Thread by @Laelia_Ve

Petit fil rhétorique! Sur un élément qui peut vous faire rater votre défense : l'usage de la négation.
Pourquoi il vaut mieux, en rhétorique, éviter les formes comme "Je n'ai pas menti", "Je ne suis pas un escroc" ou encore "Cette décision n'est pas politique"😉#CEstEncoreNous
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Mettons que vous êtes accusé·e de quelque chose et que vous voulez vous défendre. Vous aurez peut-être tendance à employer la forme négative, à dire «je n'ai pas fait ça » (ça se décline : « je n’ai pas menti aux Français » « je n’ai pas fait de fraude fiscale », etc...)

Exemple historique célèbre, l’ancien président des Etats Unis, Nixon qui avait dit : « je ne suis pas un escroc » ("I am not a crook") (je vais revenir sur cet exemple)

Si vous l’employez, cette forme négative peut se retourner contre vous. Quand Nixon a dit "I am not a crook" (en plein scandale du Watergate, en 1974) : la phrase a eu l’effet inverse : après son discours, de plus en plus de gens l’ont associé au mot « crook » (escroc).

Exemple d’actualité avec Adèle Van Reeth: elle a voulu balayer la question politique en déclarant, à propos de la fin de la quotidienne #CEstEcoreNous (à laquelle je participe, normalement vous le savez! ^^) "Cette décision n'est pas politique"... mediateur.radiofrance.com/chaines/france…

Résultat, pas mal de monde ironise sur cette réponse, retient l'idée que c'est bien politique (cf ce tweet du Gorafi). En tout cas, le débat tourne autour du caractère politique ou non de la décision

https://twitter.com/le_gorafi/status/1657083971551764480

Comment peut-on expliquer cet effet paradoxale de la négation ? Comme le dit la chercheuse Francisca Snoeck Henkemans (à la suite d’autres linguistes qui ont analysé cette forme) « la dénégation présuppose que l’auditeur croire ou soit susceptible de croire ce qui est nié ».

C’est ça la négation polémique : elle est polyphonique (= plusieurs voix), elle contient plusieurs discours, le discours que l’on tient et celui qu’on cherche à nier. Le danger rhétorique potentiel est donc que vous répétez le discours que vous cherchez à effacer (en niant)

Si vous dites « je ne suis pas un escroc » ou « cette décision n’est pas politique » vous présupposez que l’autre pense que vous êtes un escroc ou que l’autre pense que cette décision est politique, et donc, même si vous niez, vous entérinez la possibilité de penser ça.

*paradoxal (pardon)

D’un point de vue rhétorique, c’est possible de rebondir, mais compliqué,parce que vous avez vous-même attiré l’attention sur ce que vous avez déclaré faux! Vous pouvez être confronté·e au fait que, quoi que vous disiez après, votre auditoire va rester bloqué·e sur cet élément...

Si vous rentrez de soirée à l’aube et vous dites à votre moitié « c’était une super soirée, mais je ne t’ai pas trompé », l’autre va forcément dire « Pourquoi tu me dis ça ? Pourquoi t’as besoin de me le préciser ? ça veut dire que je suis censé penser que tu m’as trompé ?" 😬

Imaginez, vous allez dîner chez quelqu’un qui apporte l’entrée et dit : "je n’ai pas mis de vinaigrette dans la salade mais ce n'est pas politique". C’est bizarre, vous allez vous dire que vous êtes censé·e supposer qu’il y a un lien entre vinaigrette et politique(et le chercher)

Attention, la négation polémique n’est pas forcément révélatrice d’une vérité cachée. Si je dis « je ne suis pas malhonnête », ça ne veut pas dire forcément que je mens et que je suis malhonnête, mais que je pense que l’autre peut le penser.

C’est ce qu’on appelle l’intersubjectivité en linguistique : on croit s’adresser à l’autre comme il/elle est, mais en réalité, on s’adresse à l’autre comme on imagine qu’il ou elle pense, on s’adapte en permanence.

Bien sûr, le contexte joue. La négation polémique a un effet dévastateur rhétoriquement quand il y a convergence (du contexte/ de ce que le public pense déjà vraiment/ de ce que le locuteur ou la locutrice dit).

Comme me le disait @MarCandea (je reprends des éléments de notre discussion autour de la négation polémique) il y a "convergence des attentes": pour Nixon les gens le pensaient déjà/ il le pose et le formule lui-même/ très difficile d'inverser après

Idem pour le "Ce n'est pas politique": Van Reeth n'a bien sûr pas sorti ça seule, elle répond à des accusations, mais il faut avoir du lourd rhétoriquement pour retourner une base commune qu'elle a re-posé elle-même

(or le suite du communiqué est quand même surtout super vague, du coup il n'y a pas vraiment d'autres raisons qu'on retient... on reste sur celle-ci, même si elle est niée). mediateur.radiofrance.com/chaines/france…

J'insiste: ce n'est pas parce que vous niez un élément que cela révèle qu'en fait, cet élément est vrai (ce serait trop facile). C'est une réaction normale, quand on vous accuse (ou quand vous pensez être accusé·e) de le reprendre sous forme négative mais c'est dangereux

D’un point de vue rhétorique (ou si vous avez un bon service comm) si vous voulez convaincre quelqu’un, plutôt que de vous défendre en répondant à ce qu’il dit (ou à ce que vous pensez qu’il dit), il vaut toujours mieux essayer d’apporter un autre propos (plutôt que de nier)

Ce n'est pas nouveau hein 😁

En tout cas, attention à la négation polémique: plus vous niez, moins on risque de vous croire! Cf Francisca Snoeck Henkemans: "Nier que l’on va réaliser un certain acte de langage focalise l’attention de l’auditoire sur le fait qu’on aurait pu ou qu’on aurait souhaité le faire"