhicules en matière d'apprentissage de la conduite plus jeune, afin de faciliter le passage du permis B à 18 ans.
On peut faire l'hypothèse que les petits constructeurs de ces véhicules, représentant un secteur non négligeable, ont fait du lobbying afin d'obtenir ce précieux décret, qui permet d'étendre leur clientèle et de répondre aux besoins des personnes ayant perdu leur permis.
L'autre grande raison de ce succès, c'est l'élargissement de l'offre des voitures sans permis, surtout vers des modèles moins coûteux dont l'Ami, sortie en 2020, est l'exemple par excellence.
C'est en effet le véhicule motorisé à 4 roues et doté d'une carrosserie fabriqué en série le moins cher : environ 6500 euros pour l'Ami de base, en comptant le bonus écologique octroyé par l'Etat.
La Citroën Ami a déjoué les pronostics de vente et fait taire les sceptiques. Qu'un constructeur fasse de cette sortie un événement et obtienne de telles ventes a bouleversé le discret marché de la voiture sans permis, aussi appelés dans la réglementation quadricycles légers.
Ringards il y a quelques années, ces véhicules ont été redessinés, perdant leurs lignes grossières pour ressembler à de petites citadines, imitant le style des SUV et des crossovers. Les constructeurs ont dépoussiéré leur gamme et misent maintenant sur l'électrification.
Les plus chères, garnies de bois, de cuir et de chrome, disposent du verrouillage centralisé, de caméras de bord, et bien sûr de l'assistance à la conduite et du Bluetooth.
Même l'Ami, malgré son bas prix et sa forme cubique rudimentaire, a des formes dynamiques et peut être personnalisée avec des stickers ou quelques finitions lui donnant une allure pseudo « sportive ».
Avec une Ami, pas besoin de passer les examens du Code de la route et du permis de conduire, de dépenser en carburant et de payer de lourds frais de réparation. Il faut seulement compter l'assurance, plusieurs centaines d'euros par an.
Le succès de l'Ami n'est pas seulement notable en tant que tel. Il constitue sans doute le tournant majeur vers le développement formidable que le marché des voitures sans permis connaît. Un marché encore émergent qui annonce une concurrence féroce.
Stellantis, la multinationale de l'automobile à laquelle Citroën appartient, duplique l'Ami en la flanquant de ses autres marques en Allemagne et en Italie: on trouve désormais la Rocks-e chez Opel, et bientôt la Topolino chez Fiat.
Intérêt : contourner les réglementations limitant la production de ces modèles pour chaque marque et profiter de leur notoriété dans leurs pays respectifs d'origine. Les prix seront très similaires.
Ce n'est pas tout : Renault réplique à Citroën en sortant la Mobilize, successrice de la Twizy, pas avant fin 2023, et uniquement en location).
Micro Mobility Systems (marque suisse) propose la Microlino Lite, descendante en version électrique de la célèbre BMW Isetta d'après-guerre, sera proposée à la vente. Comptez 15 000 euros tout de même.
Pêle-mêle, on peut aussi citer la Mily de Ligier, premier modèle électrique de ce constructeur historique de voitures sans permis, la City Sport chez Aixam, la Eli Zero, la Silence S04... Il serait fastidieux de toutes les citer.
Depuis 2014, il est donc possible de conduire une voiture sans permis, comme c’était déjà le cas pour les cyclomoteurs. Enfin, il faut un permis AM (pour les personnes nées après 1987), obtenu après une formation rapide et sans examen.
Loin de relever la conduite de tous les véhicules motorisés à 16 ans pour éviter l'utilisation de tels véhicules à un âge trop jeune, comme c'est le cas dans la plupart des pays européens, la France est très permissive en matière d'âge minimum pour la conduite.
C'est un trait caractéristique de la législation française : après-guerre déjà, l'Etat français se singularisait par son laxisme en matière d'usage des cyclomoteurs.
Il suffisait d'avoir 14 ans pour les conduire. Des années 1950 aux années 1970, la France était l'eldorado des constructeurs de deux-roues motorisés légers.
