Thread by @LarrereMathilde

Je ne sais pas si vous connaissez ce dessin de Jules Grandjouan sur les retraites ouvrières. Il date de 1910, mais avouez qu’il a une certaine actualité non ?
si vous voulez en savoir plus, déroulez!

1)Alors que les bourgeois (ainsi que les chiens policiers) prennent part au banquet des retraites, il ne restent qu’un os dans l’assiette des ouvriers qui peinent à gravir l’escalier de l’âge pour en bénéficier. Seul un atteint les 65 ans…

2)Grandjouan dénonce la retraite à 65 ans comme une escroquerie entendue que l’espérance de vie des ouvriers est plus faible, ce qui est toujours le cas de nos jours comme l’atteste ce graphique que vous avez du voir circuler

3) je vous renvoie aussi à cet article
Une retraite pour les morts ?
Ulysse Lojkine
hal.science/hal-03770357/d…

4)La CGT parlait de « retraite pour les morts » en 1910, slogan avec lequel le monde syndical renoue aujourd’hui. Alors, de quoi s’agissait-il ?

5)Qd en 1910 le gouvernement dépose un projet loi sur les retraites, cela pouvait sembler, et cela a semblé à bcp comme une importante avancée. Car il faut voir qu’auparavant, on s’était fort peu préoccupé du sort des vieux travailleurs, des vieilles travailleuses (euphémisme)

6)Pendant longtemps, le sort des personnes âgées sans ressources n’a relevé d’abord que de leurs familles ou, qd elle faisait défaut, de la charité, à l’initiative d’organismes religieux, ou de la solidarité par exemple des corporations pour leurs membres.

7)Le premier à penser à mettre en place une retraite est le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

8)Bon il faut savoir que de nombreux marins partaient avec les bateaux du roi pour se faire pirates. En leur promettant une pension, le ministre du roi espérait les en décourager

9)Il y eu ensuite une retraite pour les danseurs de l’Opéra.

10)Sous la Révolution fr, on commence enfin à penser que les individus ont des droits sociaux, et l’Etat des devoirs sociaux, notamment celui d’assurer aux personnes âgées des secours contre l’indigence, mais sans prendre de décisions durables.

11)Il faut dire que la reconnaissance des droits sociaux fut de courte durée pendant la Révolution (juin 1793-juillet 1794) et que les logiques du libéralisme économique l’emportèrent après Thermidor.

12)L’idée fait cependant son chemin. Progressivement des régimes de retraite ont été mis en place, d’abord pour les agents de l’État dans le souci de fidéliser des personnels, alors peu nombreux notons-le et très qualifiés, donc il fallait les garder ! (un peu comme les marins)

13)Les premiers à en bénéficier dans la première moitié du 19e sc sont les militaires ainsi que les professeurs et instituteurs
Et enfin en 1853 une retraite pour tous les agents de l’État

14)Ces retraites des fonctionnaires étaient versées à partir de 60 ans et après 38 années de services, et un tiers de la pension est reversée à la veuve.

15) Pas mal direz vous ! ça fait rêver… sauf que les retraites étaient tellement faibles les fonctionnaires partaient en retraite plus tard, certains même à 80 ans

16)On pourra noter que cette loi distinguait les "services actifs", considérés pénibles (postes, douanes, forêts, contributions indirectes, tabacs et… les instituteurs !!) qui permettent le départ à 55 ans, et les "services sédentaires", où il faut attendre 60 ans.

17)On pourra donc aussi noter que les instituteurs sont classés dans les services actifs. Les profs ont de fait été traité-es plutôt correctement dans l’histoire de la retraite. Enfin, jusqu’à maintenant

18)D’autres loi suivent, pour des corporations particulières, ainsi la retraite des mineurs (loi 1894 Constitution obligatoire de caisses de retraite pour les mineurs alimentées pour un tiers par l'exploitant et pour deux tiers par les mineurs.)

19)Ou encore la retraite des cheminots de la compagnie d’État (il y avait à l’épq des compagnies privées) (1909) puis des autres compagnies qui durent s'aligner pour ne pas voir partir leurs cheminots.

