"J'ai sauvé la France avec une solde de colonel, avec les milliards que je vous donne faites-moi une bonne médecine."

Cette phrase attribuée à Charles de Gaulle permet de situer une partie des enjeux de la grève actuelle des médecins libéraux.

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Contrairement à ce que l'on pourrait penser les principaux syndicats de médecins se sont constamment opposés à la sécurité sociale en 1945, aux assurances sociales de 1928-1930 et à toutes forme d'assurance ou de mutuelle auparavant.
Les médecins ne s'opposent pas aux assurances (publiques ou privées) mais au fait de devoir accepter de négocier des contraintes financières et organisationnelles avec elles. C'est le principe de la Charte de la médecine libérale de 1927.
Or, pour qu'assurance santé soit viable il faut un prix négocié qui assure 1) la viabilité financière de l'assureur, 2) un remboursement élevé pour les patients, 3) un revenu acceptable pour les médecins.
Dans leur majorité, les médecins ont toujours refusé des engagements contraignants sur des prix acceptables.
Depuis 1928-1930 les prix sont négociés dans des conventions (c'est encore le cas aujourd'hui ; à l'époque elle sont départementales, aujourd'hui elle est nationale).
Comme les syndicats de médecins refusent de s'engager sur des prix raisonnables, les assurances sociales refusent de s'engager sur les remboursement et les patients... n'ont pas (ou très peu) accès aux soins de ville car c'est trop cher.
Dans quelques départements, les syndicats médicaux signent des conventions. En effet, les médecins libéraux ne sont pas un groupe complètement homogène. Certain voient d'un bon œil que leurs patients soient remboursés car sinon ils seraient trop pauvres pour les consulter.
D'autres médecins de ville s'engagent même dans des centres de santé (municipaux ou mutualistes) et de la médecine salariée. Mais la majorité visible des médecins sont libéraux anti-conventionnistes.
1945 ne change rien à l'affaire. Il n'existe pas de tarif opposable en médecine de ville. Un patient qui consulte ne sait pas combien il va payer mais sait d'avance que sont niveau de remboursement sera faible.
Tout change à partir de 1960. Le gouvernement de Gaulle casse l'opposition syndicale en ouvrant la possibilité pour les médecins exerçant dans un département sans convention de signer une convention individuelle (contre le syndicat local).
Dans ces départements les médecins qui signent une convention permettent à leur patient d'être mieux remboursés et il captent rapidement toute la patientel face aux non conventionnés. Les syndicats commencent à signer des conventions dans tous les départements.
En 1971 est signée la première convention nationale avec un tarif opposable uniforme sur l'ensemble du territoire.
Cependant, l'opposition des médecins à la Sécu reste forte et la convention nationale de 1980 ouvre la possibilité de réaliser des dépassements d'honoraires.
Avec l'autorisation des dépassements d'honoraires les médecins de "secteur 2" gagnent sur les deux tableaux : leurs patients sont remboursés sur la base du secteur 1 (mieux qu'avant 1960) et leur prélèvent en plus un dépassement.
Prenons un exemple. Sur une consultation à 25 € (tarif conventionné secteur 1), 70% sont remboursés par la Sécu. Un médecin en secteur 2 qui demande 40 €, son patient est quand même remboursés 70% de 23€, le reste étant intégralement à sa charge.
La sécu finance le secteur 2.
On voit au passage que les dépassements d'honoraires ce n'est pas une invention récente, au contraire. La liberté tarifaire est une exigence de toujours des médecins. C'est le tarif opposable uniforme sur l'ensemble du territoire qui est l'exception historique (1971-1980).
Quel lien avec aujourd'hui ?
Depuis la convention de 1990 le secteur 2 a été gelé, surtout pour les généralistes qui sont en grande majorité en secteur 1. L'un des enjeux explicite de la grève d'augmenter les rémunération des médecins et de rouvrir le secteur 2. ImageImage
Autrement dit, ces médecins veulent cumuler l'avantage d'un financement par la Sécu et l'application de dépassement d'honoraire. C'est une rupture du pacte de 1960/1971 : financement élevé contre tarif opposable.
Il faut noter que ce "pacte" permet aussi aux médecins de fermer le débat sur une organisation d'un véritable système de soins primaires : régulation des installations, valorisation de la prévention, du salariat, de l'exercice pluriprofessionnel, etc.
Paradoxalement, la médecine dite libérale ne s'est jamais aussi bien portée que depuis qu'elle est conventionnée. En effet, les médecins ne sont plus libéraux (et c'est tant mieux) 👇
La contrepartie était un tarif opposable acceptable.
Aujourd'hui une partie de la médecine libérale ne demande pas à en finir avec la convention (c'est son principal gagne pain !) mais à cumuler tous les avantages !
Les médecins veulent des revalorisations non seulement sans contreparties (sur la liberté d'installation, sur la création centres de santé, sur l'organisation du cabinet, etc.) mais en plus refusant de défendre un tarif opposable acceptable et en le combattant !
Dans quel secteur économique des travailleurs déjà très bien rémunérés (top 5%) exigent-il de nouvelles revalorisations sans aucune contrepartie contraignante et au contraire avec moins de contraintes ?
Pas besoin de défendre la fin de la médecine libérale pour réfléchir à cette phrase :
"J'ai sauvé la France avec une solde de colonel, avec les milliards que je vous donne faites-moi une bonne médecine."

