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Jun 16 • 43 tweets • 10 min read Twitter logo Read on Twitter
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🚨 Retour sur la relaxe totale de E. – jeune manifestant du 1er mai ayant été placé en détention provisoire et privé de liberté 15 jours – et sur la condamnation de l’État.

Compte rendu d’une audience s’étant terminée en pleine nuit ⬇️

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E. a dû s'armer de patience avant d'être jugé.

Et pour cause, l'audience a commencé à 13 heures mais son dossier n'est passé qu'à 1h40 du matin, pour un verdict à 3h15.

Une dizaine de dossiers sont passés avant lui, où tous les autres prévenus comparaissaient détenus.

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L'audience était particulièrement poignante, notamment concernant deux dossiers.

En un mot, dans l'un des dossiers, deux hommes étaient jugés en même temps. L'un d'eux entrait dans le box et s'effondrait en constatant que son avocat n'était pas venu à l'audience.

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Ce dernier avait perçu ses honoraires mais n'avait effectué aucune diligence (pas même une demande de communication du dossier) et ne donnait plus de nouvelle.

Un avocat présent dans la salle s'est proposé pour le défendre au pied levé. Un renvoi n'était hélas pas possible

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en raison de l'agenda chargé du conseil de l'autre prévenu dont l'affaire était traitée en même temps.

Dans cette affaire, les faits sont confus, contestés, et le prévenu, qui essaie d'obtenir sa régularisation depuis 24 ans et qui travaille depuis, a été condamné à

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trois ans de prison dont un an avec sursis et a été maintenu en détention.

En quittant la salle d'audience, le prévenu a demandé pardon à sa femme présente à l'audience. Les deux étaient en larmes.

Dans l'autre dossier, une jeune femme SDF, n'ayant pas mangé depuis

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quatre jours comparaissait détenue pour un vol de salade à Monoprix et pour des violences et injures avec un vigile ayant retenu et violenté cette dernière. Sa situation et son parcours des plus chaotiques a touché l'ensemble de l'auditoire.

Revenons-en Ă  E.

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Il est 1h40 du matin, E. va enfin pouvoir être jugé.

Les chefs de prévention sont des faits de violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique par jet de projectile et de dissimulation du visage, le tout lors de la manifestation du 1er mai.

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Le conseil de E., Me @HRajbenbach, entend développer des conclusions de nullité in limine litis.

"Je vais vous demander de faire du droit" dit-elle au tribunal.

La première nullité soulevée est la nullité du procès-verbal de circonstances insurmontables.

Dans ce dossier,

9/x
ce PV n'est pas circonstancié aux faits de l'espèce et ne vise pas le prévenu.

Elle rappelle une jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui énonce que "l'argument tiré de la complexité de l'interpellation – concomitante avec d'autres individus –, et

10/x
de la lourdeur de celle-ci – de nombreux agents ayant été mobilisés –" ne constitue pas des circonstances que l'on peut considérer comme insurmontables à la notification des droits.

Elle joint également à ses conclusions une décision de la chambre 10-2 dudit tribunal,

11/x
laquelle a prononcé très récemment la nullité du PV de circonstances insurmontables dans un cas similaire à celui de son client.

Me @HRajbenbach déroule et explique en outre en quoi ledit PV est lacunaire aux fins d'annulation de ce dernier.

Autre argument : la tardiveté

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dans l'avis à magistrat et la notification des droits (faits respectivement avec 1h35 et 1h46 de retard, dépassant les délais admis par la jurisprudence).

Jurisprudences à l'appui, le conseil de E. soulève également la nullité du déferrement du fait

13/x
de la violation en l'espèce des dispositions de l'article 803-3 du Code de procédure pénale et des droits prévus à cet article.

Dernière nullité soulevée : la nullité de la procédure mise en place de l'article 396 du même code.

Il est 2h du matin lorsque @HRajbenbach

14/x
termine son propos, laquelle souhaite que l'incident ne soit pas joint au fond.

Le procureur de la République prend alors la parole. "Ce sont des conclusions de nullité qui sont connues, répétées".

Il explique que les circonstances insurmontables étaient bien justifiées

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par les différents évènements intervenus lors de la manifestation du 1er mai ("les horaires [de retard] ne sont pas étonnants").

Il demande le rejet de cette nullité, et en fera de même pour toutes les autres, le nombre d'interpellés justifiant lesdits retards.

16/x
Me @HRajbenbach rebondit : "comment le tribunal va expliquer à E. que la réunion du tribunal était impossible [en mai dernier] et qu'il ait été envoyé en détention provisoire pendant deux semaines, alors que ce soir il comparaît libre et qu'il sera trois heures du matin

17/x
lorsque le tribunal va rendre son délibéré ?". Elle précise qu'après le verdict, son client va aussitôt se rendre à son travail, travaillant de nuit (à 4h).

