Un studio a-t-il droit de vie et de mort sur un film sous prétexte qu'il l'a financé ? C'est la question que pose une pratique qui scandalise à Hollywood: le shelving, ou "mise au rebut".
Dernier film à en avoir fait les frais : #CoyoteVsAcme, une production Warner à la gloire de Bip Bip le Coyote (oui, celui de votre enfance), réalisée en live action avec certains personnages en animation (façon Roger Rabbit).
Produit pour 70M$ et supervisé par James Gunn (le papa des Gardiens de la Galaxie), le film, entièrement tourné et post-produit, a même passé l'étape des test-screenings, avec d'assez bons retours.
Or, à la stupeur générale, le studio a annoncé que le film allait être "shelved", c'est à dire privé de sortie, quel que soit le médium : #CoyoteVsAcme ne sortira pas en salles, pas plus qu'en streaming ou en DVD.
En définitive, il sera comme remisé dans un coffre ("vaulted"), invisible aux yeux de quiconque. Plus radical encore: Warner s'engage à ne tirer aucune recette du film, il ne peut donc pas non plus le revendre à un tiers.
Que cache cette décision incompréhensible ? En fait, Warner monnaye ce boycott volontaire contre un "tax write-off", un effacement fiscal de 30M$. La réglementation US autorise en effet ce genre d'aménagement, contre l'engagement de neutraliser le potentiel économique d'un actif.
Autrement dit, au nom d'une forme d'optimisation fiscale, Warner prive le public d'un film attendu et rend invisible le travail de centaines de professionnels.
Choqués, ces derniers n'ont d'ailleurs pas tardé à faire fuiter des vidéos de leur travail, sur les décors ou la musique (ci-dessous la session des chœurs dirigée par le compositeur Steven Price)
Le réalisateur, Dave Green, s'est de son côté fendu d'un communiqué aux allures d'avis d'obsèques.
Warner n'en est pas à son coup d'essai. L'an dernier, BATGIRL (film de super-héros à 90M$ de budget) avait subi le même sort.
Dans ce type de décision, il faut comprendre que le studio limite la casse financière sur les projets jugés trop risqués, via 2 leviers:
- ce fameux tax write-off
- l'économie sur les frais de sortie qu'il ne dépensera pas (leur montant dépasse parfois le budget de production).
A mes yeux, le sujet a une portée quasi-philosophique, et renvoie à l'essence du capitalisme confronté à la notion d'œuvre d'art: sous prétexte qu'on a financé une œuvre, peut-on décider de l'envoyer au pilon sans devoir de comptes à quiconque ?
Les réactions le prouvent, quelque chose choque dans ce clash entre l'argent et la création, malgré le statut communément admis du cinéma comme "art et industrie".
L'une des réponses les plus stimulantes que j'aie pu lire est celle exigeant la mise en ligne gratuite du film: son statut fiscal dérogatoire signifie en effet qu'il a été partiellement "payé par le contribuable", qui mérite donc de pouvoir en jouir.
👉 Et vous, quel regard portez-vous sur ce conflit de valeur entre "droit de propriété" vs "droit d'accès universel à la culture" ?
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Les jolies surprises de printemps du Box-Office Auteur : en ce moment, nombre de « petits » films d’auteur réalisent de belles carrières sur la longueur, atteignant des scores inattendus. Petit tour d’horizon de ces sleepers sous le radar, au succès trop peu commenté. [Thread] 👇
Finaliste des Oscars du meilleur film étranger, THE QUIET GIRL vient de franchir le cap des 110.000 entrées sur moins de 70 copies. Ce petit bijou de sensibilité en langue gaélique devrait atteindre les 130.000 entrées à terme. Le plus gros succès de son distributeur, @ascdis
Le coréen ABOUT KIM SOHEE, passé par la @semainecannes approche quant à lui des 100.000 entrées, sur 90 copies initiales. Intelligemment positionné sur le créneau du thriller social. Très beau succès pour @arizonadistrib - là encore parmi ses plus gros résultats historiques.
1/ FIRST COW – Comment la vache a débarqué ?
J'ai cru comprendre que vous aimiez bien les thread "métier" sur la distribution. Alors voici l'aventure - côté coulisses - de l'arrivée de #FirstCow de Kelly Reichardt en France, film à la destinée peu banale. 1/39
2/ Car tout en signant une performance inattendue sur un marché compliqué, le film revient de loin : sorti en France avec 2 ans de retard, dans une configuration de sortie impossible, il illustre les chemins sinueux de ce curieux métier qui consiste à acquérir et lancer des films
3/ Commençons par les chiffres… Lancé sur seulement 64 copies , FIRST COW vient de franchir le cap des 80.000 entrées. Le film affiche la meilleure moyenne en carrière par copie depuis la réouverture parmi les "petits" films, ceux exposés dans moins de 80 salles.
1/ Twitter s'agite bcp autour de la question des films étrangers qui n'arrivent pas sur les écrans français. En cause: le sujet du prix des films, sur lequel acheteur et vendeur ne parviendraient pas à s'entendre. Mais combien ça coûte d'acquérir un film? Et pourquoi ça coince?
2/ Précision: je vais traiter du cas des films étrangers, non français. D'abord parce que ce sont des titres comme #TheGreenKnight ou #Spencer qui alimentent la controverse. Et puis le modèle de financement des films français implique le distributeur de manière assez différente.
3/ Précision#2: on parle ici de films indés, par opposition à ceux des studios. Si un film de major ne sort pas, pas de lien avec le prix (puisque ces groupes intégrés contrôlent les entités de distrib locales). Le studio estime simplement que ça ne vaut pas le coup (autre débat)