Thread by @malopedia

Vous avez vu, l’Espagne va baisser la TVA sur les produits essentiels. Vous savez pourquoi on ne le fait pas en France ? La réponse courte, c’est Macron, comme souvent. Mais le détail du pourquoi est hyper intéressant. Explications :

Les députés demandent chaque année de baisser la TVA sur plein de trucs : protections hygiéniques, bouffe, 1ers litres d’eau, vélos, transports publics, produits issus de circuits courts, locaux, reconditionnés, prestations de réparation, de rénovation des passoires thermiques...

Quasiment à chaque fois, la réponse du gouvernement et du rapporteur général du budget (LREM) est un gros non. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi.
Leur argument c’est : les entreprises ne répercutent pas les baisses de TVA sur les prix aux consommateurs finaux (vous et moi).

D’où vient cet argument ? Il vient du fait qu’il y a eu une baisse de TVA sur la restauration en 2009, et qu’une étude de l’Institut des Politiques Publiques a conclu que cette baisse n’a pas fait baisser les prix de la restauration : les restaurateurs ont empoché la différence.

Et c’est vrai que c’est super convaincant comme argument : si baisser la TVA ne fait pas baisser les prix, à quoi bon baisser la TVA ? Ce serait juste baisser les ressources de l'Etat pour faire des cadeaux aux entreprises, qui captent le surplus...

Mais alors dans ce cas, si ça marche pas, pourquoi l’Espagne le fait ? Sont cons ces espagnols, non ?

Autre question, d’ailleurs : si ça bénéficie aux entreprises, pourquoi est-ce que Macron, qui adore aider les entreprises, ne s’est jamais servi de ce levier pour les aider ?

Bon, évidemment, il y a anguille sous roche.

Le truc, c’est que, en entendant la réponse “ça n'a pas marché sur le secteur de la restauration”, n’importe quel économiste est immédiatement dubitatif : c’est pas parce que c’est démontré dans un secteur que c’est généralisable.

Du coup, est-ce qu’il y a d’autres papiers sur le sujet ? Ben y’en a plein. Qui vont dans tous les sens : certains disent qu’une baisse de TVA se répercute beaucoup sur les prix, d’autres disent que ça se répercute peu.

Parfois, quand ça se répercute peu, dans les années qui suivent, les prix augmentent moins vite que pour les produits qui n’ont pas bénéficié de la baisse de TVA : autrement dit, ça se répercute, mais plus tard.

(Je me suis retenu de vous faire une revue de littérature, mais juste pour prouver que je vous bullshite pas, voici au moins un exemple de papier qui dit que c’est plutôt bien répercuté aux consommateurs)
semanticscholar.org/paper/The-Pass…

D’autres papiers disent que ça dépend de plein de paramètres, comme le nombre de produits concurrents ou… la zone géographique. L’idée étant que dans un magasin en zone montagneuse par exemple, c’est très mal répercuté.

Etrange ? Ben non, hyper naturel pour un économiste : un magasin en zone montagneuse a probablement très peu de concurrence.

Eh oui, parce que dans cette discussion, le critère important, c’est en fait celui-ci : la compétition.

S’il y a de la compétition autour, un magasin va pas trop trop pouvoir se permettre de ne pas répercuter la baisse de TVA, les clients iront ailleurs. Alors que sans compétition, ça sera plus simple de garder les prix élevés. (NB : en vrai, on le sait depuis 1883, #Bertrand)

Si vous vous demandez pourquoi votre coca coûte une fortune en resto d’altitude, c’est sans doute en partie parce que ça coûte plus cher de l’acheminer hein, mais aussi et surtout parce que souvent, vous n’avez pas vraiment d’alternative.

Et du coup oui, c’est pas très surprenant ça n’ait pas bien marché dans la restauration : un resto, ça ne vend pas juste de la nourriture, mais un service, qui comprend certes ça, mais aussi comment elle est cuisinée, le service, le lieu, l’ambiance, la vue, la clientèle, etc

Entre le resto qui a la belle vue ou le bon chef, et celui qui est littéralement à côté, mais qui ne l’a pas, il y a parfois tout un monde. : il y a 200 mètres entre le Fouquet’s, le McDo des Champs Elysées et le jap le plus proche… mais ils ne sont pas vraiment en concurrence.

