Thread by @BenjaminBnt

Je me suis niché en haut de la grande salle Georges Chavanes du #FIBD2023, c'est parti pour un live de la Masterclass de Junji Ito, master of horror extraordinaire.

Un vrai premier jour d'Angoulême, un bon deux degrés, ressenti moins deux. J'ai sacrifié une couche de fringues pour me saper un peu mieux, car moi aussi je détruis les connecteurs logiques. La salle est blindée, j'ai fait le tour du paté de maisons pour rentrer.

Fausto Fasulo est dans la place. Il nous remercie de notre bonne discipline : et oui, auteur japonais important, port du masque général.

Et voici @junjiitofficial, accompagné de @MiyakoSlocombe à la traduction !

"En ce qui concerne ma formation, je suis autodidacte, je ne suis pas allé dans une école de manga (...) j'achetais des revues de mannequins pour étudier l'anatomie humaine."

"J'ai dû commencé à dessiner vers 5-6 ans, juste avant l'école primaire."

"Le premier manga que j'ai lu était de Kazuo Umezu, 'le professeur-momie' (inédit en France)", une histoire de terreur et de transformation en momie en milieu scolaire." Horreur-sensei n'a effectivement jamais dessiné autre-chose que de l'horreur !

Ito vécu une jeunesse prolixe, a rempli une vingtaine de carnets de croquis dans sa prime jeunesse. Hélas, tous jetés par une tante peu compréhensive, désolé.
"C'étaient des ordures qui ne valaient rien" (rire du public)

"Dans mon enfance, on ne pouvait que se procurer des mangas japonais, on ne pouvait pas se procurer des BD. Puis j'ai découvert Creepshow, de Romero" puis ça a été la porte ouverte aux comics. "J'y ai vu des fantômes, de monstres putréfiés, des similitudes avec les nôtres."

Pourquoi le manga d'horreur est-il destiné aux adolescentes ? "Au Japon, il y a eu Tezuka, puis Umezu, qui a proposé en premier des histoires aux mags shoujo, qui ont connu un énorme succès." Et c'est resté. "Je le considère comme mon maître. J'ai voulu faire [la même chose.]"

"Pour moi, c'était naturel. L'horreur plaît aux jeunes filles. J'étais étonné de voir que ce n'était pas la même chose en Occident."

Ses mangas abordent des sujets sociaux, grave, où les personnages sont désespérés. "Ce sont des problèmes qui existaient déjà dans ma jeunesse. J'ai vécu des moments difficiles. Je me sens concerné, et je comprends qu'on puisse être poussé au suicide face à de tels problèmes."

Et articulé au culte de la beauté et de la jeunesse des années 80 ? "Il n'y a pas de critique de ma part. Je trouve normal que les jeunes soient obsédés par la beauté, c'est de l'ordre de l'instinct. "

Dans les histoires d'Ito, la cellule familiale est terrifiante, ou maudite. Pas quelque chose actuellement très à la mode. "Si les parents sont dépendants à leurs enfants, ça peut avoir des conséquences. L'obsession peut se transmettre, et ça mène à des faits divers." 🫣

Pas de vieilles histoires ou de yokais chez Ito ? "Ces histoires de fantômes, c'était, pour moi, le plus prévalent. Étant un enfant tordu (smirk général) je ne voulais pas faire comme tout le monde."

Bouh ! Les horreurs derrière contrastent avec le bonhomme, super humble et chill, qui glisse les habituels "sou desu ne" avec décontraction.

Et pour les yokais, il y avait déjà Mizuki, il ne voulait pas faire redite. Mais ça nous mène à Tomie, qui nous évoque - un peu de loin, quand même - Stephen King et Carrie...

"Tomie, c'est l'oeuvre par laquelle j'ai fait mes débuts. J'étais prothésiste dentaire, je lisais une revue shoujo qui a lancé le prix Umezu. J'ai voulu participer à ce concours. Quand on coupe la queue du lézard, elle repousse (...) c'était la première idée."

Puis Ito a subi la perte d'un ami, une disparition subite et étrange, difficile à comprendre. C'est le second point de départ de l'histoire de Tomie, cette sensation d'enlèvement à tout instant. "J'avais fait une fin qui imaginais une suite" dont acte.

"C'est une femme très belle, au caractère horrible, avec un ego très fort. Je pensais qu'elle ne serait pas aimée des lectrices shoujo". C'est évidemment l'inverse qui s'est produit, il y a d'ailleurs un ou deux cosplays dans la salle. Ci-joint : le personnage.

"Tomie est un personnage à la fois victime et coupable. Je voulais créer un perso jamais-vu, même si on la découpe en morceau, elle se multiplie, et chacune a son égo surdimensionné."
Peu à peu, elle devient une mutante, et ça devient eschatologique, comme souvent avec Ito.

