Ceux qui ont fréquenté des militants ont pu constater que c’était souvent le ressentiment qui était le réel motif de leur engagement. Raison pour laquelle on voit beaucoup de sales types défendre des justes causes. La cause permet à leur colère de s’exprimer. 🧶
Ils choisissent une cause pour pouvoir détester tous ceux qui ne la partagent pas. Il y a en eux une haine sans objet, une haine qui se cherche des prétextes, une haine de soi qu’ils reportent sur le monde en politisant leurs angoisses. Ce que Nietzsche a bien décrit :
Ce militant s’engage moins pour défendre des idées que pour trouver des ennemis. Il a besoin d’extérioriser sa violence. Plus la cause qu’il défend est juste, plus sa violence semble légitime.
Il peut insulter, agresser, humilier tout en se trouvant bon et généreux.
« J'ai horreur des gens dont les professions de foi libertaires naissent non point d'une analyse sociologique, mais de failles psychologiques secrètes » écrit Romain Gary. Et il ajoute :
Arthur Koestler, pour avoir lui-même donné à son mal-être des formes idéologiques, est l’un de ceux qui a le mieux décrit ce phénomène.
« l’hypersensibilité à l’injustice sociale et la soif maladive de l’utopie sont des signes de névrose et d’inadaptation » écrit-il,
« ce n’est pas la théorie marxiste par elle-même qui fait les rebelles, mais une disposition psychologique qui rend ces derniers sensibles aux théories révolutionnaires. Celles-ci servent alors de rationalisation à leur conflit personnel. »
Contrairement à l’envie qui peut disparaître quand on obtient ce qu’on désire, le ressentiment ne peut pas être apaisé. C’est un rejet de la réalité qui prend la forme de l’idéalisme. C’est le désire de quelque chose qui n’existe pas.
Incapable de goûter les plaisirs de l’existence, toujours empêché par le ressentiment qui le prive du bonheur, le militant accuse le monde et le dénigre car il n’arrive pas à s’y épanouir. Rien n’est assez bon pour lui.
Comme le laideron fait de la chasteté une vertu, il fait de son fiel un signe de pureté, d’exigence, de supériorité morale. Il méprise tout car il n’arrive à jouir de rien. Il ressemble au renard de la fable 👇
Comme Alceste, il appelle intégrité son impuissance. Il noircit le monde pour se convaincre qu’il est impossible d’y être heureux et saute sur la moindre occasion pour le critiquer. S’indigner est sa façon d’exister. Il ne vit qu’à travers les injustices qu’il dénonce.
D’où sa vigilance inquiète qui le pousse à voir le mal partout, à trouver dans des choses insignifiantes le motif d’un combat. Ce petit «m’as-tu vu sur les barricades ? », comme dit Brassens, a besoin de s’engager pour s’attribuer des brevets de vertu.
Il n’arrive à s’aimer qu’en s’apitoyant sur le sort du monde.
« On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion ! » écrit Beaumarchais.
Il a besoin justifier son existence. Il se croit investi d’une mission. La cause donne un sens à sa vie.
Plus la cause est grande, plus il a le sentiment de son importance. Stephan Zweig qui a connu ce genre d’individu, s’en est vite éloigné 👇
Parce que sa cause donne sens à son existence, le militant ignore les réalités qui invalident son idéologie et attaque ses contradicteurs comme si sa vie était en jeu.
Simon Leys, attaqué par les maoïstes pour avoir révélé la réalité du régime chinois, écrivit 👇
Quand le ressentiment est la source de l’engagement, le militant ne recule devant aucune violence. Sa radicalité est même un objet de fierté. Plus il est extrême, meilleur il pense être. Bourdieu avait raison de se méfier des militants qui gravitaient autour de lui. Il déclarait:
« je pense que ceux que Weber appelait les « intellectuels prolétaroïdes », qui sont des gens très malheureux et très dangereux, ont joué un rôle très important et terriblement funeste dans toutes les violences historiques. »
Paradoxalement, comme l’a pressenti Tocqueville, le sentiment de frustration et d’impuissance croit à mesure que la société devient plus égalitaire. Ce sont les démocraties qui produisent ces militants frustrés👇
On trouve toujours plus beau, plus intelligent, plus drôle que soi. Mais le militant veut atteindre l’égalité absolue, la moindre différence devient insupportable. Il veut coucher l’humanité dans le lit de Procuste. Tocqueville encore👇
L’amour de l’homme en général cache souvent un mépris pour l’homme en particulier. C’est par haine de l’humanité qu’on veut la sauver. L’humaniste est parfois un misanthrope comme le confesse un personnage des Frères Karamazov 👇
J’ai travaillé plusieurs années dans des camps de réfugiés. J’ai vu beaucoup de bénévoles accourir au-devant des migrants non pas pour les secourir, mais pour être secourus, pour être sauvés d’eux-mêmes. Comme la jeune Véra dans le roman « Une nihiliste » qui, désespérée, dit :
« Ma vie personnelle est finie. Je n’attends et ne veux plus rien pour moi-même. Mais mon désir ardent et passionné est d’être utile à la cause. »
Comme dit La Rochefoucauld : « Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent. »
Bref, j’ai toujours été fascinée par les raisons qui motivent l’engagement.
