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Jan 1, 2024 1 tweets 5 min read Read on X
Il n'y a rien d'intéressant dans cet entretien dans lequel Taleb, conformément à une loghorrée devenue banale dans le monde arabe et occidental, fait principalement peser le conflit sur Israël sans qu'une seule et minuscule ligne (chacun peut le vérifier en lisant l'entretien complet) soit consacrée à la responsabilité du camp arabo-musulman.

Il y a pourtant un fait primordial que les détracteurs d'Israël se gardent bien de rappeler, tant ce fait détruit leur récit. Il y a bien plus d'Arabes et de musulmans qui prospèrent dans la petite nation israélienne qu'il n'y a de Juifs dans le (trop) vaste monde que l'islam a forgé depuis les conquêtes du VIIe siècle, en finissant par jeter les cultures qu'il a supplantées dans la déchèterie de l'Histoire, comme en témoigne la sous-représentation dramatique des musulmans parmi les spécialistes distingués de l'Orient ancien dont l'Islam s'est approprié l'héritage pour mieux le saborder.

En Israël, on peut être Arabe et être à la tête de l'une des plus grandes banques du pays, ou musulman et siéger à la Cour suprême. On doute que les pays arabes et musulmans environnants offrent de telles perspectives de mobilité sociale aux Juifs qui s'y aventureraient (et qui ont été massivement expulsés de ces pays dans lesquels la plupart vivaient bien avant les conquêtes arabes). Comme on doute que ces pays offrent beaucoup de perspectives de mobilité sociale à la population majoritaire.

Alors certes, en Orient comme ailleurs, il n'est pas de peuple qui soit toujours et partout innocent. Tout comme il n'est pas de peuple élu. Toutefois, quiconque disserte sur le conflit israélo-arabe en taisant les données fondamentales rappelées plus haut - et qui montrent que certaines cultures ont plus de travail que d'autres pour soigner leur rapport à l'altérité - est un imposteur.

Alors pourquoi cette imposture ? Le non-dit, dans cette affaire, c'est que la plupart des détracteurs d'Israël détestent ce pays pour ce qu'il est et non ce qu'il fait. À ceci près que le monde musulman est moins hypocrite que bien des commentateurs en Occident. Dans le monde musulman, Israël est ouvertement décrit comme un phénomène intrusif. Une sorte de tumeur dont l'éradication est désirable, même si certains dirigeants musulmans sont forcés de constater avec plus ou moins d'enthousiasme qu'il faut composer avec ce pays qu'on a tenté d'éradiquer à plusieurs reprises mais sans succès, compte tenu de sa supériorité technologique et militaire. Au moins, les diatribes islamistes contre l'État juif ont le mérite de l'honnêteté. La littérature islamiste joue cartes sur table et ne s'embarrasse pas de prétextes fallacieux.

En Occident, les commentaires sont plus hypocrites. La posture anti-israélienne habituelle, parfaitement incarnée par Taleb ci-dessous, consiste à ne relever que les défauts et les extrémistes qui défigurent la société israélienne tout en taisant les infirmités criantes d'un monde arabo-musulman, qui n'a jamais digéré le fait que l'ancien dhimmi, c'est-à-dire l'ancien colonisé, s'affranchisse de la tutelle qui fut jadis la sienne pour constituer une entité souveraine en Orient, tout en bâtissant en 75 ans une prospérité que le monde musulman est encore largement incapable d'offrir en 1400 ans d'existence, alors que ce dernier est né dans le même monde gréco-romain, hellénistique et romain dont l'Occident est issu et qu'il a fini par engloutir sur son flanc oriental.

Dès lors, quand on ne disserte pas vainement sur la solution à deux États (comme si le conflit était né en 1948 et que l'absence de deux États était la cause du conflit quand il n'est en réalité que la conséquence de ce dernier), on agite la chimère d'un État binational, comme si cette option n'avait pas été étudiée maintes fois, avant d'être écartée en raison des animosités communautaires et, surtout, en raison l'absence totale de garanties que le monde musulman offre à ses minorités.