Comment trouve-il ses idées (c'est pas ce qui manque) ?
Pour 'The Long Dream', c'est une histoire racontée par sa soeur. Quand on dort, les rêves ont leur propre temporalité. Mais objectivement, ils se passent en un instant. Et un rêve interminable ? Et tac une idée.

"Pour Les Fruits Sanglants, je me suis attaqué à l'image du vampire, du sang tiré à la nuque. Mais pour se nourrir, on passe par l'agriculture..." et ça donne une histoire de fruits de sang parasites qui passent par la nuque, et grandissent, grandissent...

(Environ toute la salle vient d'entendre que je viens de recevoir un mail. OVH veut que je renouvelle un nom de domaine. Merci tout le monde.)

Une histoire trop horrible pour avoir été publiée ? "Je n'ai jamais vécu de censure pour cette raison. Mais pour des aspects sociaux... j'ai imaginé une histoire avec une rokurokubi, une fille dont le cou s'allonge, elle ne s'en rend pas compte et est terrifiée.

Histoire refusée, car l'éditeur ne "voulait pas mettre en scène un personnage en situation de faiblesse" et d'injustice. (Bizarre, ce n'est pas un motif qui manque dans son oeuvre, mais soit)

Junji Ito confesse être peureux. Mais il est moins animiste que ses récits. Aux fantômes, "je n'y crois pas trop, même si je ne devrais ptet pas le dire. Si j'entendais un bruit dans une vieille maison, je serais rationnel".

Et si vous vous posiez la question, vous vous en doutiez, Ito n'a jamais été effrayé par ses propres dessins.

"Avant mon mariage, mon rythme de travail se décalait au fur et à mesure." Son rythme s'est calmé avec femmes et enfants, où il a adopté un 9/17... tout à fait classique, mais il retourne au taf jusqu'à deux heures du mat après son bain. "Mais je glande beaucoup sur Twitter 🤓."

(En parlant de réseaux sociaux, envie de vous remettre mon LT d'Asano, il y a trois ans, où j'ai lost my religion, ce sera amusant de comparer)

https://twitter.com/BenjaminBnt/status/1223272514341744645

"Tezuka a été le premier à faire un découpage cinématographique dans ses mangas. Je pense que tous s'en inspirent encore. (...) J'apprécie le cinéma-pour Tomie, je me suis inspiré d'Evil Dead, ces femmes aux yeux blancs m'ont fait peur. Suspiria, l'Exorciste, les Diaboliques..."

Voici quel type d'imaginaire peut donner ce corpus !

Le Japon aussi apprécie les légendes urbaines, dont celle de la femme défigurée (et ses ciseaux destinés aux enfants). "Elle pourrait exister. Cette peur s'accompagner d'un petit sentiment d'excitation. On s'amusait, aussi. Cet intérêt pour les choses étranges m'a motivé."

Toshia Nakaoka avait sorti un receuil de photos "fantomatiques", en argentique. "Une grandes sœur me l'a emprunté pour le montrer à ses copines, tout le monde a voulu le voir, il a été déchiré par des garçons. Un triste souvenir. Mais depuis, je n'ose pas aller aux toilettes."

Un peu de cinéma. "Ring a lancé la vogue de la J-Horror, mais un programme télé "histoire terrifiantes ayant eu lieu" a été leur source." Il cite Ju-on, de Shimizu, qui faisait aussi descendre des escaliers à une fille au visage ensanglanté. Une image qui a imprimé.

"Je n'aime pas tracer des lignes droites à la règle. Comme les grandes villes sont remplies de gratte-ciel, c'est un travail que ne j'ai pas envie de faire (...) des maisons à la campagne, où mes histoires se passent souvent. (...) Des cadres étroits pour souligner l'horreur".

Il se rend sur place pour ses récits folk horror ? "J'ai grandi dans une ville entourée de montagnes, aussi une fois adulte. Ces paysages sont gravés dans mon esprit. Je vais sur Internet, mais je ne fais pas de repérages."

Ito n'aime pas dessiner des animaux, et évite de les dessiner. Il va s'inspirer sur Internet. "Mais pour les chats, j'en ai à la maison, je les observe au quotidien, et je le prends en photo pour modèle." Si vous ne le saviez pas, Junji Ito aime les chats.

Spirale, dont on attend l'adaptation Adult Swim, est son récit le plus connu. "J'avais listé toutes sortes de Spirales qui existent autour de nous. J'avais parfois des vertiges en les dessinant."

C'est un bouquin à ne pas manquer, il résume bien son oeuvre.

Va-t-il écrire d'autres aventures de Tomie ? "Un jour, j'aimerais dessiner d'autres de ses aventure. Je veux me creuser la tête pour savoir comment la représenter. Si l'occasion se présente."

"Peut-être peut-elle hanter les réseaux sociaux ??"

"Ah, merci pour cette idée."

Pas de Q&A pour cette fois. À vous les studios.