Concluons ce fil trop long avec José d’Ortega y Gasset👇
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
@Hazukashi1 1/6 L’occasion de raconter une petite histoire:
Un jour les citoyens d’Ephèse demandent au philosophe Héraclite son avis sur l’homonoia, c’est-à-dire la concorde politique, l’harmonie dans la cité. Sans dire un mot, Héraclide prend un verre contenant une boisson appelée kukéon.
@Hazukashi1 2/6 Il s’agit d’un breuvage rituel composé d’eau, de farine d’orge, de menthe, de miel. Le nom de la boisson vient du verbe kukao qui veut dire agiter, car il faut agiter la boisson pour mélanger tous les ingrédients. Donc, Héraclite prend le kukéon, l’agite, le boit et s’en va.
@Hazukashi1 3/6 On comprend son geste quand on sait qu’il a dit un jour « même le kukéon se décompose si on ne l’agite pas ». Ce qui en terme politique signifie : sans conflit, c’est la division. Sans mouvement les différents éléments se séparent.
Les libéraux répètent depuis 300 ans que le marché adoucit les mœurs, que le doux commerce a des vertus pacificatrices.
Examinons ce préjugé.🧶
Dans le jeu de l’ultimatum, un individu (A) à qui on a donné une somme d’argent, doit partager cette somme avec un autre individu (B).
Si B refuse le partage que A lui propose, aucun joueur ne reçoit d’argent.
Quelque chose vaut toujours mieux que rien du tout.
Homo Economicus, agent rationnel qui cherche à maximiser ses revenus, devrait donc accepter toutes les offres supérieures à zéro. Et le proposant devrait offrir le minimum. C’est du moins ce que prédit la théorie des jeux (1).
Trump est vulgaire.
Normal, Trump est un doigt d’honneur. Un doigt d’honneur adressé aux élites et à leur injonctions morales, doigt d’honneur d’une Amérique populaire adressé à l’Amérique urbaine du tertiaire.
Plus Trump est grossier, plus il remplit son rôle de bouffon.🧶
Le talent de Trump est d’avoir compris qu’il était une insulte et d’avoir accentué sa grossièreté sans chercher à se policer.
Trump est une provocation.
Trump est le cheval que Caligula voulait nommer consul pour humilier l’élite.
La cause du populisme est peut-être moins la bêtise du peuple que la médiocrité des élites.
C’est en tout cas ce que suggère Michael Sandel (1) en rappelant les multiples échecs de l’élite américaine.👇
Puisque le voile revient encore dans l’actualité, quelques mots pour dire ce qu’il est : un signe communautaire. On ne le porte pas pour plaire à Dieu mais pour plaire aux hommes.
Il signale que la femme qui le porte est placée sous la surveillance de la collectivité.🧶
Dans les cultures islamiques, le statut de la femme est fortement rabaissé ; des hommes s’en prennent régulièrement aux femmes dont la tenue n’est pas, selon eux, suffisamment modeste.
La femme est condamnée à la mort sociale.
Voilée, elle porte son propre deuil.
On devine pourquoi l’homme contrôle le sexualité de sa femme, il veut être sûr que les enfants qu’il élève sont bien le siens ; « qu’est-ce que ça fout que votre fils soit de vous ou pas ? C’était du nationalisme, une obsession comme ça, du patriotisme » écrivait Romain Gary.
Parmi tous les exploits des champions olympiques, il y en a un, et non des moindres, sur lequel je voudrais insister : celui d’avoir fait taire les militants.
Quand les gens se réjouissent, les idéologues font la gueule car la joie n’est pas révolutionnaire.🧶
C’est la raison pour laquelle ils voient souvent d’un mauvais œil les réjouissances populaires qu’ils critiquent avec parfois l’idée un peu complotiste qu’il s’agit d’une manipulation des puissants pour détourner le peuple de ses véritables intérêts (Du pain et des jeux)
Couverts par les cris de joie, on n’entend plus pleurer les professionnels de l’indignation qui n’existent qu’en mobilisant les mécontentements. Du fiel, ils font leur miel.
Le révolutionnaire trouve toujours ceux qui se réjouissent un peu suspects, comme Renaud dans Hexagone :
L’individu est influencé par l’environnement culturel dans lequel il évolue.
Un retour sur l’évolution culturelle pour donc fournir quelques clefs pour comprendre les tensions qui agitent nos sociétés de plus en plus multiculturelles.🧶
On distingue au moins deux systèmes de régulation du comportement, l’un fondée sur le sentiment de honte, l’autre sur le sentiment de culpabilité. Dans les cultures de la honte, le contrôle social est assuré par le groupe, dans les cultures de la culpabilité, il est intériorisé👇
Comme on le voit sur la carte ci-dessous, les cultures de la honte se caractérisent par des liens communautaires forts et des structures de parenté étroites. L’individu se dissout dans le groupe, l'honneur personnel et collectif se confondent, le statut est lié à la réputation👇