Fin
Quelques références : ImageImageImageImage
Et bien sûr, je parle un peu de tout ça ici 👇 Image

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Dec 28
Cette infographie ne peut pas servir de base pour la discussion de la rémunération des médecins. En fait les modes d’exercice et de rémunération sont très différents entre pays.
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Il existe 3 grands modes de rémunération :
- l’acte, sorte de paiement à la tâche.
- la capitation, la rémunération ne dépend pas du nombre d’acte mais du nombre du patient inscrit au près du médecin/centre de santé.
-salariat, rémunération forfaitaire pour une durée donnée. Image
En France on est sur du paiement à l’acte pour près de 80% du total des rémunérations, le reste étant des forfaits en fonction du type de patient (patient ALD par ex) ou d’indicateurs de productivité (ROSP). On comprend que les médecins se focalisent sur le prix de l’acte.
Read 11 tweets
Dec 27
Fil sur la grève des médecins « libéraux ».
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Si les médecins étaient vraiment libéraux ils se dé-conventionneraient. Ni secteur 1 ni secteur 2, activité avec aucun remboursement de la Sécu.

Et oui ! Même en secteur 2 les médecins sont rémunérés par la sécu !
Tous secteurs confondus, la Sécu rembourse 79,5% des revenus pour les généralistes, et 69,3% pour les spécialistes.
Les dépassements représentent 1,7% des honoraires des généralistes ; 17% des spécialistes.

Tout cela est donc mineur par rapport à ce que finance la Sécu…

Seuls quelques centaines de médecins exerceraient hors convention sur près de 220 000 médecins (salariés et libéraux).
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Oct 31
L'utilisation par Élisabeth Borne du 49-3 pour voter le budget de la Sécu donne lieu à la critique d'une "dérive" autoritaire du gouvernement.

En fait, l'autoritarisme de l’État est une constante depuis 1945 pour réformer la Sécu à sa guise.

Fil👇
Le régime général de sécurité sociale est fondé dans un contexte conflictuel par... des ordonnances (4 et 19 octobre 1945). Le pouvoir de gestion est confié aux intéressés et c'est la CGT qui monte une à une chaque caisse pour leur mise en fonctionnement au second semestre 1946.
L’État veut récupérer le pouvoir sur le régime général en limitant l’influence du mouvement social auto-organisé, en particulier la CGT. En 1949, le député Paul Reynaud exige à l’assemblée que le budget du régime général soit voté au parlement plutôt que géré par les intéressés.
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Sep 26
Puisque tout le monde va se focaliser sur le déficit du régime général de sécurité sociale, regardez ici la première page du projet de loi de financement de la sécurité sociale :
👉les recettes des administrations de sécurité sociale sont supérieures aux dépenses.
Comme le suggère le projet de loi, l'écart entre les deux statistiques provient de la CADES - institution de "gestion" de la dette sociale.

Or, l’État impose régulièrement à la sécu une dette dont elle n'est pas responsable (covid mais aussi subprime) :
lemonde.fr/idees/article/…
Non seulement l'Etat oblige ainsi la sécu à utiliser des cotisations pour financer de la dette plutôt que des prestations mais en plus le remboursement est à marche forcé : rembourser vite quitte à plus d'austérité.
lesechos.fr/economie-franc…
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Jul 23
L’idéologie de la ponction selon Bruno Le Maire et pourquoi elle est fausse.
Un fil 🧵
« Croyez-vous que cette nation […] a besoin de nouvelles taxes, de nouveaux impôts, de nouveaux prélèvements obligatoires ? [...N]on. Une taxe n’a jamais amélioré la vie de nos compatriotes. Nos compatriotes ont besoin d’argent dans leur poche, pas dans les poches de l’État. »
Dans cet extrait Le maire rejoue la thématique de la ponction. Pour lui, une taxe ou une cotisation, c’est une ponction réalisée par l’État sur un acteur économique productif pour l’utiliser de manière improductive et/ou inefficace.
Read 24 tweets
Jul 18
Quitte à « aller plus loin » dans la réforme de l’assurance chômage parce monsieur Macron a besoin de main d’œuvre, pourquoi ne pas revenir au Statut des travailleurs d’Édouard III d’Angleterre de 1349 ?

Fil avec quelques extraits 👇
« voyant le besoin dans lequel se trouvent les maîtres et la grande pénurie de serviteurs, [les travailleurs] ne veulent plus servir à moins qu’ils ne touchent des salaires excessifs et certains préfèrent mendier dans l’oisiveté plutôt que de gagner leur vie en travaillant. »
« Nous […] ordonnons :
Que chaque sujet, homme ou femme, de notre royaume d’Angleterre, […] qui est valide, âgé de moins de 60 ans, qui [est sans resources], sera obligé de servir celui qui l’auras ainsi requis […]. »
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