Pour le dire autrement, en termes plus économiques : la plupart des restos ont une forme de monopole local. Et ça, ça permet assez facilement de s’exonérer de répercuter les baisses de TVA sur les prix.

Mais est-ce qu’on peut en dire autant des patates, ou des protections hygiéniques, du Monop du coin, par rapport aux patates ou aux protections hygiéniques du Carrefour ou du Auchan une rue plus loin ? Probablement pas.

Si on baissait la TVA sur ces produits, ce serait très probablement assez vite répercuté sur les prix (sauf peut-être dans les coins très isolés, si vous avez suivi).

Et vous savez quoi ? La vérité, c’est que les macronistes et le gouvernement savent très bien qu’en fait, baisser la TVA aurait un impact sur les prix. La preuve ?

En 2020, à l’occasion du second budget rectificatif post covid, et alors qu’on commençait à sortir de la pénurie de masques, tous les groupes politiques de l'AN ont commencé à pousser des amendements pour baisser la TVA sur les masques de 20 à 5,5 %...

Au final, l'AN a atterri sur un amendement macroniste, accepté par le gouvernement. Motif évoqué par le rapporteur du budget, et la ministre ? Ça fera baisser le prix de vente des masques. CQFD.

(Parenthèse : s’agissant du cas spécial des transports, s’agissant de ceux qui sont publics, c’est assez vite vu : si c’est public, en fin de chaîne, c’est le législateur qui a le pouvoir de décider des prix.

Et ceux qui sont privés, si on veut baisser leur TVA, on peut tout à fait prévoir un mécanisme du genre “si on constate que la baisse n'est pas répercutée sur les prix, la TVA remontera automatiquement, c’est vous qui voyez”. D’ailleurs, ce mécanisme peut être prévu partout…)

Donc ils savent très bien que si, ça peut se répercuter. Mais ils ne veulent pas baisser cet impôt injuste. Pourquoi injuste ? Parce que plus vous êtes pauvre, plus il va vous faire mal. Explication courte :

Pierre gagne 1000€ par mois et consomme tout : 200€, soit 20% de son revenu, vont servir à payer de la TVA.
Paul gagne 5000€ et en consomme 2000 : 400€, soit 8% de son revenu, vont servir à payer de la TVA.

20% pour l'un, 8% pour l'autre : la TVA est un impôt injuste.

Maintenant la question, c’est pourquoi est-ce que Macron refuse de baisser la TVA sur les produits essentiels, les trucs écolos, etcaetera ?

La raison est simple, à force d’avoir défoncé tous les autres ressources (taxe d’habitation, ISF, impôts des entreprises), l’Etat tient sur la TVA : c’est grosso modo 40% des ressources de l’Etat, 10% de la sécu, 20% des collectivités, et l'essentiel de l’audiovisuel public.

Et entendons-nous bien : Macron sait très bien que la TVA est injuste. Il l’a dit verbatim. Mais il a fait un choix politique : ne pas toucher à un impôt injuste, pour en supprimer d’autres qui étaient plus juste.

(Quand même, cette phrase, waow : « la TVA c'est injuste, donc je n'y touche pas »...)

Pour terminer, un point presque sans rapport : autant je suis pour baisser la TVA pour les produits essentiels... autant il y a un excellent argument pour en conserver un peu : la TVA, ça oblige à déclarer les achats et les ventes, et ça, c'est bien.

Ca veut pas dire qu'il n'y a pas de fraude pour autant hein : l'INSEE a estimé cet été qu'il y avait 20 à 25 milliards de fraude à la TVA. 20 à 25x plus que la fraude aux prestations sociales, qui obnubile la droite et Macron.

insee.fr/fr/statistique…

Bref, maintenant, vous savez. Abonnez vous, c'est exonéré. Pareil pour les dons : ko-fi.com/malauss

Mon petit lait : regarder les macronistes QRT le tweet où je dis que la TVA est injuste, en disant "la TVA c'est l'impôt le plus juste car c'est proportionnel"... puis supprimer quand ils arrivent au tweet avec la vidéo de Macron.