L'essor des voitures sans permis n'est cependant pas un phénomène franco-français : la tendance était déjà marquée dans des pays comme l'Italie ou la Suède.
Aujourd'hui, les parents sont de plus en plus enclins à offrir des voitures sans permis plutôt qu'un scooter ou un vélo, qui représentent plus de risques.
Dans ce papier sur un lycée de La Baule (44), la direction de l'établissement constate : «  Ça se développe, c’est sûr. La rue et le stationnement sont parfois encombrés ! Les parents préfèrent ces véhicules pour la sécurité de leurs enfants ».
ouest-france.fr/pays-de-la-loi…
Cette demande a été parfaitement identifiée à la fois par les constructeurs historiques de voitures sans permis - qui ont revu leurs éléments de sécurité à bord – mais aussi par certains constructeurs traditionnels de véhicules légers et une multitude de nouveaux constructeurs.
Là où la force de frappe de Citroën se manifeste par exemple, c'est qu'une police d'assurance ad hoc a été créé avec un courtier, une première pour la marque. Objectif : assurer les clients de l'Ami au meilleur prix. Il n'existe pas de telles formules pour les VAE afaik.
Pour un vélo, autant vous munir de plusieurs antivols à l'extérieur pour un vélo coûteux, étant donné que les restrictions des assurances sont nombreuses et le pourcentage de vétusté est souvent important. Obtenir une indemnisation peut s'apparenter à un parcours du combattant.
Vous abîmez votre voiture ? Des réparateurs agréés s'occupent de votre Ami, comme pour n'importe quel voiture.
Pour un vélo ? Il vous faut trouver une disponibilité de rendez-vous chez votre vélociste (un capable de prendre en charge votre modèle), attendre la livraison des pièces détachées, patienter pour la réparation et espérer qu'elle tienne la route.
En proposant un véhicule compact, agile et maniable, spacieux pour ses usagers, pas cher (en comparaison d'une Renault Twizy ou de la moindre citadine) et en facilitant la mobilité individuelle, l'Ami incorpore dès l'âge de 14 ans la croyance en la nécessité de l'automobile.
Pour faciliter le bouche-à-oreille et toucher les publics, Citroën a lancé un ingénieux dispositif créant un "effet de club", My Ami Superfan. L'idée : mettre en lien des propriétaires d'Ami et de potentiels clients. 10 % des clients essayent d'abord l'Ami par ce dispositif.
A l'origine, Citroën ne voulait pas seulement toucher des adultes qui n'ont pas ou plus le permis comme les voiturettes à la papa.
Pour le constructeur, l'Ami constitue une ambassadrice des atouts de la micro-mobilité pour toucher des artisans, commerçants et entreprises en milieu urbain qui n'ont pas besoin de transporter de charges importantes.
Avec les nouvelles restrictions de circulations mises en place avec la création et le renforcement de zones à faibles émissions (ZFE) ainsi que la généralisation du 30 km/h dans un nombre croissant de villes...
liberation.fr/economie/trans…
...la voiture sans permis électrique devient une vraie solution pour se déplacer sans contraintes, s'affranchir des interdictions, sans payer le stationnement (au moins pour une certaine durée) et en se garant dans le moindre recoin.
De plus en plus polyvalentes et performantes, les voitures sans permis sont aussi attractives pour des habitants en zone périurbaine ou rurale, qui peuvent l'utiliser même en électrique pour tous les déplacements de moins de 50 km, soit l'écrasante majorité.
Les jeunes adultes, qui ont un rapport de plus en plus neutre et de moins en moins passionnel à l'automobile, sont particulièrement ciblés.
Ainsi, 40% des acheteurs de l'Ami n'habitent pas en ville. Elle permet de répondre aux besoins de certains adultes non détenteurs du permis pour des raisons diverses et variées.
Il faut en moyenne trois mois pour passer son permis de conduire, mais dans certaines préfectures c'est bien davantage. Et le délai été considérablement allongé avec la crise sanitaire.
