Quelques éléments "à chaud" sur l'explosion qui a emporté le barrage de Nova Kakhovka (avec quelques corrections par rapport au premier fil). 1/
Rappel : le barrage était situé sur le fleuve Dnipro/Dniepr, en amont de Kherson. Le barrage (1) se doublait d'une centrale hydroélectrique et d'un pont routier. Très proche (2) se situe l’adduction du canal qui alimente la Crimée en eau... 2/
Le barrage (1) retenait les eaux du Dnipro pour former un vaste réservoir, qui participait notamment à la régulation de la hauteur d'eau pour la centrale nucléaire d'Energodar/Zaporijia (2). En aval, le fleuve était moins large et son delta, vaste zone humide, séchait en été. 3/
Sur les positions des uns et des autres et la topographie de la zone, je vous renvoie à mon fil de novembre :
Ce qu'on peut dire : - Un barrage moderne est un gros ouvrage de génie civil. Il ne saute pas par accident. Il faut une quantité très importante d'explosifs, bien placés. Mea culpa, la vidéo que j'avais posté datait de la destruction du pont routier en novembre... /4
On peut donc exclure d'emblée l'obus tombé par hasard. On est donc très probablement dans le dynamitage intentionnel, prémédité. A ce stade, il est possible que "seules" les vannes aient sauté, ce qui suppose quand même de bien préparer l'action. 5/
Pour savoir "qui a fait le coup", on peut s'interroger sur les conséquences immédiates et à plus long terme, pour les civils, les militaires et la conduite de la guerre. 6/
1) Les terres en aval vont être inondées. Kherson va être en partie évacuée. J'imagine que les autorités locales avaient prévu ce cas de figure, mais il pourrait y avoir des pertes humaines par noyade ou accident. Les dégâts sur les infras civiles s'ajouteront aux autres... 7/
(Même si Kherson est sur la rive la plus élevée, certains quartiers sont tout à fait inondables, même si, proches du fleuve, ils étaient sans doute presque uniquement occupés par les militaires ukrainiens). /7.5
2) Ensuite, viendront les problèmes sanitaires en zone inondée. Pour mémoire, dans les régions en tension sur le plan médical, le gros des pertes civiles est causé par l'insalubrité et les maladies qui viennent (surtout en saison chaude) avec l'inondation (typhus, dysenterie...8/
Là encore, ils concerneront essentiellement les populations proches du delta...
3) Militairement, la zone en aval devient impraticable. Alors que les basses terres humides pouvaient sécher en été et être propices à une offensive ukrainienne vers la Crimée, c'est maintenant inenvisageable. Cela limite fortement les options ukrainiennes dans la zone. 9/
4) En outre, le pont de Nova Khakovka, s'il avait été réparé, pouvait devenir un axe logistique majeur en cas d'offensive. Poser un pont à cet endroit devient difficile sans réparer le barrage, à tout le moins tant que le débit est ce qu'il est. 10/
5) En amont, les eaux du Dnipro vont baisser, assez rapidement. Il est possible que certains points soient en revanche plus favorables pour une traversée, mais j'en doute quand même un peu, le fleuve restant très large... 11/
Ainsi il mesure plus de 3800 mètres au point étroit en amont, à hauteur de Vasylivka. Même avec moitié moins d'eau, cela reste impraticable pour autre chose que des raids de commandos. 12/
Bien entendu, tout ça va compliquer la remise en route éventuelle de la ventrale nucléaire d'Energodar, qui représentait avant guerre 6000MW de puissance installée et 23% de la production électrique de l'Ukraine... 13/
Pas de gros risque sur le plan de la sûreté : les tranches sont en arrêt chaud/froid et les besoins en eau sont peu élevés pour assurer le refroidissement résiduel du combustible dans les cœurs et au stockage. 14/
Seul impact "négatif" pour les Russes : l'adduction d'eau vers la Crimée pourrait être un peu moins forte. C'est une possibilité, une hypothèse que je n'ai pas vérifié. Je ne sais pas si ça peut "couper l'eau" à la Crimée ou juste "réduire le débit". 15/
Voilà donc pour ce qui est de l'attribution, si on pratique le "Cui bono", à qui est-ce que cela profite ? La réponde est clairement "principalement à la Russie". Je ne vois presque rien de près ou de loin qui profite à l'Ukraine dans l'affaire... 16/
encore une infrastructure détruite,
encore un outil de production électrique à terre, encore un sujet qui paralyse Zaporijiia,
encore des souffrances pour les civils ukrainiens, une limitation des options offensives et logistiques ukrainiennes. 17/
Bref, tout pointe la partie russe, qui avait le contrôle du barrage, les moyens pour le faire sauter et plutôt intérêt à le faire en ce moment. Dernier point, le droit international applicable : L'article 56 du premier protocole additionnel de la Convention de Genève de 1949. /18
1. Les ouvrages d'art ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d'énergie électrique, ne seront pas l'objet d'attaques... /19
...même s'ils constituent des objectifs militaires, lorsque de telles attaques peuvent provoquer la libération de ces forces et, en conséquence, causer des pertes sévères dans la population civile. /20