20)Ces régimes spéciaux s’expliquent donc car ce sont deux professions phares et particulièrement pénibles de la révo industrielle, dans un contexte où la main d’œuvre manquait cruellement, et qu’il fallait bien trouver des moyens de fidéliser une main d’œuvre qualifiée et rare

21)tout ça aussi pour dire qu’il y a tjrs eu des « régimes spéciaux », ce qui était justifié par la pénibilité du métier, alors reconnue, ou pour les fonctionnaires pour compenser des salaires assez faibles et fidéliser le personnel

22)Reste que pour une grande partie des travailleurs, il ne reste, quand elle s’exerce, que la solidarité familiale ; sinon, l’hospice.

23)Certes en 1850, avait été créée une Caisse nationale de retraite ; elle recueillait les versements volontaires des particuliers, et leur servait à partir de 50 ans une rente qui était garantie par l’Etat (à cette époque, la monnaie est stable !).

24)Mais cette caisse intéressera surtout la petite bourgeoisie, les ouvriers n’ayant pas les moyens de cotiser. Après un demi-siècle, elle ne concerne que moins de 10 % des plus de 60 ans, et seulement 3,5 % des ouvriers âgés.

25)Il faut bien voir qu’alors la probabilité d’arriver à l’âge de la retraite était faible, surtout dans les classes populaires. Pénibilité du travail, conditions de vie, insuffisance de l’alimentation et médecine balbutiante =>l’espérance de vie est en deçà de 60 ans

26)tout au long du 19e sc, des députés de gauche, socialistes, avaient proposé des lois pour le droit à la retraite, comme par ex Martin Nadaud et Charles Floquet en 1879. Sans effet.

27)La question des retraites est à nouveau posée début 20e sc, car on a enfin un majorité radicale et socialiste à l’assemblée. Le mouvement ouvrier réclame des retraites dignes. Les débats sont longs et débouchent sur le projet de loi de 1910

28)L’Etat se préoccupe donc pour la première fois aussi clairement du sort des plus âgés. Et le reconnaît comme un droit.
C’est de fait important.

29)Le pb c’était le contenu de la loi…
Ces retraites étaient financées par des cotisations des ouvriers et des patrons (à égalité) (9 fr/ hommes, 6fr/ femmes, 5,4 fr/ moins de 18 ans).

30)Les cotisations étaient confiées à des caisses publiques ou privées, et majorées d'un intérêt fixé par l'Etat, qui s'engageait à verser une rente annuelle de 300 francs à chaque retraité-e âgé de 65 ans, ayant cotisé-e au moins trente ans.

31)C’était donc un système par capitalisation garanti par l’Etat

32) Si on imagine un ouvrier qui cotise 30 ans, il a mis de coté : 3240fr. Arrivé à 65 ans, il touche par an 300 francs
S’il veut toucher tt ce qu’il a mis de coté (les 3240 fr) il faut qu’il vive encore 10 ans après sa retraite, donc jusqu’à 75 ans. Autant dire que c’était rare

33)C’est s’il vit après qu’il touche plus que ce qu’il a cotisé (et pioche dans les cotisations patronales)

34)Par ailleurs la loi ne concernait que les petits salaires et que les carrières complètes. Résultat les femmes risquaient d’être mises à l’écart. On s’en foutait pas mal des femmes de toute façon, puisque la loi ne prévoyait pas de réversion pour les veuves.

35)La CGT se dressa donc contre la loi, qu’elle appelait « la retraite pour les morts », ou l’escroquerie. Retraite pour les morts car seul 5% des ouvriers atteignaient 65 ans, l’âge retenu.

36)Pour la CGT il s’agissait de voler aux ouvriers les cotisations puisqu’ils ne toucheraient pas de retraites pour bcp ! Le système allait surtout permettre à l’état de capitaliser des sommes énormes (160 000 000 fr /an), dont on ne savait ce qu’il ferait

37)À la Chambre, qq socialistes comme Guesde ou Bracke dénoncent dans les mêmes termes le projet de loi

38)Le patronat de son côté hurlait contre la loi, prédisait la faillite…. (et était bien content de la campagne de la CGT, pour une fois)

39) Alors là vous me direz, ouais mais ils proposaient quoi la CGT hein ???

