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Dec 16 47 tweets 11 min read
Bon, je vous avoue que je commence à en avoir marre de voir ma TL remplie de #detteimmunitaire. Ça fait des semaines que ça dure et voir ce concept repris à toutes les sauces commence à me faire bouillir. Il est temps que je m’en mêle un peu. 1/?
Je ne serai clairement pas celui qui va mettre fin à la chose, mais puisque je suis en vacances maintenant, j’ai enfin un peu de temps pour vous expliquer en quoi ce concept ne tient pas la route. 2/?
Vous êtes prêts ? Partons tous ensemble pour un merveilleux voyage pour comprendre le fonctionnement du système immunitaire (SI). 3/?
Parler du SI c’est littéralement vouloir écrire un bouquin. On va donc se contenter d’aborder la surface et on va parler des choses qui peuvent avoir attrait à la #detteimmunitaire (DI). Ce concept suppose que le SI a besoin d’être « entraîné » et que pour rester performant, 4/?
le SI doit être confronté aux pathogènes en question pour rester efficace et les combattre, tel un muscle qu’il faut entraîner régulièrement. Donc, la DI considère que sans stimulation, le SI deviendrait donc inopérant. 5/?
On va donc s’intéresser non pas à l’immunité innée, qui marche de façon indifférenciée sur un panel large de pathogènes mais regarder directement l’immunité acquise, celle qui développe une réponse spécifique à un pathogène précis. Nous allons parler des Lymphocytes B (LB). 6/?
Les LB sont un type cellulaire central pour le SI. Ce sont eux qui vont créer les anticorps. Les anticorps, aussi appelés Immunoglobulines (Ig), sont des protéines sécrétées par les LB. Ce sont des armes téléguidées. 7/?
Elles sont capables de reconnaître un pathogène et de se fixer dessus. Une fois fixés, elles servent de marqueur aux autres cellules du SI pour dire « IL EST LÀ ! JE L’AI CHOPPÉ ! AH PUTAIN IL SE DÉBAT LE BOUGRE EN PLUS ! ». 8/?
En se fixant sur le pathogène, non seulement l’anticorps sert de balise, mais il entrave le pathogène en réduisant sa capacité à se mouvoir et à interagir avec notre corps. Les LB sont donc comme des lances filets qui vont tenter de piéger les pathogènes. 9/?
Les anticorps sont composés de 2 parties : la partie variable et la partie constante. Il existe différents types de partie constante, mais tous les LB sont capables d’utiliser tous les types de partie constante. Ce sont ces types qui donnent leurs noms aux anticorps. 10/?
Déjà entendu parler des IgM ? IgG ? IgD ? Bah voilà, c’est la partie constante qui les distingue et leur donne leur lettre. Chaque type de partie constante a sa propre fonction, mais cette fonction est liée au SI, à comment il va reconnaître et réagir face à cet anticorps. 11/?
La partie constante n’a pas d’impact sur la reconnaissance du pathogène. Ce n’est donc pas la partie qui nous intéresse. Nous, on s’intéresse à la partie variable. C’est cette partie qui va être en mesure de reconnaître un pathogène. 12/?
Par conséquent, pour comprendre pourquoi la DI n’existe pas, il faut comprendre comment cette partie variable est créée. 13/?
Chaque LB inactif est unique et va créer un anticorps avec une partie variable unique. Lors d’une infection, le SI va devoir trouver un LB avec un anticorps dont la partie variable sera capable de reconnaître le pathogène. 14/?
Quand le bon LB est trouvé, le SI va le stimuler pour l’activer. En l’activant, il va laisser se LB se diviser pour créer une armée de LB identiques qui vont tous créer le même anticorps avec la même partie variable. 15/?
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que la partie variable de l’anticorps est créée AVANT la rencontre avec le pathogène. Cela signifie donc que les LB n’ont pas besoin de rencontrer un pathogène pour disposer d’une partie variable capable de le reconnaître. 16/?
Ça semble contre-intuitif ? On va expliquer tout ça en regardant comment naît un anticorps. 17/?
Un anticorps est une protéine. Par conséquent, un anticorps est codé par un gène. Si la partie variable de chaque anticorps est différente entre chaque LB, cela signifie que chaque LB a un gène différent pour créer cet anticorps si particulier. 18/?
Pourtant, tous les LB d’une même personne partagent le même génome. Comment donc chaque LB, d’un même individu, qui partagent les mêmes gènes, peuvent-ils créer des anticorps différents ? Grâce au système de recombinaison VDJ. 19/?