Le coût du permis de conduire (entre 1500 et 2000 euros en moyenne, à condition de réussir au premier passage) peut aussi représenter un problème insoluble pour des ménages modestes.
C'est l'un des principaux freins au passage de l'examen avant 24 ans, malgré la multiplication de dispositifs de financement mis en place par les pouvoirs publics.
Il n'y a pas de désaffection significative des jeunes par rapport à la voiture. Davantage de personnes entre 18 et 24 ans ne passent pas le permis à cet âge, mais plus tard dans la vie. Hervé Marchal, professeur de sociologie, parle du permis comme d'une "envie sous contraintes".
L'accès à l'achat d'une voiture, dont le coût neuf ou d'occasion est en nette hausse, est aussi de plus en plus retardé. Yoann Demoli estime que « le besoin ou l’envie d’automobile attend sur le bord de la route des conditions plus favorables » pour les jeunes.
En attendant des conditions plus favorables, la voiture sans permis peut être une solution suffisante pour beaucoup, tout en permettant d'avoir accès à moindre coût à sa propre voiture et pourquoi pas, de surcroît, sa propre voiture neuve, électrique et peu chère, comme l'Ami ?
Mais l'Ami est surtout un véritable outil de conquête des adolescents. Gagné : ils s'en entichent. Plus de 40% des conducteurs d'Ami sont mineurs. Une véritable pandami 😆 (désolé)
Le psychologue Jean-Pascal Assailly note que les jeunes voient davantage la voiture « comme un outil, comme une machine à laver ». Citroën a semble-t-il pris la formule au pied de la lettre.
Car l'Ami n'est pas proposée chez les concessionnaires de la marque, où elle peut seulement être réparée. Elle est disponible autopartage dans le réseau Free2Move du Groupe PSA.
Elle peut aussi être louée ou achetée sur Internet et même... dans les magasins Fnac et Darty, où elle est exposée aux côtés des VAE d'entrée de gamme et des trottinettes électriques.
Mais aussi des fours, des lave-linge ou des écrans plats. Or, à part quelques furieux écolos décroissants, qui donc se passe de ces objets ?
Citroën impose ainsi son Ami dans la panoplie banale des produits électroménagers, devenus aussi anodins qu'indispensables les uns que les autres. Anecdote révélatrice : sa commercialisation a commencé à la Fnac et au Darty du quartier des Ternes, à Paris.
L'exposition de l'Ami semble dire aux clients de la Fnac ou de Darty : « Si vous ne vous passez pas de réfrigérateur, même s'il reste quasi vide, et si vous prenez au passage le dernier best-seller par réflexe, pourquoi n'achèteriez vous pas une petite voiture sans prétention ? »
L'Ami se recharge presque aussi facilement qu'un téléphone portable, et coûte mensuellement le prix d'un forfait mobile (après, tout de même, un premier versement de plus de 3000 euros, le prix d'un VAE haut de gamme).
Même s'il s'agit là d'un véhicule, cette stratégie reflète la volonté de présenter l'Ami comme un objet pensé pour le plus vaste public possible et accessible financièrement.
Elle s'inscrit dans la volonté des constructeurs de dissiper les critiques sur les nuisances individuelles et collectives de la voiture et de renouveler l'évidence de la voiture, non plus en tant que véhicule dont l'existence seule justifie son intérêt...
…mais comme un outil majeur de mobilité sans conséquences. C'est pourquoi les constructeurs, depuis des années, ne se présentent plus comme tels mais comme des "solutionneurs de mobilité", des concepteurs de "petits objets de mobilité" à l'écoute des désirs du plus grand nombre.
De vénérable cathédrale gothique, Citroën achève mine de rien de désacraliser la voiture, de la transformer en produit de consommation courante, simple à acheter, visible en tête de gondole dans des magasins très fréquentés et appréciés.
Conformément à cette stratégie, l'Ami dynamite la communication habituelle des nouveaux modèles.
La publicité de lancement de l'Ami maniait habilement l'autodérision en comparant le véhicule à un grille-pain, sur un registre direct et ouvert, fonctionnant à plein chez les collégiens et lycéens.
