Nous sommes le 14 juillet 1789, une date fondatrice pour ce que d’aucuns appellent «l’identité républicaine de la France». L’historienne Jacqueline Lalouette vient justement de publier un livre important sur le sujet. 1/25
D’après elle, la première occurrence de l’expression «identité républicaine de la France» date de 1996. On la doit à Jean-Pierre Chevènement : il appelait alors le gouvernement à résister contre l’impérialisme économique allemand, qui menacerait cette «identité». 2/25
L’homme politique socialiste a par la suite réutilisé cette expression. Après lui, une cinquantaine de personnalités l’ont reprise. Il s’agit d'hommes politiques (plus de gauche que de droite), mais aussi d’intellectuels, de juristes ou d’historiens. 3/25
Cela dit, la formule «identité républicaine de la France» apparaît assez peu dans les sources, surtout en comparaison avec celles d’identité nationale ou d’identité française, qui sont devenues très courantes dans les débats publics. 4/25
Pourtant, cela ne fait qu’une cinquantaine d’années qu’on utilise le mot d’identité pour parler du caractère d’un peuple. Pendant des siècles, ce mot a appartenu quasi exclusivement aux domaines des mathématiques, de la logique et de la philosophie. 5/25
Avant la fin du XXe siècle, les syntagmes «identité nationale» ou «identité française» sont quasi inexistants. À la place, on disait de la France qu’elle a une âme, un génie, un esprit. Exception notable : Michelet l’emploie dans son «Histoire de France», parue en 1834. 6/25
Le terme d’identité commence à désigner le caractère d’une population au tournant des années 1970. Il est d’abord appliqué aux seuls groupes minoritaires et marginalisés (personnes d’origine immigrée, prolétaires, régionalistes, etc.) 7/25
Peu à peu, il a servi à qualifier le peuple, la nation ou le pays dans son ensemble. En 1978, dans «Penser la Révolution française», l’historien François Furet affirme que l’abbé Sieyès, en défendant le tiers état, a défini une «nouvelle identité nationale». 8/25
Quelques années plus tard, en 1986, Fernand Braudel publie son célèbre ouvrage «L’identité de la France». Pour lui, cette identité, qui n’a cessé de le «tourmenter» est «le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives». 9/25
Le mot d’identité est alors devenu courant dans le langage politique. D’ailleurs, comme nous l’apprend l’historien Vincent Martigny, c’est le Parti socialiste qui, dès 1981, a promu l’identité nationale en opposition à l’impérialisme culturel des États-Unis. 10/25
Trois décennies plus tard, cette formule est passée à droite, notamment avec la création en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire. 11/25
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Désormais, quand il est question d’identité nationale, il est difficile de ne pas penser à l’immigration. C’est pourquoi, à gauche, l’expression d’identité républicaine a pu être privilégiée par certains acteurs politiques et intellectuels, à la suite de Chevènement. 12/25
À ce propos, Jacqueline Lalouette rappelle qu’en France, le lien entre l’identité du pays et le régime républicain est particulièrement fort. Le fait est que la République n’est pas seulement un régime politique : elle porte aussi un héritage, une mémoire. 13/25
Cette mémoire est double, car elle englobe le souvenir des Lumières et celui de la Révolution française. Dans les Lumières, «les promoteurs de l’identité républicaine de la France voient […] les maïeuticennes d’une nouvelle France». 14/25
Le chrononyme «siècle des Lumières» n’est vraiment fixé qu’en 1938, avec la publication de «L’Europe française au siècle des Lumières» de l’historien de l’art Louis Réau. Ce n’est que dans les années 1950 qu’il gagne vraiment sa «valeur périodisante». 15/25
Cependant, «la mémoire des Lumières fut élaborée dès la Révolution française», nous apprend Jacqueline Lalouette. La panthéonisation de Voltaire en 1791, et celle de Rousseau en 1794, en témoignent.
Sous la IIIe République, instituée en 1870, les Lumières sont glorifiées. 16/25
C’est également sous la IIIe République que la mémoire de la Révolution française est devenue incontournable dans la vie politique française. Ainsi, le 24 février 1879, la circulaire du ministre de la Guerre Gresley fait de la Marseillaise l’hymne nationale. 17/25
Le 6 juillet 1880, le 14 juillet est défini comme jour de la fête nationale. La République renoue aussi avec l’anticléricalisme de la Révolution : la loi du 9 décembre 1905 sur «la séparation des Églises et de l’État» rappelle la première séparation du 18 septembre 1794. 18/25
En plus de la mémoire des Lumières et de la Révolution, la République s’appuie sur des principes. Dérivant du latin «principium», «commencement», les principes sont les «éléments fondateurs de la République, ceux qui ont été posés en premier». 19/25
L’article premier de la Constitution de 1958 en mentionne quatre : l’indivisibilité, la laïcité, la démocratie et la dimension sociale. Jacqueline Lalouette focalise son analyse sur les deux premiers, les plus importants pour la question de l’identité. 20/25
Le principe d’indivisibilité, qui implique celui d’unité, a des sources anciennes : des penseurs comme Platon sous l’Antiquité ou Jean Bodin au XVIe siècle les jugeaient déjà nécessaire à l’État («République» sous leur plume). 21/25
La République est donc «une et indivisible», selon la formule consacrée. Mais ce principe est remis en cause : des militants régionalistes insistent davantage sur la diversité du pays ; plus inquiétant, des islamistes veulent clairement se séparer du reste de la nation. 22/25
Le second principe qui selon Jacqueline Lalouette fonde l’identité républicaine de la France est celui de laïcité. Paradoxalement, la loi de 1905 ne contient pas le mot «laïcité», dont la première occurrence date pourtant de 1849. 23/25
La laïcité ne fait pas non plus consensus : doit-elle émanciper les individus des tutelles religieuses, ou doit-elle seulement instituer la liberté de conscience et l’égal respect des individus ? (Cette vidéo de @philoxime fait le point : )
24/25
L’identité républicaine n’est donc pas évidente, comme le révèlent du reste des sondages récents :
Malgré tout, Jacqueline Lalouette en appelle à la construction d’une République forte et belle.
