Thread by @megaflemmedsl

Ce thread est malheureusement faux et témoigne d'un fait simple : la gauche, par son focus sur le travail, a au moins dix ans de retard sur la question des minimas.

Je m'explique ci-dessous

https://twitter.com/Frustration_web/status/1651582806860939265

Le premier point important à noter est que cette mesure est avant tout une mesure de finance publique, c'est-à-dire une mesure visant à donner un moyen légal à l'État pour suspendre le RSA à ses bénéficiaires, et donc économiser en prestations sociales.

C'est dans les textes déjà une possibilité, qui est très difficile à mettre en oeuvre en pratique. Le RSA est déjà contractualisé via le contrat d'engagement réciproque. En théorie, le non-respect d'engagements de la part du bénéficiaire peut mener à une suspension du RSA.

Dans la pratique, il est difficile d'avoir un critère clair et simple permettant de suspendre le RSA, du fait de la difficulté de quantifier de et mesurer ce qui correspond à l'activité. Cette mesure apporte un critère clair, quantifié, mesurable.

Elle permet donc avant tout de mieux surveiller et sanctionner les bénéficiaires du RSA. Il ne faut pas oublier cet objectif premier de cette mesure, qui est camouflé derrière un discours travailliste à destination des classes moyennes sur la topique classique des "assistés".

Qui plus est, ne soyons pas dupe : il n'y a pas 160 000 000 d'heures de travail à pourvoir. Le but est *vraiment* de fliquer les pauvres pour mieux les sanctionner en leur retirant ou diminuant leur RSA.

Le deuxième point à noter est que le travail "gratuit" (en réalité : soldé) dont le thread parle initialement existe déjà dans certains secteurs. Je vais prendre l'exemple que je connais le mieux : celui de l'aide à la personne, c'est-à-dire grosso merdo "du care" ou "du soin".

Vous n'êtes pas sans savoir que le soin, du point de vue capitaliste, n'est pas une activité (directement) productive. Grosso merdo, ça produit pas ou peu de plus-value. Rassurez vous, c'est le seul point un peu théorique de mon thread.

Dans la pratique, qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'employer des gens dans les secteurs du soin, notamment aux plus bas échelons (auxiliaire de vie, puéricultrice, aide-soignante, AESH, etc) ne rapporte pas ou peu de sous.

Dès lors, il devient intéressant de solder le travail dans ces secteurs. Les dispositifs d'insertion visant les chomeurs de longue durée, dont mais pas seulement ceux visant les bénéficiaires du RSA, sont un moyen très efficace pour y arriver.

Pour simplement donner un exemple, il existe de nombreuses formations financées par l'État ou les collectivités publiques qui s'adressent aux chomeurs de longue durée visant à les faire entrer dans ces secteurs.

Leur travail est soldé à différents niveaux : d'une part, il est soldé pendant leur formation, où ils sont amenés à effectuer des stages qui ressemblent davantage à de la dissimulation de poste qu'à de la formation, leurs minimas sociaux étant maintenus pendant cette période.

D'une autre part, il est soldé par le manque de moyen investis dans les secteurs de "care", notamment sur les postes les plus bas dans l'échelle des salaires. Le manque de personnel chronique fait qu'une auxiliaire de vie doit s'occuper de 2 fois plus de pers. qu'il y a 10 ans.

Il s'agit donc, dans certains secteurs uniquement, majoritairement improductifs, d'un moyen de résorber deux crises en une, et dans notre exemple de résoudre la crise du care en même temps que celle du chômage de masse.

Pour résumer ce deuxième point : cette mesure du conditionnement du RSA va sans douter être utilisée pour accentuer cette réponse à la crise du care (càd l'augmentation des besoins de soins).

Dernier point étant lié au premier. Cette mesure du conditionnement du RSA à de l'activité ne vise pas à "créer un salaire en dessous du SMIC" : ça existe déjà via des dispositifs extrêmement avantageux pour les employeurs (apprentissage, contrat de professionnalisation).

Les salaires en dessous du SMIC, c'est la norme dans l'insertion et dans le retour à l'emploi. Le but de la mesure n'est pas de faire concurrence aux gens insérés dans l'emploi, au contraire.

L'objectif est, en se permettant de réduire les coûts des prestations sociales et en amortissant les coûts faramineux du soin de ne pas augmenter la taxation du travail, via cotisations ou imposition directe.

Autrement dit : c'est déshabiller les pauvres pour essayer d'habiller ceux qui sont en passe de le devenir (les gens au SMIC, notamment les familles monoparentales), mais surtout de maintenir la classe moyenne salariée et insérée la tête hors de l'eau.

Il faut s'intéresser aux réformes des minimas sociaux sur ces 20 dernières années. De l'émergence de l'apprentissage à la contractualisation des prestations sociales, en passant par l'invention de catégories spécifiques (CLD, NEET, etc).

Il est vraiment urgent que la gauche se forme sur ces questions pour ne pas tomber, comme ce thread, dans une critique qui passe à côté des réels enjeux de cette réforme en y voyant une attaque des classes moyennes et de leur salaire alors que ça ne les vise pas directement.

btw je dis "sur le travail" dans le premier tweet, mais je devrais dire "sur le SMIC" ou "sur les salaires" ou "sur le droit du travail".