Un objet plus tendance qu'un grille-pain cependant : une certaine incarnation de l'époque et de ses valeurs. Pour affirmer la "coolitude" du véhicule, Citroën s'est ainsi amusé à sortir une Ami "Buggy" en une série limitée. Les 50 exemplaires se sont vendus en quelques secondes.
En tentant ainsi la synthèse improbable entre voiture sans permis et véhicule tout-terrain, Citroën poursuit une communication qui fait mouche.
De jeunes Youtubers bien briefés par le marketing de Citroën font des vidéos à bord de l'Ami, sous forme de tests et de défis, qui totalisent des millions de vues. Quel ado fait ça pour le vélo utilitaire ?
Sans se prendre au sérieux, les ados usagers de l'Ami sont déjà des automobilistes en conscience, qui font comme les adultes. L'essor de l'Ami peut préfigurer la démocratisation de l'usage de la voiture aux 14-18 ans.
L'Ami leur permet de se penser, de se représenter et de se projeter comme de vrais automobilistes pour le reste de l'existence.
Ces ados n'étaient pas des clients de Citroën. Pour la plupart, leurs parents ne sont probablement pas des clients de Citroën. Mais en prenant le volant d'une Ami, ils garderont à l'âge adulte un lien émotionnel à ce véhicule comme ils peuvent l'avoir pour un ancien téléphone.
Ce lien émotionnel se crée à un moment charnière de la vie remplis de moments marquants et inoubliables. Désormais, il y aura Citroën dans ces souvenirs, leur propre Citroën, leur compagnon de route, littéralement leur ami.
C'est le coup de maître du constructeur. Même en location, ils se l'approprient, leur donnent déjà un petit nom : pas question de ma « voiture sans permis » ou de ma « voiturette », mais bien de « ma Citroën », ma « sans P ».
Aucun hommage ici au regretté dessinateur fasciné par la bicyclette : il s'agit bien du diminutif de « sans permis ».
L'Ami touche aussi bien des lycéens en milieu rural profond que ceux des beaux quartiers des villes, de toutes tailles.
Les médias se font l'écho de cette success story. À Deauville et Trouville-sur-Mer, c'est champagne chez les concessionnaires Citroën. Deauville compte la plus forte densité d'Ami par habitant !
actu.fr/normandie/deau…
Sur la Côte d'Azur, idem : “À Cannes, sur l’année 2021, on en a vendu 157. On en avait vendu 60 en 2020... 90% de nos ventes sont pour des lycéens”, détaille-t-on dans cette concession Citroën de Cannes.
francelive.fr/article/france….
Le succès étonne encore davantage au garage Citroën de La Baule. Il s'en est déjà vendu une vingtaine en six mois. Le garage de Guérande, à quelques kilomètres, sera bientôt agréé pour en commercialiser.
ouest-france.fr/pays-de-la-loi…
Mais si l'Ami peut donner l'impression de rester surtout prisée par la jeunesse dorée, son aura s'est étendue à plus de 45 km/h. Qui dit accroissement des ventes de voitures sans permis dit apparition d'un véritable marché de l'occasion.
Pour l'instant, la demande et les délais de livraison des exemplaires neufs sont tels que le prix des exemplaires d'occasion est... supérieur au neuf.
Si la production s'accélère dans les mois à venir malgré les contraintes d'approvisionnement, un marché de l'occasion accessible se déploiera dans les années à venir.
Malgré les critiques et railleries exprimées par ses contempteurs (notamment sur la clientèle attendue et le design du modèle), des suspensions inexistantes et les innombrables défauts qui ont causé beaucoup de pannes, l'Ami semble exercer un attrait irrésistible.
A mon sens, son succès est symptomatique d'un fait social total qui se renouvelle de génération en génération malgré toutes les évolutions sociétales et l'apparition d'enjeux nouveaux : l'automobile comme symbole de liberté et d’autonomie.
Si les constructeurs n'ont pas ménagé leurs efforts, c'est que l'enjeu est de taille : il s'agit de ne pas détourner les nouvelles générations de la voiture comme objet de possession mais aussi dans son usage quotidien, sous peine de voir la clientèle future se raréfier.