La présidente joint l'incident au fond et reprend les éléments du dossier.

Elle reprend le PV d'interpellation.

18/x
E. aurait été vu en train de jeter des projectiles et portait un cache-cou dissimulant son visage.

Il y a dans ce dossier un témoin, l'agent interpellateur. Joint au téléphone, il disait avoir vu E. jeter un projectile et l'avoir interpellé "deux minutes après les faits".

19/x
L'analyse des caméras sur la voie publique n'apportait aucun élément probant ("il est impossible de détecter les personnes (...) en raison de la foule et de la fumée").

De même pour les caméras-piétons des policiers ("les enregistrements sont flous").

E. prend la parole.

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A la question "pourquoi étiez-vous présent à la manifestation du 1er mai", E. répond simplement "pour manifester".

E. dit n'avoir lancé aucun projectile et avoir porté un cache-cou "pour [se] protéger du gaz lacrymogène" ("j'étais en train de suffoquer").

L'exploitation

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du téléphone de E. n'apportait aucun élément intéressant l'enquête.

Le tribunal aborde ensuite la personnalité de E.

Son casier fait état de quelques mentions pour "usage de stupéfiants".

Il habite chez sa mère ayant des problèmes de santé et travaille pour l'aider

22/x
financièrement.

Il dit au tribunal avoir perdu son travail du fait de sa détention provisoire mais a réussi à en retrouver un autre. Il fait part de ses ambitions professionnelles.

Le procureur de la République prononce ses réquisitions.

Il indique que l'attache faite

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avec l'agent interpellateur "confirme bien" que E. "jetait des projectiles". Le procureur indique que ce n'est pas la première fois qu'une victime n'a pas pu être identifiée et qu'il n'y a "pas de difficulté pour caractériser l'infraction".

Pour la dissimulation du visage,

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il estime l'infraction caractérisée du fait du port d'un cache-cou.

Le procureur demande au tribunal d'entrer en voie de condamnation pour l'ensemble des chefs de la prévention.

Sur la personnalité de E., le procureur salue l'efficacité du sursis probatoire ayant permis

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une bonne "intégration de E. dans la société".

Sur la peine, le procureur propose une peine de sept mois d'emprisonnement entièrement assortie du sursis probatoire et une amende de 200 €.

Le conseil de E. débute alors sa plaidoirie ("je vais vous demander de relaxer E.

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des faits de violences pour trois raisons de droit et une raison de fait").

@HRajbenbach indique que la relaxe s'impose tout d'abord parce que, dans ce dossier, "il y a un effectif interpellateur avec qui il y a une attache téléphonique, et rien d'autre".

Il n'y a aucune

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caméra exploitable ni aucun témoin autre que l'effectif interpellateur.

Me @HRajbenbach livre trois jurisprudences qui indiquent que la relaxe s'impose lorsque les poursuites ne reposent que sur un seul témoin, de surplus l'effectif interpellateur ("c'est finalement

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l'application bête et méchante du principe de la présomption d'innocence" dit-elle).

Deuxième raison : il ressort du dossier que E. aurait repoussé du gaz lacrymogène jeté en sa direction pour s'en extirper. Or, l'infraction de violences se caractérise par une

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intentionnalité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

E. voulait se dégager d'une fumée nocive et non pas blesser quiconque en repoussant le gaz avec son pied.

Troisième raison de droit aux fins de relaxe : le fait qu'il n'y ait aucune victime dans le dossier.

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En effet, "l'on demande [au tribunal] d'entrer en voie de condamnation pour des faits de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, sans ITT, alors que l'on a aucune victime".

Ainsi, l'on ne sait pas "s'il y a une victime, si elle est dépositaire de

31/x
l'autorité publique, et si elle a des ITT" poursuit @HRajbenbach, ajoutant que la tentative de violence n'existe pas dans le Code pénal.

Me @HRajbenbach rappelle que "l'infraction de violence est une infraction matérielle et non formelle" et fournit de la doctrine en ce

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sens ("il faut une victime").

Raison de fait (factuelle) aux fins de relaxe : le fait qu'il ressorte du dossier, notamment avec l'analyse de l'ensemble des caméras, que la visibilité était très limitée "du fait de la foule et de nombreuses et d'épaisses fumées noires".

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Me @HRajbenbach met en contradiction cet élément de visibilité chaotique avec les déclarations de l'agent interpellateur ayant déclaré que E. a jeté un projectile, qu'il ne l'a pas perdu de vue et l'a interpellé deux minutes après les faits. Elle parle d'un "élément factuel

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improbable".