Joyeux 14 juillet ! 25/25 https://t.co/28YurS4fziifop.com/publication/la…
Erratum : dans le premier tweet, lire «nous sommes le 14 juillet», et non «nous sommes le 14 juillet 1789».
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Il n’est pas rare que des personnes qui se réclament de la gauche basculent à l’extrême droite. Souvent, elles avaient des positions «confuses», mêlant égalitarisme social, anti-«progressisme» et nationalisme. Que peut nous dire l’histoire sur une telle évolution ? 1/25 https://t.co/jdlnbG5rgZ
L’historien Philippe Burrin a étudié dans un ouvrage classique paru en 1986, «La dérive fasciste», le parcours de trois hommes politiques de gauche qui ont fini à l’extrême droite : Jacques Doriot, Marcel Déat et Gaston Bergery. 2/25
Le premier est à l’origine communiste, le second socialiste, et le troisième radical de gauche. Dans les années 1920 et au début des années 1930, ce sont «des hommes de gauche à l’étroit» dans leurs partis respectifs, frustrés dans la réalisation de leurs ambitions. 3/25
Demain, j’aurais le plaisir d’animé avec @_C_Gthr un café virtuel de l’@APHG_National : notre invitée sera Catherine Lalouette, Professeure émérite à l’Université de Lille, et autrice de «L’identité républicaine de la France». Cet ouvrage mérite aussi un thread ! 1/25
Selon l’historienne, la première occurrence de l’expression «identité républicaine de la France» date de 1996. On la doit à Jean-Pierre Chevènement : il appelait alors le gouvernement à résister contre l’impérialisme économique allemand, qui menacerait cette «identité». 2/25
L'homme politique socialiste a par la suite réutilisé l'expression à de nombreuses reprises. Après lui, une cinquantaine de personnalités l'ont reprise. Il s'agit d'hommes politiques (plus de gauche que de droite), mais aussi d'intellectuels, de juristes ou d'historien. 3/25
Mon thread sur les inconséquences de «l’antiwokisme de gauche» a fait beaucoup parler. Je n’ai pas pu répondre à toutes les objections qui m’ont été faites. Je le fais donc dans ce second (et je l’espère dernier) thread sur le sujet. 1/20
Beaucoup m’ont dit, à la suite de Nathalie Heinich, qu’on peut «dénoncer le wokisme non pas bien que l’on soit de gauche mais précisément parce que l’on est de gauche» ; le «wokisme» étant défini comme un ensemble de «dérives pseudo-progressistes». 2/20 decolonialisme.fr/une-reponse-a-…
La définition est extrêmement faible. Que faut-il entendre par «dérives» ? Selon Nathalie Heinich et les «antiwoke de gauche», il s’agit surtout de «l’identitarisme», autrement dit l’obsession pour l’appartenance à des «collectifs victimaires». 3/20
Je remercie @tnzn00 (Pims Simp) pour sa critique de ma critique de la raison statistique … Cependant, je pense que je me suis mal fait comprendre sur un certain nombre de points, que j’ai l’occasion de clarifier… 1/20
Pims Simp me reproche en premier lieu de réifier et d’essentialiser la statistique. En effet, je parle de «la statistique» au singulier, mais c’est par souci de simplification, de la même manière qu’on peut parler de «la société» ou de «l'État» au singulier. 2/20
En réalité, ces catégories n’ont pas d’essence propre qui en ferait des bloc homogène. Il y a bien sûr des statistiques, des manières très diverses de compter, de quantifier, de classer. Encore une fois, l’usage du singulier n’est qu’une simplification commode. 3/20
Je vais vous faire une confidence : j'aurais pu être un «antiwoke de gauche». En effet, j'ai longtemps été influencé par Jean-Claude Michéa, qui a écrit des centaines de pages sur les «dérives de la gauche progressiste», etc. 1/20
J'ai d'ailleurs écrit un thread critique de la pensée michéenne, qu'il faudra que je complète un jour … Mais revenons au sujet : l'antiwokisme de gauche). 2/20
Comme le dit l'ami @Jojo848329021, il s'agit d'une contradiction dans les termes : l'antiwokisme est fondamentalement un rejet des idées égalitaires portées par la gauche, transformée au passage en homme de paille. 3/20
Dans "The Breakdown of Nations", Leopold Kohr soutient que le capitalisme et le communisme sont également viables à petite échelle. À l'inverse, dans les sociétés excessivement grandes, ils engendrent tous deux des formes d'aliénation collectiviste. 1/4
Dans ces vastes sociétés, le capitalisme demeure certes plus efficace pour produire des richesses. Mais en dépit des promesses d'émancipation qu'il porte, force est de constater que ce système ne permet pas l'épanouissement des facultés individuelles. 2/4
Du reste, je ne crois pas que le capitalisme puisse rester confiné à l'échelle humaine. Dès 1848, Marx et Engels ont vu que "l'exploitation du marché mondial" conduit la bourgeoisie à donner "un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays." 3/4