Si ce double-standard est parfois le fruit d'une vision rousseauiste méprisante qui considère l'Arabe et le musulman comme des sauvages dont il n'y a rien à attendre là où il appartient au seul être civilisé qu'est le Juif d'être force de proposition, demeure également le sentiment implicite que les Israéliens sont coupables par essence, coupables d'être à l'origine de ce que l'orientaliste Maxime Rodinson désignait comme un « fait colonial », au motif, notamment, que les fondateurs d'Israël ne furent pas des natifs orientaux.

Le problème de cette définition « nativiste » du fait colonial - qui définit l'impérialisme sur la base de l'antériorité réelle ou supposée d'une communauté - est qu'il peut se retourner contre n'importe quel État actuel, où n'importe quelle population ayant des origines immigrés. Il n'est pas une formation politique qui peut aujourd'hui se vanter d'avoir été fondée sans la moindre trace d'une migration (paisible ou non) de la part d'un peuple qui s'est établi dans une contrée qui ne constituait pas son « berceau historique ». C'est pourquoi Ernest Renan disait que « l’oubli, et même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la formation d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L’investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes les formations politiques ».

Les peuples aujourd'hui musulmans en savent quelque chose. Comme le rappelait le philosophe socialiste Cornelius Castoriadis : « Les Arabes ne poussaient pas naturellement sur les pentes de l'Atlas au Maroc, ils étaient en Arabie. En Egypte, il n'y avait pas un seul Arabe. La situation actuelle [de l'Afrique du Nord et de l'Orient ] est le résultat, d'abord, d'une conquête et de la conversion plus ou moins forcée des populations soumises ; puis de la colonisation des Arabes non par l'Occident, mais par leurs coreligionnaires, les Turcs, pendant des siècles ; enfin de la semi-colonisation occidentale pendant une période comparativement beaucoup plus courte ».

La Turquie moderne est née sur le génocide arménien et des populations dîtes assyriennes. Le nationalisme turque s'est aussi construit sur la marginalisation des revendications kurdes, entre autres choses. Curieusement toutefois, aucune voix musulmane ou occidentale ne questionne la légitimité même d'une présence souveraine turque, même lorsque celle-ci s'est construite au détriment de la vieille civilisation byzantine, qui a été complètement éradiquée des mémoires.

L'Irak, la Syrie et la Jordanie sont, un peu comme Israël, nés d'un marchandage entre les puissances impériales européennes qui ont profité de la dislocation de cet autre empire coloniale que fut l'État ottoman et les élites locales. Et le moins que l'on puisse dire est que les idéologies arabistes et islamistes qui ont présidé à la fondation de ces pays n'ont pas manifesté beaucoup de préoccupations à l'endroit des minorités assyriennes, chrétiennes, syriaques etc. qui étaient là bien avant l'expansion de la secte de Mahomet. Je ne parle même pas des carnages générés par la fondation de l'État saoudien, ce Daesh qui a réussi, et dont la légitimité internationale n'est pas discuté une seule seconde.

Le nationalisme juif moderne est l'un des rares qui, à travers des figures comme Théodore Herzl, a manifesté une sincère préoccupation pour le fait minoritaire en tentant l'implantation la plus pacifique possible. C'est peu dire que les textes utopiques d'Herzl qui plaident en faveur d'une République cosmopolite (à laquelle le voisinage Arabe a répondu par les armes) dans laquelle règnerait l'égalité des citoyens de culture et de confession différente n'ont eu, jusqu'ici, pas beaucoup d'équivalents dans la région. Et pourtant, lui seul est dans le box des accusés, pour des raisons évidentes d'antisémitisme.

Dès lors, peut-être serait-il temps d'opter pour une définition plus rigoureuse de ce qu'est un peuple de colonisateurs, c'est-à-dire un peuple dont le rapport à l'altérité, à la liberté et à l'égalité est particulièrement défectueux et qui est plus pressé d'opprimer son prochain que de coopérer avec lui pour bâtir une société prospère. Dans ces conditions, le véritable programme « décolonial » consisterait moins à libérer la Palestine d'Israël que de libérer l'Orient de la superstition mahométane qui a fait passer la région du statut de berceau à celui de tombeau de la civilisation, en rappelant à certains que l'histoire connaît l'ethnie arabe depuis 29 siècles et qu'elle n'était pas plus malheureuse avant l'arrivée désastreuse de Mahomet. Et bonne année à tous !

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