Faire des jeunes de 14 ans des automobilistes enthousiastes, c'est les inciter à considérer ce mode comme durable et cool, et donc à structurer leur futur autour de la voiture.
L'ami incorpore dès l'âge de 14 ans la croyance en la nécessité de l'automobile, en proposant un véhicule compact, agile et maniable, spacieux pour ses usagers, pas cher (en comparaison d'une Renault Twizy ou de la moindre citadine).
L'Ami jouerait ainsi le même rôle que les cyclomoteurs des années 1950 aux années 1970, et plus tard des scooters, préfigurant un énième renouveau de la motorisation de masse.
Même si la voiture leur paraît moins indispensable en permanence, une forte majorité de jeunes considère toujours la voiture comme marqueur d'émancipation.
C'est particulièrement le cas en milieu rural, comme l'a montré l'étude Cetelem sur la fracture automobile de 2020.
observatoirecetelem.com/app/uploads/si…
Les enquêtes le montrent : l'appétence pour les véhicules individuels est beaucoup plus forte. La « génération climat » présentée comme telle à toutes les sauces a en fait toujours envie de conduire, mais elle est davantage freinée par des contraintes financières.
Conduire une voiture demeure un facteur de distinction, de réussite, d’individualisme qui permet de signifier son appartenance à un groupe. Dans une société aussi structurée par la voiture, son usage facilite les rapports sociaux et l'insertion sociale, même à l'adolescence.
Conduire permet aussi d'accomplir un désir de consommation hédoniste. Beaucoup d'adolescents se servent d'ailleurs de leur voiture sans permis pour se balader, se changer les idées, n'importe quand et sans destination précise.
L'Ami répond tout le temps à tous les besoins, même les plus futiles (la satisfaction de s'échapper de l'immobilisme, des limites du domicile parental, du quartier).
Surtout ceux qui ne verront pas forcément l'intérêt de conduire et de posséder une voiture à 18 ans, mais qui peuvent tout à fait en rêver à 14 et dépendent de leurs parents taxis, des bus, des cars et des TER.
Avec l'Ami, les parents n'ont aussi plus besoin de conduire leurs ados à l'arrêt de car, et les quelques minutes de marche éventuelle depuis l'arrêt jusqu'à l'établissement ne sont plus une peine quotidienne.
Ce désir est entretenu par une publicité omniprésente, qui ne connaît pas le moindre début d'encadrement malgré les mises en garde de nombreuses ONG.
L'électrification permet aussi de présenter ces modèles comme des véhicules parfaitement écologiques, et ce en reprenant sans vergogne des mots d'ordre devenus répandus ("mieux avec moins").
Présentée comme un véhicule anticonformiste, l'Ami a ainsi gagné la palme du conformisme. Il s'en vend comme des petits pains (grillés).
Tout laisse à penser qu'on en verra bientôt partout, à destination de tous ceux qui ne peuvent pas s'équiper d'une voiture classique, ou n'en veulent pas, pour toutes sortes de déplacements jusqu'à 50 km. En lieu et place de toutes les alternatives.
theconversation.com/publicite-auto…
Par ailleurs, plus de trois quarts des acheteurs d'Ami sont issus d'une « une famille avec 2 adolescents, multi-motorisés ». L'Ami est en fait la plupart du temps la deuxième, voire la troisième voiture du foyer.
Les parents peuvent à l'occasion s'en emparer pour de petites courses : pas de carburant dépensé, pas de problème de stationnement. Idéal pour aller chercher le pain à quelques centaines de mètres.
Les voitures électriques sont bénéfiques lorsqu'elles viennent se substituer aux voitures thermiques et roulent beaucoup. L'Ami ne se substitue pas à une voiture classique, mais s'ajoute souvent aux autres véhicules du ménage. Elles représente un effet d'aubaine.
