Ce midi j'ai posé le dossier de vol que j'étais en train de traiter, j'ai mis ma robe et comme dans beaucoup de tribunaux de France je suis allée me réunir avec mes collègues pour témoigner de notre chagrin suite au décès de notre collègue Marie.
Je ne la connaissais pas personnellement.
Elle est décrite comme 1 juge qui aimait son métier, qui se donnait du mal, qui y passait énormément de temps, qui renonçait à beaucoup de temps pour elle pour ça, pour que le paquebot justice reste à flots.
Comme tant d'entre nous.
Je ne viendrai pas dire que nos conditions de travail sont à l'origine de ce drame.
Je n'en sais rien.
Une enquête est en cours.
Plusieurs d'entre vous mes touitoui sont venus en DM me dire qu'ils comprenaient notre tristesse à tous, me demander surtout de prendre soin de moi ❤.
J'aime mon métier, avec passion. Il a sans doute fait de moi quelqu'un de meilleur. Je n'aimerais pas en faire 1 autre, pas que j'y montre 1 talent particulier mais parce qu'il a contribué à façonner la meilleure version possible de moi même.
J'y ai tant de souvenirs heureux.
Je sais parce que des gens en galère j'en croise tous les jours, des gens qui peinent à vivre de leur travail, des gens qui font de leur mieux et s'épuisent physiquement et psychiquement, qu'il y a pire et BIEN pire, et je mesure ma chance.
Mais...
Mais comment ne pas repenser à cette collègue que je sentais si tendue, sa voix comme la corde d'un arc prête a se rompre.
Comment ne pas faire le compte silencieux des collègues sur l'épaule desquels j'ai maladroitement posé une main, doucement, pour qu'ils arrêtent de pleurer.
Comment ne pas penser aux suspensions d'audience où je chialais en serrant les dents, trop mal au dos, mais me faire arrêter, et risquer le renvoi de l'audience, ou la faire retomber sur un membre de mon équipe aussi épuisé que moi?..
Comment ne pas penser au nombre de fois où je me suis dit que c'etait pas si mal que les OPJ m'appellent quand je suis au volant parce que, de perm depuis des jours, je piquais du nez et qu'au moins, la sonnerie du téléphone me sortait de cette torpeur.
Les insomnies.
Les coups de flip.
Les conneries de procédure par manque de concentration, d'épuisement.
Les arrêts des collègues pour burn out dont on parle en baissant les yeux. Un juge un proc c'est pas fragile, ça doit pas.
Le greffe? Même combat.
Les weeks end passés a bosser, trop de piles en retard, ce dossier qui a déjà tellement traîné...
Ces semaines à 70h, et le lundi suivant, Sir tu enchaînes sur la correctionnelle? Personne d'autre n'est dispo, oui d'accord.
Je ne fais aucun reproche particulier au gouvernement actuel.
Parce que des collègues qui craquent, la machine qui ne parvient plus à suivre et lâche de partout, c'est pas d'hier, ni d'aujourd'hui.
J'ai commencé sous 1 autre gouvernement, en ai connu de gauche comme de droite...
On a toujours bricolé, on a toujours dû se démultiplier, on a toujours serré les dents, on a toujours vers 23h30 levé discrètement les yeux au ciel, oui monsieur, c'est pas le problème votre divorce dans les faits correctionnels qu'on vous reproche mais le tribunal vous écoute.
Depuis des décennies on bouche les trous avec du chatterton, et comme d'autres fonctions publiques on ralentit le naufrage.
On s'efforce de ne pas penser à la honte, la honte de pas avoir le temps, la honte des délais pour avoir une décision, la honte de l'état de nos taules...
J'ai plus envie de dire a mes enquêteurs non cet acte on le fait pas, trop cher.
Non pas ce dossier, pas assez de chances d'aboutir, pas le temps.
Plus envie de devoir hiérarchiser.
J'ai envie de faire BIEN, j'ai envie d'aller au fond des choses.
Je veux rendre 1 bonne justice.
Je ne veux plus prendre de collègue qui craque dans mes bras.
Je ne veux plus avoir à lui chuchoter que c'est pas grave de craquer, tu veux 1 café?
Je ne veux plus jamais avoir à me recueillir parce qu'on se demande si 1 collègue n'est pas mort d'avoir contribué à rendre justice.
Je ne veux plus entendre cette petite voix, et si un jour c'était moi?..
Ca fait des décennies que ca dure oui, il faut que ça s'arrête.
Envoyez du renfort.
Vite.
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Alors mon petit touitoui, j'ai des questions sur les peines, c'est quoi cette peine, et pis pourquoi la prison se fait pas en prison, pis le sursis c'est une peine de fragile, OK arrêtez tout :
A quoi peut-on être condamné en France ?
