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Mar 9 25 tweets 8 min read
Il y a trois jours, j’ai partagé cette vidéo en affirmant que la voiture individuelle est « l’objet technologique le plus contre-productif qui soit ». C’est bien sûr une phrase polémique (il y a toujours pire), mais la voiture fait depuis longtemps l’objet de critiques. 1/25
J’emprunte la notion de contre-productivité à Ivan Illich, qui la définit comme suit dans « La convivialité », ouvrage paru en 1973 : « Lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil défini par l’échelle ad hoc, elle se retourne d’abord contre sa fin, … 2/25
puis menace de destruction le corps social tout entier ». Ainsi, « au-delà d’un certain seuil d’intensité, […] le système des transports rapides transforme les citadins en passagers pendant environ un sixième de leur existence ». 3/25
Une enquête de CSA Research réalisée en 2016 confirme ce propos : les Européens passent plus de quatre an de leur vie en voiture. Ce moyen de transport nous permet certes d’aller plus loin, mais il ne nous fait pas forcément gagner plus de temps. 4/25
media.citroen.fr/file/50/9/etud…
Un penseur contemporain d'Illich a analysé ce paradoxe : André Gorz, auteur, en 1973, d’un article fameux intitulé « l’idéologie sociale de la bagnole ». Pour Gorz, les voitures sont comme les châteaux et les villas : des biens de luxe … 5/25
larotative.info/l-ideologie-so…
« Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux. » 6/25
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la voiture individuelle donnait un réel avantage aux bourgeois qui en possédaient une : très minoritaires, ceux-ci pouvaient vraiment aller plus vite et plus loin que les autres. 7/25
Mais « lorsque tout le monde prétend rouler à la vitesse privilégiée des bourgeois, le résultat, c’est que rien ne roule plus, […] que la moyenne, sur les routes de dégagement, en fin de semaine, tombe au-dessous de la vitesse d’un cycliste. » 8/25
Pire, loin d’assurer la liberté, la voiture individuelle crée une « dépendance radicale » : pour l’acheter, l’alimenter, l’entretenir, la réparer, etc., son usager dépend totalement d’un gigantesque système industriel et technologique sur lequel il n’a aucune prise. 9/25
Les gens ont d’ailleurs de moins en moins le choix de ne pas avoir de voiture individuelle. La généralisation de ce moyen de transport ayant eu pour conséquence l’étalement urbain, il faut aller toujours plus loin pour travailler, consommer, vivre. 10/25
L’automobile est donc devenue largement aliénante. Alors qu’elle nous fait souvent perdre du temps, il est devenu très difficile de s’en passer. En outre, elle spolie « les autres usagers de la chaussée (piétons, cyclistes, usagers des trams ou bus) ». 11/25
Au demeurant, quand André Gorz dénonce « l’automobilisme », il ne dit rien de très nouveau. Cette « idéologie sociale » fait l’objet de contestations depuis la fin du XIXe siècle. Comme l’explique l’historien François Jarrige, …. 12/25
« l’adoption de la voiture fut le résultat d’un intense travail de propagande. » Dès 1898, l’Automobile club de France organise dans le jardin des Tuileries la première exposition internationale d’automobiles. Un quotidien influent, « L’Auto », est créé deux ans plus tard. 13/25
Cette « propagande » vise à convaincre la partie de la population rétive à « l’automobilisme ».
Bien avant André Gorz, Léon Bloy s’effrayait de « la folie furieuse de l’automobilisme ». C’était en 1903, au lendemain de la course Paris-Madrid, qui a tué 10 personnes. 14/25
Le risque d’accident est alors le premier motif de plainte. La presse se fait l’écho des inquiétudes des « passants ». Le 18 janvier 1902, par exemple, le journal satirique « L’assiette au beurre » consacre un numéro spécial aux « tueurs de routes ». 15/25
En 1907, le juriste Ambroise Colin fonde la Société protectrice contre les excès de l’automobilisme. Son but est de contraindre les conducteurs à indemniser les victimes d’accidents routiers. Dans les campagnes, on craint les voitures « tueuses de poules ». 16/25
Pour répondre à ces craintes, les autorités légifèrent : en 1893, la législation française fixe la vitesse maximale dans les agglomération à 12 km/h. Dans certaines villes, cette vitesse ne doit pas dépasser celle d’« un homme au pas dans les passages encombrés. » 17/25
Dans le canton suisse des Grisons, l’usage de la voiture individuelle est interdite dès 1900. Cette interdiction est confirmée par 10 votations populaires jusqu’en 1925 (cependant, les ambulances et les camions de pompiers restent autorisés). 18/25
Aux États-Unis, où le modèle de la voiture individuelle s’est imposée bien plus vite qu’en Europe, des protestations similaires ont été formulées. En juin 1922, un monument aux enfants victimes d’accident de voiture est même inauguré à Baltimore, en présence du maire. 19/25
Outre le risque d’accident, les opposants à l’automobilisme refusent l’invasion de la route par les propriétaires de voitures. Dans le camp socialiste, ce refus est même considéré comme « une forme nouvelle de la lutte des classes ». 20/25
Cette formule est utilisée dans le journal « L’Humanité » du 27 novembre 1907, dans un article en soutien à Ambroise Colin. D’après le journaliste, les bourgeois s’accaparent la rue tout en menaçant la sécurité du plus grand nombre. 21/25
Enfin, la voiture est condamnée pour des raisons qu’on qualifierait aujourd’hui d’écologiques. François Jarrige cite à cette égard la plainte d’un habitant de Wiesbaden dans les années 1920 : « le respect et l’amour du genre humain … 22/25
sont incompatibles avec la conduite automobile, qui expose son entourage à la poussière et aux mauvaises odeurs ».
À la lueur de tous ces éléments, il n’est pas absurde de considérer la voiture individuelle comme étant foncièrement contre-productive. 23/25
Ces critiques qui aujourd’hui paraissent radicales étaient majoritaires il y a un siècle. Au fur et à mesure que nos sociétés ont été bouleversées par l’invasion automobile, nous nous sommes habitués à la vitesse sans gain de temps, à la pollution, aux accidents. 24/25
Nous peinons même à imaginer un monde sans automobile, cet objet qui n'a pourtant qu'un peu plus d'un siècle d'existence. Ce défaut de l'imagination est peut-être le signe le plus fort de notre « dépendance radicale » à la civilisation industrielle, véritable cage d'acier. 25/25