Et même si elle les remplace pour certains usages, le bilan carbone n'est pas fameux. L'Ami pèse 482 kg à vide. C'est peu pour une voiture, mais c'est beaucoup plus qu'un VAE (une vingtaine de kilos) ou un scooter 50 cm3 (55 kg en moyenne). Et beaucoup plus de matériaux.
L'Ami ringardise les mal-aimés cars scolaires, adeptes des détours, aux horaires parfois rares et contraignants, vivier de rencontres et d'expériences pas toujours agréables. Sans compter les redoutées microgouttelettes.
Ceux-ci finiraient ainsi par être réservés aux derniers « publics captifs » qui n'ont pas la chance de posséder une voiture sans permis.
Car la possibilité de conduire un véhicule dès 14 ans et la mise sur le marché de véhicules moins coûteux réduit inexorablement ces publics.
L'Ami vient entrer en concurrence avec les vélos à assistance électrique, qui permettent de se déplacer rapidement et en pouvant transporter du chargement (pour les cargos) ou d'être protégés (pour les vélomobiles).
Ambre trouve ainsi que le vélo « en hiver ou quand il pleut, c'est pas pratique » et malgré un « petit accrochage au parking », l'Ami est plus sécurisant que le scooter de son copain.
ouest-france.fr/pays-de-la-loi…
À mon sens, l'Ami poursuit le mythe de la mobilité individuelle sans effort, possédée (au sens où c'est un support d'appropriation et d'expression personnelle, même en location) et possessive (au sens où elle produit un apprentissage de la dépendance).
Jamais un véhicule n'avait autant élargi l'automobilité aux adolescents, alors même que le parc automobile semble près du seuil de saturation et que l'usage de la voiture stagne.
Certains auteurs pressentent même un « peak car », ce plateau qui annonce un déclin à venir. En réalité, malgré les difficultés des ventes le parc automobile continue de s'accroître et atteint environ 41 millions de véhicules selon AAA Data.
Les distances parcourues en voiture continuent de croître continuent par ailleurs de croître.
Sous prétexte que les conducteurs sont moins vulnérables dans une voiture sans permis qu'avec un 2RM léger, ils ne sont pas vus comme un problème, plutôt comme un phénomène intriguant, voire sympathique. Pourtant, là aussi, c'est un véritable problème.
Si le stationnement n'était possible qu'à plusieurs centaines de mètres, mais que l'accès était direct et sécurisé à pied et à vélo, les voitures sans permis perdraient beaucoup de leur attractivité.
Aux Pays-Bas, où 76 % des élèves du secondaire utilisent le vélo pour se rendre à l’école (parcourant 6 kilomètres en moyenne), les abords des établissements sont très apaisés, l'offre de stationnement vélo abondante, l'offre de stationnement voiture limitée.
Des réseaux cyclables complets sont adaptés aux déplacements en groupe. Très peu d'établissements sont aménagés de la sorte en France.
Leurs abords sont généralement constitués de parkings au plus près des accès (parfois plus que les cars!), voire de multiples contre-allées servant de dépose-minute.
La modération de la circulation, encore très limitée en France, se cantonne à quelques écoles maternelles et primaires pour ce qui est des établissements scolaires : ce sont les fameuses « rues scolaires ».
La diffusion de l'Ami s'ajoute à celle des SUV et multiplie la circulation de véhicules motorisés aux abords des collèges et des lycées. Cela augmente le risque d'accidents, et dégrade inévitablement les conditions de circulation des piétons et cyclistes. theconversation.com/les-rues-scola….
Les collectivités laissent faire. Malgré quelques expériences concluantes, très peu de collèges et de lycées en France ne sont pas directement et facilement accessibles en véhicules motorisés.
Alors que les cheminements cyclables et piétons sont eux souvent discontinus, que les pistes larges et sécurisées restent peu nombreuses, et les challenges d'écomobilité pas suffisamment répandus.
Le succès de l'Ami est aussi le reflet de la passivité des pouvoirs publics en ce qui concerne l'encadrement des comportements de déplacements des élèves et de leurs parents.
L'Ami est apparue comme une solution idéale après des décennies qui ont entretenu le cercle vicieux des parents-taxis, condamnés à conduire leur progéniture à leur établissement et à leurs activités extrascolaires, faute notamment de système vélo développé.