On va parler des délits, pour faire simple.
1ère peine possible : l'amende.
Les sousous.
La caillasse.
Elle peut être partiellement ou totalement assortie d'1 sursis, auquel cas on ne paie pas, SAUF si on commet une nouvelle infraction.
Le montant max est fixé par le texte d'incrimination.
Il y a aussi les stages (de citoyenneté; à destinat° des auteurs de violences conjugales; de sensibilisat° aux règles de la sécurité routière; de sensibilisat° aux dangers de l'usage des stup).
Ils sont réalisés aux frais du condamné, doivent être réalisés dans 1 délai contraint.
Je n'ai aucun avis sur les infractions reprochées a Jean Marc Morandini, faute d'accès au dossier.
Par contre cette affaire me rappelle a quel point internet est dangereux pour les enfants, les ados...
On n'imagine pas le nombre de dangers qui se planquent dans les forums,
les tchatts, les réseaux sociaux de toutes sortes...
Combien de prédateurs sexuels qui prennent l'apparence d'un copain du même âge avant que la conversation dérive, ou qui jouent l'adulte rassurant.
Combien de brouteurs avec qui le piège de la sextorsion va se refermer.
Combien d'escrocs en tous genres.
Combien de photos dénudées librement échangées qui vont devenir l'outil de la vengeance, du harcèlement..
J'étais étonnée au début en tant que substitut en charge des mineurs de l'accès possible à une sexualité brutale, sans explications,
Je regarde les émissions, les défilés, les "justice pour Lola"...
Tous les magistrats, tous les enquêteurs, tous les greffiers, tous les avocats ont dans leur esprit, tapis dans un coin, un ou des dossiers qui les a marqués par la particulière barbarie des faits.
Sans avoir à chercher bien loin dans ma mémoire me reviennent des procédures où la gravité des souffrances infligées, ce que je pouvais imaginer de la terreur, de la douleur ressenties par la victime, m'avaient glacé le sang.
Quand on a traité comme moi des années les infractions
commises au préjudice des mineurs on a fort cette sensation de coeur au bord des lèvres, de dégoût, de colère froide devant certains faits.
Puis, on doit dépasser cette impression.
Pour enquêter.
Pour garantir la bonne marche de la procédure.
Pour porter la voix de la société.
J'ai ri de la maladie.
J'ai même ri de la maladie avec mes proches malades, pour ne pas pleurer de crever de trouille de les voir partir.
C'etait pas de bon goût.
J'ai ri de certaines procédures qui m'étaient présentées, et pourtant pour les personnes concernées c'était peut-être l'affaire de leur vie.
J'ai fait des blagues douteuses, avant de monter a l'audience pour les soutenir ces procédures.
J'ai même ri de la mort, et sûrement, ayez pitié de mon âme, j'ai sans doute plaisanté en attendant l'arrivée de l'identité judiciaire sur certaines scènes de décès suspects, avec pourtant l'odeur de la mort plein les narines.
Suspension d'audience, je sors du palais de justice.
Je frissonne dans ma robe en laine mais cette fraîcheur qui pique me fait du bien après l'atmosphère surchauffée & irrespirable de la salle d'audience.
Il est tard, il fait nuit & froid, quelques passants pressent le pas
dans la rue pour regagner la quiétude de leur foyer.
Je réchauffe mes mains sur mon gobelet en plastique, chocolat chaud, trop tard pour le café, & je crains que le sommeil ne tarde déjà à venir quand je rentrerai, dans combien d'heures...
A quelques mètres de moi j'entends Elsa
qui sanglote, entourée par son avocate & la juriste de l'associat° d'aide aux victimes que le parquet a désignée pour la représenter en tant qu'administrateur ad hoc il y a bien longtemps maintenant.
Ses pleurs font mal, mais je ne peux rien faire pour la consoler, j'ai déja fait
Ce matin mon touitoui, je vous remets le portrait du greffier.
Je vous rappelle qu'il n'est pas le secrétaire du magistrat.
Mon greffe ne fait pas mon café, enfin pas plus que je lui fais le sien. Il n'est PAS une petite main de la justice.
Il est, comme les magistrats,
comme les adjoints administratifs, 1 rouage indispensable de cette justice.
Le greffier est PARTOUT, à chacun de vos contacts avec l'institut° judiciaire, tout le temps.
Il ne sert à rien d'avoir 1 juge sans greffier, pour tenir les audiences, pour y convoquer les justiciables,
pour sortir le jugement qui en résulte, pour le notifier.
Au pénal, la même, un parquetier n'est guère plus utile sans greffe, indispensable à la convocation des parties à l'audience pénale, la tenue de cette audience, la rédact° et notificat° des jugements, leur mise à exécut°.