40)ben justement, la CGT avait un autre plan de retraite voté en congrès en 1901. Une retraite donc bcp plus inclusive, avec un départ plus tôt (55 ans), avec réversion 100% pour les veuves et ne reposant pas sur les cotisations ni ouvrières, ni patronales

41)texte du congrès : « Le Congrès décide
1. que toute retraite ouvrière doit être applicable à tous les travailleurs sans distinction de sexe, de nationalité ou de profession ;

42)2. qu’elle ne comporte aucun versement patronal et ouvrier ;
3. que la limite d’âge soit fixée à cinquante cinq ans ;
4. que la retraite soit fixe et égale pour tous ;

43)5. qu’elle permette aux travailleurs de vivre honorablement et non de végéter ;
6. qu’elle soit anticipatrice et totale pour tous les travailleurs invalides

44)qu’en cas de mort du soutien de famille, la veuve ou compagne de ce dernier puisse toucher par anticipation la retraite totale qui était due à son soutien ;

45)8. que la retraite assure immédiatement l’entretien des vieillards et des invalides »

46)Pourquoi la CGT ne voulait pas de cotisations patronales vous demandez-vous peut-être ? car elle pensait que les patrons ne la prélèveraient pas sur leurs profits, mais trouveraient le moyen de la faire supporter aux salariés.

47)Pour la CGT, c’était à l’Etat de prendre en charge le financement des retraites ouvrières
En 1901 elle avait même réfléchi aux solutions pour trouver les budget nécessaire

48)la suppression du budget du culte et son affectation à la Caisse des retraites (budget qui fut de facto supprimé en 1905), la confiscation des biens des congrégations religieuses,

49)l’abolition des armées permanentes, la vente des diamants de la couronne ou la suppression de la présidence de la République.
(c’est utile parfois de regarder les solutions trouvées dans le passé)

50)Elle réclamait donc qu’il y eût un budget des retraites, comme il y avait un budget de la guerre, un budget des Beaux-Arts etc, et que ce budget fût alimenté par l’impôt : ainsi, tout le monde y participerait.

51) Ceux qui à la CGT n’allaient pas aussi loin défendaient a minima en 1910 un système de retraite par répartition et non par capitalisation

52)Cepdt, qq socialistes, et non des moindres, ont défendu la loi en 1910, et je dis non des moindres car Jaurès fut l'un de ses défenseurs

53)Pour lui, il fallait la faire passer, même s’il était tout à fait conscient de ses limites, car c’était une brèche nécessaire dans un système qui auparavant ne reconnaissait aucun droit aux vieux travailleurs

54)En gros il disait que certes ce n’était qu’un pied dans la porte, mais que c’est mieux que de laisser la porte se refermer, et que c’était une bonne base pour ensuite améliorer les choses !

55)Pour lui, plein d’espoir, la loi pourrait ensuite être améliorée, l’âge abaissé (et de fait l’âge fut abaissé un an après le vote à 60 ans), les pensions revalorisées, et il envisageait même une participation des salariés à la gestion des retraites.

56)et, pour pallier les insuffisances d’une retraite POUR les morts, Jaurès proposait d’instaurer une retraite PAR les morts, c’est-à-dire en partie financée par l’imposition des patrimoines et des héritages.

57)La loi passa donc, a une forte majorité avec votes d’une partie des socialistes qui suivirent Jaurès

58)Comme je le disais, l’âge fut abaissé l’année suivante mais en 1912, les cotisations ne furent plus obligatoires… autant dire que nombreux patrons cessèrent de les verser, et pas mal d'ouvriers également (la CGT les encourageait à ne pas cotiser)

59)La guerre arriva là dessus mettant un sacré bordel. Car évidemment les hommes mobilisés ne cotisaient plus (résultat, pour ceux qui choisirent de cotiser au retour du front… leur années de guerre ne furent pas comptées pour la retraite ! sympa non?)

60))Tout était donc à refaire au lendemain de la guerre

si je trouve le temps j'essaierai de faire la suite mais je connais moins bien
à Jeudi dans la rue!
#greve19janvier