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Mar 7
23 décembre 1783, Michel Dusart, maître de forges à Bavay, demande l'autorisation d'établir une platinerie. L'autorisation est accordée car on pense qu'il est nécessaire de lutter contre la concurrence étrangère, mais aussi parce que l'usine emploiera... du charbon de terre ! 1/5 Image
On lit ainsi dans le registre du Conseil d'État : "au moyen de cet usage, on n'a pas à redouter les inconvénients des fourneaux et grosses forges de la même province où il se consomme beaucoup de bois et de charbon de bois." 2/5 Image
Le sieur Dusart doit même "n'employer pour alimenter la dite usine que du charbon de terre et donc se servir d'aucun bois ni charbon de bois, à peine de suppression et démolition de la dite platinerie." Ça ne plaisante pas ! 3/5 Image
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Feb 16
Aujourd'hui, je vais vous expliquer pourquoi je suis en désaccord avec François Hartog quand il affirme que nous vivons sous la « tyrannie de l'instant ». En fait, ce qu'il appelle le présentisme est loin d'être notre seul rapport au temps. 1/25
François Hartog pense que notre expérience du temps (notre « régime d'historicité ») est centrée sur le présent, car nous ne pouvons plus nous fier aux leçons du passé (« passéisme ») ou à une image positive de l'avenir (« futurisme »). 2/25
D'un côté, l'accélération du cours des événements et des changements sociaux nous empêcheraient de prendre appui sur l'histoire : les choses allant trop vite, notre « horizon d'attente » ne peut plus se fonder sur notre « champ d'expérience ». 3/25
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Feb 5
Il y a peu, je publiais un thread sur le grand livre de François Hartog : « Régime d'historicité : présentisme et expérience du temps ». Je voudrais revenir sur ce livre pour développer la notion centrale de l'ouvrage : celle de « présentisme ». 1/25
Pour rappel, un régime d'historicité est une manière de se représenter le passé, le présent et l'avenir. Le présentisme est le régime qui accorde la plus grande importance au présent. Ce serait actuellement « l'ordre dominant du temps ». 2/25
Cette valorisation du présent n'est pas absolument neuve. Comme le rappelle François Hartog, il y a un présentisme antique, qu'on retrouve par exemple chez les épicuriens : La formule « carpe diem », cueille le jour, de Horace, l'illustre parfaitement. 3/25
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Jan 4
« Techno-prophétisme », « sotériologie techno-capitaliste » : ces expressions sont tout à fait appropriées pour parler de la croyance selon laquelle « la science », « la technologie » et le « marché » peuvent nous assurer un futur radieux. 1/20
Une telle croyance n’est pas neuve. Dès 1934, dans « Technique et civilisation », Lewis Mumford écrivait : « la mécanique devint la religion nouvelle et elle donna au monde un nouveau messie : la Machine. » 2/20 Image
Cette « religion » est née au XIXe siècle, siècle de l’industrie et du « Progrès ». Pour ne citer qu'un exemple, on en trouve une trace dans « La houille », un livre du chimiste Gaston Tissandier paru en 1869. 3/20 Image
Read 20 tweets
Dec 28, 2022
Ce thread circule beaucoup, mais visiblement, son auteur ne connaît pas la réalité du métier de professeur. Voyons point par point ce qui ne va pas dans ce texte et profitons-en pour expliquer un peu en quoi consiste ledit métier.
1/25
Comme ma réponse est plus longue que prévue (mais on ne pourra pas dire qu'elle n'est pas argumentée), je vais la décomposer en plusieurs parties (et en deux volets).

I. UNE IGNORANCE DU MÉTIER D'ENSEIGNANT

2/25
Pour l'auteur, donc, « le plus gros problème, c'est que chaque prof fasse son cours […] Il doit vaguement suivre le programme mais c'est SA tambouille. » Première erreur : dans le secondaire, les enseignants ne suivent pas « vaguement le programme ».

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Dec 24, 2022
Merci à @Patchwork_vid pour cette vidéo. En effet, on ne peut définir la gauche comme étant seulement le camp du mouvement. Cette définition n'est pas nulle, mais elle doit être raffinée, et pour ce faire référons-nous à un géant oublié : Thibaudet. 1/25
Albert Thibaudet (1874-1936) n'est malheureusement plus lu aujourd'hui. Critique littéraire, cet ancien élève de Bergson a une œuvre importante : outre ses articles pour la Nouvelle Revue Française, on lui doit des études sur Ronsard, Mallarmé, Flaubert, Valéry … 2/25
Mais Thibaudet n'était pas seulement un critique reconnu : il s'est aussi intéressé de très près à l'histoire des idées politiques (selon René Rémond, le grand historien des droites en France, il en serait même le fondateur). 3/25
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