Elle est la conséquence d'un désintérêt chronique vis-à-vis de la promotion de la marche et du vélo et révèle côté élèves l'impossibilité réelle, sinon perçue, de pouvoir trouver son autonomie à vélo pour s'échapper de la maison parentale et du collège ou du lycée.
Les « petits légumes » de la banquette arrière décrits par @LCyclable peuvent désormais prendre le volant à moindre coût pour continuer à se transporter sans effort, sous la bénédiction des parents, des dirigeants d'établissements et des décideurs.
J'allais oublier : en achetant une Ami, le client bénéficie d'un bonus écologique de 900 euros. Il n'en coûte plus « que » 6500 euros.
Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le vouloir, l'Etat subventionne à plein régime et sans probablement le vouloir (partons sur ce postulat) la sédentarité des jeunes Français, une désaffection durable vis-à-vis du vélo et des cars scolaires.
Car seuls 31% des mineurs vont à leur établissement à pied et à vélo, et l'importance de la voiture s’est accentuée ces dernières années, notamment avec la crise sanitaire. Collégiens et lycéens perdent en autonomie et leurs activités physiques diminuent. fedecardio.org/presse/les-enf….
Si rien n'est fait, la dépendance automobile (prendre la voiture pour tous ses déplacements, n'importe quel motif et pour toutes les distances) a encore des beaux jours devant lui. C'est l'Ami qui en parle le mieux.
Il se peut aussi que l'Ami soit le véhicule marqueur d'une transition vers des voitures plus classiques mais légères et sobres, voire vers les véhicules intermédiaires, entre vélos et voitures. Vous l'aurez compris : je suis sceptique.
L'avenir nous le dira, selon la formule consacrée, mais pour l'instant ce sont surtout des externalités négatives préoccupantes qui se font jour, et en pagaille.
Fin du 🧶...
...et rendez-vous chez WALL-E d'ici quelques années 🙃
Bonus. @LesPtitsVelos me signale la publication récente du rapport "Encourager et accompagner la mobilité à vélo des collégiens et des lycéens" par l'@ademe avec cette infographie du parcours modèle d'un élève dans un territoire cyclable, avec recommandations et impacts.
Le document est disponible gratuitement ici : librairie.ademe.fr/mobilite-et-tr…
Ce thread, très lu et partagé depuis hier (merci de votre intérêt !), est remanié pour être publié sous forme d'article cette semaine. Si vous trouvez une erreur / une approximation, si vous avez des éléments à me faire connaître, merci de m'envoyer un MP ou un commentaire. Merci

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Sep 17, 2020
Nouvelle enquête nationale mobilités, l'âge du peak car ? Pour la première fois depuis les années 1970, la part modale de la voiture baisse en France, celle du vélo se stabilise (toujours à moins de 3%) et celle de la marche progresse dans les déplacements locaux du quotidien. Image
Les hommes utilisent légèrement moins la voiture (-3 points) et un peu plus la marche (+3 points) qu'en 2008. En ce qui concerne les femmes, la structure des modes de transport est relativement stable en 10 ans : elles se déplacent plus à pied, en TC et beaucoup moins à vélo. Image
La part modale de la voiture chez les 25-34 ans a baissé de 5 points. La part des déplacements en TC progresse de manière significative chez les 18–24 ans (20%, contre 14% en 2008). Ce sont les 45–54 ans qui utilisent le plus la voiture, mais son usage augmente chez les +75 ans.
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Sep 14, 2020
📅 Cyclotournée : je suis invité aux projections-débats du film "Why we cycle" à :
➡️ NIORT, "17/09, 20h, Centre du Guesclin
➡️ ROCHEFORT, 18/09, 19h30, Palais des Congrès
➡️ CAHORS, 19/09, 18h30, Villa Malbec
➡️ CLUNY, 22/09, 20h, Cinéma Les Arts
Plus d'informations pour Rochefort : velopourtousenpaysrochefortais.fr/cine-debat-why…
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