Dans le génome, nous disposons de multiples gènes dédiés à la création des anticorps. Certains de ces gènes sont regroupés en 3 groupes affectueusement nommés V, D et J. Lors de la maturation du LB, maturation durant laquelle il va déterminer comment sera l’anticorps 20/?
qu’il produira jusqu’à la fin de sa vie, son génome va subir, à l’endroit où se trouvent les gènes VDJ, une recombinaison. C’est-à-dire que seuls une partie de ces gènes vont être récupérés et utilisés pour faire l’anticorps final. 21/?
Ces recombinaisons sont aléatoires. Cela signifie que chaque LB va donc avoir un ensemble de gènes V, D et J différent ce qui fait un grand nombre d’anticorps différents. 22/?
Vous allez alors me dire : « Eh U-DO, ne te fout pas de nous, même avec un grand nombre de gênes, on ne peut pas avoir assez de combinaisons pour recouvrir l’ensemble du vivant. » Eh pourtant. C’est la magie de la recombinaison. 23/?
On estime que chez l’être humain on dispose des gènes VDJ listés sur ce tableau. Un anticorps est constitué de deux chaînes lourdes et deux chaînes légères identiques. Un LB choisis s’il aura une chaîne kappa ou une chaîne lambda pour son anticorps. 24/?
En tout et pour tout on peut donc créer 40*25*6=6000 chaînes lourdes. 40*5 = 200 chaînes kappa. 30*4 = 120 chaînes lambda. 320*6000 = 1,9 millions d’anticorps différents possibles. Ça vous semble beaucoup ? Attendez c’est pas finis. 25/?
En effet, ça ne prend en compte que le nombre d’antigènes que l’on obtient si l’on se contente de sélectionner des gènes et qu’on les met à la suite. Sauf que… Bah on peut très bien les assembler dans un ordre différent en fait. Ça comptera comme un anticorps différent. 26/?
Et mieux encore, comme on est en train de recombiner des gènes, bah ça peut générer des mutations aléatoires en plus, ce qui comptera également comme un anticorps différent. Bilan ? 27/?
On estime que le SI est capable de générer entre 10^15 à 10^18 types d’anticorps différents. Alors bien évidemment, vous n’avez pas assez de LB dans votre corps pour avoir un échantillon de chacun d’entre eux à un moment donné. 28/?
Mais comme vous produisez chaque jour de nouveaux LB, vous avez constamment dans votre corps un certain répertoire d’antigènes reconnaissables par votre SI. 29/?
Si l’on résume les propriétés du système VDJ, que retient-on ?
1 – Il est basé sur la recombinaison génomique des gènes V, D et J de votre génome.
2 – Chaque LB va faire sa propre recombinaison pour créer un anticorps qui lui est propre. 30/?
3 – Cette recombinaison a lieu durant la maturation du LB, avant qu’il ne soit en mesure de rencontrer un quelconque pathogène. La recombinaison est donc complètement indépendante des pathogènes. 31/?
4 – Il n’y a donc pas « d’entraînement » par infection pour aider un LB à reconnaître un pathogène.
Vous l’aurez compris, le SI n’a pas besoin des pathogènes pour trouver des moyens de les reconnaître. 32/?
Le SI dispose d’un système de recombinaison aléatoire qui lui permet de créer de la diversité et il va ensuite confronter cette diversité à tout ce qu’il trouvera dans le corps de son hôte. 33/?
Comment avec tant de combinaisons possibles, les LB ne reconnaissent pas des éléments de notre propre corps ? Parce que les LB subissent durant leur maturation une « sélection négative ». 34/?
Chaque LB qui créé un anticorps qui réagit contre nous va être détruit au cours de la sélection négative. Ne restent alors que les LB qui peuvent reconnaître autre chose qui ne nous appartient pas. 35/?
Dès qu’un LB reconnaît un pathogène auquel son anticorps peut se lier, il s’active et produit une nuée d’anticorps pour l’arrêter. Contrairement à l’adage, il n’a pas besoin de connaître son ennemi, il a simplement besoin de savoir qu’il est étranger. 36/?
(Oui les LB sont racistes. Voilà, c’est dit, mais c’est pas une raison pour les imiter.) 37/?
Le concept de dette immunitaire n’a donc pas de sens car le SI n’a pas besoin des pathogènes pour apprendre à reconnaître le non soi. Il créé un répertoire de choses qu’il va pouvoir reconnaître, supprime de ce répertoire tout ce qui pourrai reconnaître le soi 38/?
et le reste patrouille dans le corps à la recherche de tout ce qui n’est pas du soi. Pas d’entraînement nécessaire donc. 39/?