1. La protection spéciale contre les attaques prévues au paragraphe 1 ne peut cesser pour les barrages ou les digues, que s'ils sont utilisés à des fins autres que leur fonction normale et pour l'appui régulier, important et direct d'opérations militaires... /21
...et si de telles attaques sont le seul moyen pratique de faire cesser cet appui" Vous le voyez, le barrage n'étant pas utilisé pour l'appui d'ops mili, il ne pouvait être ciblé, ce qui n'aurait pas été le cas bien sûr si les Ukrainiens l'avaient utilisé pour leur logistique/22
Voilà ce que je peux en dire à ce stade. C'est encore tôt pour en tirer toutes les conséquences, notamment sur le cours du fleuve, l'impact sur l'agriculture, l'environnement, etc... A suivre, mais pour l'heure, je dirais que "à 95% ça ressemble à un coup des Russes"... FIN
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J'incline aussi à penser que les actions ukrainiennes que les Russes disent avoir repoussées ne sont pour l'heure que des opérations de test/reconnaissance/ déception... 1/
Bien entendu, Moscou a tout intérêt, à des fins de propagande, à claironner chaque fois que ses forces combattent depuis une position et la tiennent encore à l'issue du combat. 2/
Ceci dit, l'affaire ne ressemble pas vraiment à ce qu'on peut imaginer comme un début d'offensive. Ce serait comme si l'armée ukrainienne avait sauté une ou plusieurs étapes... 3/
Oui, la marine chinoise adopte un comportement dangereux, agressif, injustifiable et délétère. Au mépris de toutes les règles de navigation et du droit de la mer... (un fil avec des bouts de Montego Bay dedans - mais pas que) 1/
Pour mémoire, deux navires transitaient le 03/06 par le détroit de Taiwan : le destroyer 🇺🇸USS Chung-Hoon (qui porte le nom du premier amiral américain d'origine asiatique) et frégate 🇨🇦HMCS Montréal, quand un navire chinois leur a coupé la route. 2/
Rappelons aussi que le détroit de Taïwan fait à son point le plus étroit 130 km de largeur (~70 miles nautiques). Rappelons que la largeur des eaux territoriales est de 6 à 12 miles nautiques depuis la ligne de base, selon les pays, sauf lorsque les bras de mer font moins.. 3/
En ce moment je bosse (entre autres) sur des sujets liés à l'état de nécessité en droit international. C'est absolument fascinant. Et l'application éventuelle à des cas concrets contemporains (l'Ukraine, la crise écologique) est assez vertigineuse. 1/
Les travaux sur le sujet de la Commission de Droit International (organe subsidiaire des Nations unies legal.un.org/ilc/) sont particulièrement éclairants sur cette notion assez peu évoquée en droit international en dehors (le plus souvent) de questions de dettes. 2/
Notamment l'annuaire des travaux de 1980, qui portaient entre autres sur "le fait international illicite de l’État", qu'il fallait borner en droit en examinant ses limites (force majeure, cas fortuit, légitime défense et justement état de nécessité...) 3/ legal.un.org/ilc/publicatio…
Une fois de plus, on confirme que le drone turc TB2 n'a rien d'une arme "miracle". Après une phase initiale favorable (déconfliction et positionnement de la défense sol-air), les Russes en ont abattu beaucoup, confinant maintenant l'engin à des missions de surveillance. 1/
C'est un bon engin, produit d'une BITD intégratrice qui achète des composants et les assemble en limitant les frais de conception. Il est très utile dans des environnements permissifs, sans défense sol-air dans la couche moyenne et sans trop de guerre électronique. 2/
En revanche, face à des défense denses et bien intégrées, il trouve vite ses limites, validant un peu la réticence de certains pays (dont la France historiquement) pour le drone téléopéré MALE (Medium Altitude Long Endurance) armé. 3/
C'était pas forcément gagné dès le départ, mais le petit drone russe Lancet s'impose comme une des armes de choix de Moscou pour faire face à l'afflux de matériel adverse, notamment en faisant de la "contrebatterie dronisée". Solution typique des conflits qui durent 1/ (un 🧶)
Low-cost, facile à produire avec des technologies civiles, facile à employer même par des unités peu formées, consommable en quantité, il présente l'avantage d'être peu vulnérable aux moyens de défense adverses (pour l'instant). 2/
Il semble que cette "munition rôdeuse" ait causé une part importante des pertes ukrainiennes en artillerie dont on parlait il y a peu, notamment sur les obusiers tractés trop "statiques" (M777, D30...) 3/ :
Du matériel d'urgence pour les troupes de marine ukrainiennes ? Vous seriez partants pour une collecte ? 1/
Suite au formidable succès de l'opération "Pâté Hénaff" @JeanHenaffSA vers la marine ukrainienne (qui chapeaute les Troupes de Marine là bas), j'ai échangé avec @jacquesduplessy qui a organisé le transport de France en Ukraine. 2/
Nous avons échangé sur les besoins des troupes en première ligne et notamment les hélas énormes besoins de matériel médical d'urgence (trousses Ifak, Celox, pansements, garots tourniquets, ...etc). Cette guerre à l'arme lourde voit des poly-blessés en pagaille. 3/