Du fait de ces quatre éléments, le conseil de E. demande la relaxe de son client des faits de violences.

Sur la dissimulation du visage, Me @HRajbenbach rappelle l'intitulé exact de l'infraction, à savoir la dissimulation volontaire du visage "sans motif

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légitime".

Or, il ressort de la procédure qu'il y avait énormément de gaz lacrymogène sur et autour de E., lequel a masqué son nez et sa bouche pour protéger ses voies respiratoires.

Me @HRajbenbach livre alors une jurisprudence indiquant en substance que le fait de

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vouloir se protéger du gaz lacrymogène "était un motif légitime pour avoir le visage dissimulé".

Me @HRajbenbach considère que son client avait donc un "motif légitime" pour dissimuler une partie de son visage.

Elle ajoute : "dans ce dossier, ce qui s'est fait sans motif

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légitime, c'est le placement en détention provisoire pendant deux semaines de mon client alors qu'il avait des garanties de représentation, alors que la comparution préalable n'était pas nécessaire. Ce qui est sans motif légitime, c'est également d'avoir indiqué dans le PV

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de comparution préalable que mon client était passible de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français alors qu'il est français".

Me @HRajbenbach conclut sa plaidoirie : "pour l'ensemble de ces raisons, Ă  2h53 du matin, je vous demande de relaxer E. des

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faits qui lui sont reprochés et je vous joins une requête en vertu de l'article 800-2 [du Code de procédure pénale] d'indemnisation des frais de justice.

Appelé à la barre, E. n'a rien à ajouter.

Le tribunal se retire pour délibérer.

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Il est 3h15 lorsque le tribunal rend sa décision : il rejette tout d'abord les conclusions de nullité, reconnaissant les circonstances insurmontable de l'espèce et l'absence de grief.

Sur le fond, le tribunal RELAXE E. "au bénéfice du doute" du chef de violences et le

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relaxe "purement et simplement" du chef de dissimulation du visage "en raison du motif légitime", reconnaissant que E. "pouvait avoir à se dissimuler le visage".

En sus, le tribunal CONDAMNE L’ÉTAT FRANÇAIS à payer à E. la somme de 2 000 € au titre des frais exposés pour

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sa défense.

Le parquet peut faire appel de ce jugement.

Le conseil de E. entend déposer une requête aux fins d'indemnisation de la détention provisoire. Cette demande est possible au moment où la décision de relaxe devient définitive.

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May 16
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"Mon client est français, et risque une peine applicable uniquement aux étrangers [...] Je constate que oui, il y a des phénomènes discriminatoires."

Retour sur la plaidoirie de Me @raphkempf et celle de Me @HRajbenbach ayant abouti à la REMISE EN LIBERTÉ D'E.

1/x Crédit photo : CHRISTOPHE A...
Rapides éléments contextuels avant d'en venir aux plaidoiries : le Tribunal statuait aujourd'hui sur une demande de mise en liberté déposée par les avocats de E., le jeune manifestant du 1er mai dont la détention provisoire était prolongée mardi dernier dans l'attente de son

2/x
procès le 13 juin prochain.

Ce maintien en détention avait suscité de vives réactions, notamment car prévenu et avocats n'avaient pas eu connaissance des motifs du maintien en détention.

Ces derniers ont eu connaissance ce jour desdits motifs.

VoilĂ  ce qu'ils en disent :

3/x
Read 35 tweets
May 9
[🧵THREAD]

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Récit d’une audience ubuesque et d’une décision ayant surpris avocats et public.

1/x

#RĂ©formeDesRetraites #1erMai Image
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Reprenons depuis le début.

2/x
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3/x
Read 65 tweets
Mar 27
[🧵THREAD]

🚨 Procès de Camille, étudiante/libraire, jugée suite à la manifestation de jeudi et placée en détention pour refus de donner code de téléphone et empreintes digitales.

Contenu des débats (avec en prime un mensonge policier) et verdict ⬇️

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#RéformeDesRetraites Photographie de l’arrestation de Camille (Yves Herman / RE
Cet après-midi était jugée Camille, étudiante et jeune libraire, suite à sa participation à la manifestation de jeudi dernier, son interpellations dans des circonstances très floues, et sa mise en détention pour refus de communiquer code de téléphone et empreintes digitales.

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À titre liminaire, son avocate a soulevé des nullités de procédure au regard de deux moyens.

Le premier moyen concernait la notification tardive des droits, contestant ainsi les « circonstances insurmontables » justifiant ledit retard.

Pour son avocate, cette notification

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Read 50 tweets

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