Dans un monde où la dette immunitaire existerait, un grand nombre d’espèces n’existeraient tout simplement plus car leur système immunitaire aurait été trop lent voir même incapable de résister à tout nouveau pathogène qui se présenterai à eux. 40/?
La dette immunitaire considère que l’on est le plus vulnérable à un pathogène que l’on ne connaît pas et contre lequel on est pas entraîné. Mais les pathogènes évoluent tous à leur rythme, la grippe que vous avez eu l’an dernier n’est pas la même que celle de cette année, 41/
idem pour le rhume ou autre infection bactérienne. Elles sont toutes distinguables par de subtiles différences moléculaires qui les rend « nouvelles » au système immunitaire et qui fait que le SI n’a aucun moyen de « s’entraîner » contre eux. 42/?
Certains me diront alors, mais si on ne peut pas entraîner le SI, comment marche un vaccin ? Un vaccin n’entraîne pas le SI, il l’avertit. Vous vous souvenez quand je vous ai dis que vous ne pouvez pas avoir dans votre corps assez de LB pour générer tous les types 43/?
d’anticorps possibles ? Il y a un turnover. Vous perdez des types d’anticorps à chaque fois qu’un de vos LB meure et vous en faites de nouveaux à chaque nouveau LB que vous faîtes. Le but d’un vaccin est d’activer les LB qui vont reconnaître le pathogène afin que le SI 44/?
les conserve et créé une mémoire immunitaire. En soutenant ces LB et en favorisant leur survie à long terme, le vaccin sert d’avertissement au SI en lui disant : 45/?
« Ce pathogène traîne dans le coin. Ce LB est ta meilleure façon de le reconnaître. Préserve le, tu vas en avoir besoin. ». Le LB étant ainsi déjà prêt, il permettra d’activer une réponse immunitaire plus rapide et plus forte, l’hôte sera donc mieux protégé. 46/?
C’est tout pour moi ! J’espère que ça a été clair et que ça vous aura aidé à comprendre pourquoi le concept de dette immunitaire ne tient pas la route au vu du fonctionnement du SI. Bon week-end et bon Noël à tous o/ 47/47

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Nov 27
Tweet trouvé ce matin en réponse à une news Covid traitant des conséquences de multiples infections. Apparemment il est nécessaire de faire quelques rappels. On va décortiquer ça vite fait.

1 - Personne ne décide des mutations/caractères qu'un virus va générer/développer. twitter.com/i/web/status/1…
L'exemple cité ne correspond qu'au "meilleur scénario adaptatif pour la survie du virus". Penser que CE scénario sera celui qui va sans aucun doute arriver c'est se croire dans une fiction. Le virus peut devenir très mortel et nous tuer tous comme il peut perdre en létalité.
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Read 10 tweets
Oct 7
Bon c'est apparemment l'heure de faire un point #GATTACA. Si vous avez l'habitude de me voir user d'un discours posé, poli et modéré, aujourd'hui on va s'en passer. Ce court extrait représente tout ce qui m'a motivé étant plus jeune à étudier la génétique. Ça va chier.
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Le phénotype, c'est ce que vous observez chez un individu. Blond/brun, yeux verts/bleus, grand/petit, etc... Ici ce sera donc HPI/Pas HPI. Le phénotype est déterminé par grosso modo 2 choses : le génome du porteur et son environnement.
Read 65 tweets
Oct 5
Bon je vais pas commenter tout le fil, je vais simplement résumer mes réponses et mon avis ici :
1- Je n'ai jamais vu ou entendu un seul journal scientifique faire une publication gratuite pour l'auteur.
2- Parmi les impressions d'écran qu'on trouve dans le fil se trouve un lien
vers cette page : springernature.com/gp/open-resear…
La page présente 2 fichiers Excel présentant les APC (Article Processing Charge) pour tous les journaux Springer, qu'ils soient Open Access uniquement ou hybride.
3- Ma propre bourse de post-doc prévoit un budget annexe qui peut être
utilisé pour payer les frais de publication car on sait tous que publier n'est pas gratuit.
4- J'ai à l'heure actuelle 13 peer-reviews à mon actif pour le même journal. Je ne touche rien pour cette activité à part des bons d'achat pour des livres de biologie.
Read 7 tweets

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